THEÂTRE : LE DROIT DU SEIGNEUR - Partie 12

Publié le par loveVoltaire

le-droit-du-seigneur---12.jpg

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

LE DROIT DU SEIGNEUR.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______

 

 

 

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

 

 

_______

 

 

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

_______

 

 

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

 

 

Il est aimable… Ah ! je le sais, sans doute.

 

Pourrai-je, hélas ! mériter qu’il m’écoute ?

 

Entrera-t-il dans mes vrais intérêts,

 

Dans mes chagrins et dans mes torts secrets.

 

Il me croira du moins fort imprudente

 

De refuser le sort qu’on me présente,

 

Un mari riche, un état assuré.

 

Je le prévois, je ne remporterai

 

Que des refus avec bien peu d’estime ;

 

Je vais déplaire à ce cœur magnanime ;

 

Et si mon âme avait osé former

 

Quelque souhait, c’est qu’il pût m’estimer.

 

Mais pourra-t-il me blâmer de me rendre

 

Chez cette dame et si noble et si tendre,

 

Qui fuit le monde, et qu’en ce triste jour

 

J’implorerai pour le fuir à mon tour ?...

 

Où suis-je ?... on ouvre !... à peine j’envisage

 

Celui qui vient… je ne vois qu’un nuage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SCÈNE VI.

 

 

 

_______

 

 

 

 

 

LE MARQUIS, ACANTHE.

 

 

 

_______

 

 

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Asseyez-vous. Lorsqu’ici je vous vois,

 

C’est le plus beau, le plus cher de mes droits.

 

J’ai commandé qu’on porte à votre père

 

Les faibles dons qu’il convient de vous faire.

 

Ils paraîtront bien indignes de vous.

 

 

 

ACANTHE, s’asseyant.

 

 

 

Trop de bontés se répandent sur nous ;

 

J’en suis confuse, et ma reconnaissance

 

N’a pas besoin de tant de bienfaisance :

 

Mais avant tout il est de mon devoir

 

De vous prier de daigner recevoir

 

Ces vieux papiers que mon père présente

 

Très humblement.

 

 

 

LE MARQUIS, les mettant dans sa poche.

 

 

 

Donnez-les, belle Acanthe,

 

Je les lirai ; c’est sans doute un détail

 

De mes forêts : ses soins et son travail

 

M’ont toujours plu ; j’aurai de sa vieillesse

 

Les plus grands soins : comptez sur ma promesse.

 

Mais est-il vrai qu’il vous donne un époux

 

Qui, vous causant d’invincibles dégoûts,

 

De votre hymen rend la chaîne odieuse ?

 

J’en suis fâché… Vous deviez être heureuse.

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Ah ! je le suis un moment, monseigneur,

 

En vous parlant, en vous ouvrant mon cœur ;

 

Mais tant d’audace est-elle ici permise ?

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Ne craignez rien, parlez avec franchise ;

 

Tous vos secrets seront en sûreté.

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Qui douterait de votre probité ?

 

Pardonnez donc à ma plainte importune.

 

Ce mariage aurait fait ma fortune,

 

Je le sais bien ; et j’avouerai surtout

 

Que c’est trop tard expliquer mon dégoût ;

 

Que, dans les champs élevée et nourrie,

 

Je ne dois pas dédaigner une vie

 

Qui sous vos lois me retient pour jamais,

 

Et qui m’est chère encor par vos bienfaits.

 

Mais, après tout, Mathurin, le village,

 

Ces paysans, leurs mœurs et leur langage,

 

Ne m’ont jamais inspiré tant d’horreur ;

 

De mon esprit c’est une injuste erreur ;

 

Je la combats, mais elle a l’avantage.

 

En frémissant je fais ce mariage.

 

 

 

LE MARQUIS, approchant son fauteuil.

 

 

 

Mais vous n’avez pas tort.

 

 

 

ACANTHE, à genoux.

 

 

 

J’ose à genoux

 

Vous demander, non pas un autre époux,

 

Non d’autres nœuds, tous me seraient horribles,

 

Mais que je puisse avoir des jours paisibles :

 

Le premier bien serait votre bonté,

 

Et le second de tous, la liberté.

 

 

 

LE MARQUIS, la relevant avec empressement.

 

 

 

Eh ! relevez-vous donc… Que tout m’étonne

 

Dans vos desseins, et dans votre personne.

 

 

 

(Ils s’approchent.)

 

Dans vos discours, si nobles, si touchants,

 

Qui ne sont point le langage des champs,

 

Je l’avouerai, vous ne paraissez faite

 

Pour Mathurin ni pour cette retraite.

 

D’où tenez-vous, dans ce séjour obscur,

 

Un ton si noble, un langage si pur ?

 

Partout on a de l’esprit ; c’est l’ouvrage

 

De la nature, et c’est votre partage :

 

Mais l’esprit seul, sans éducation,

 

N’a jamais eu ni ce tour ni ce ton,

 

Qui me surprend… je dis plus, qui m’enchante.

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Ah ! que pour moi votre âme est indulgente !

 

Comme mon sort, mon esprit est borné.

 

Moins on attend, plus on est étonné.

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Quoi, dans ces lieux la nature bizarre

 

Aura voulu mettre une fleur si rare,

 

Et le destin veut ailleurs l’enterrer !

 

Non, belle Acanthe, il vous faut demeurer.

 

 

 

(Il s’approche.)

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Pour épouser Mathurin ?

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Sa personne

 

Mérite peu la femme qu’on lui donne,

 

Je l’avouerai.

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Mon père quelquefois

 

Me conduisait tout auprès de vos bois,

 

Chez une dame aimable et retirée,

 

Pauvre, il est vrai, mais noble et révérée,

 

Pleine d’esprit, de sentiments, d’honneur :

 

Elle daigne m’aimer ; votre faveur,

 

Votre bonté peut me placer près d’elle.

 

Ma belle-mère est avare et cruelle ;

 

Elle me hait ; et je hais malgré moi

 

Ce Mathurin qui compte sur ma foi.

 

Voilà mon sort, vous en êtes le maître

 

Je ne serai point heureuse peut-être ;

 

Je souffrirai ; mais je souffrirai moins

 

En devant tout à vos généreux soins.

 

Protégez-moi ; croyez qu’en ma retraite

 

Je resterai toujours votre sujette.

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Tout me surprend. Dites-moi, s’il vous plaît,

 

Celle qui prend à vous tant d’intérêt,

 

Qui vous chérit, ayant su vous connaître,

 

Serait-ce point Dormène ?

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Oui.

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Mais peut-être…

 

Il est aisé d’ajuster tout cela.

 

Oui… votre idée est très bonne… Oui, voilà

 

Un vrai moyen de rompre avec décence

 

Ce sot hymen, cette indigne alliance.

 

J’ai des projets… en un mot, voulez-vous

 

Près de Dormène un destin noble et doux ?

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

J’aimerais mieux la servir, servir Laure,

 

Laure est si bonne, et qu’à jamais j’honore,

 

Manquer de tout, goûter dans leur séjour

 

Le seul bonheur de vous faire ma cour,

 

Que d’accepter la richesse importune

 

De tout mari qui ferait ma fortune.

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Acanthe, allez… Vous pénétrez mon cœur :

 

Oui, vous pourrez, Acanthe, avec honneur

 

Vivre auprès d’elle… et dans mon château même.

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Auprès de vous ! ah, ciel !

 

 

 

LE MARQUIS, s’approche un peu.

 

 

 

Elle vous aime ;

 

Elle a raison… J’ai, vous dis-je, un projet ;

 

Mais je ne sais s’il aura son effet.

 

Et cependant vous voilà fiancée,

 

Et votre chaîne est déjà commencée,

 

La noce prête, et le contrat signé.

 

Le ciel voulut que je fusse éloigné

 

Lorsqu’en ces lieux on parait la victime :

 

J’arrive tard, et je m’en fais un crime.

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Quoi ! vous daignez me plaindre ? ah ! qu’à mes yeux

 

Mon mariage en est plus odieux !

 

Qu’il le devient chaque instant davantage !

 

 

 

(Ils s’approchent.)

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

Mais après tout, puisque de l’esclavage

 

 

 

(Il s’approche.)

 

 

 

Avec décence on pourra vous tirer…

 

 

 

ACANTHE, s’approchant un peu.

 

 

 

Ah ! le voudriez-vous ?

 

 

 

LE MARQUIS.

 

 

 

J’ose espérer…

 

Que vos parents, la raison, la loi même,

 

Et plus encor votre mérite extrême…

 

 

 

(Il s’approche encore.)

 

 

 

Oui, cet hymen est trop mal assorti.

 

 

 

(Il s’approche encore.)

 

 

 

Mais… le temps presse, il faut prendre un parti ;

 

Ecoutez-moi…

 

 

 

(Il se trouvent tout près l’un de l’autre.)

 

 

 

 

 

ACANTHE.

 

 

 

Juste ciel ! si j’écoute !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

le droit du seigneur - 12

Publié dans Le Droit du Seigneur

Commenter cet article