LA FEMME QUI A RAISON - Partie 6
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LA FEMME QUI A RAISON.
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ACTE TROISIÈME.
SCÈNE I.
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M. DURU.
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M. DURU.
J’ai beau frapper, crier, courir dans ce logis,
De ma femme à mon gendre, et du gendre à mon fils,
On répond en ronflant : les valets, les servantes,
Ont tout barricadé. Ces manœuvres plaisantes
Me déplaisent beaucoup : ces quatre extravagants,
Si vite mariés, sont au lit trop longtemps.
Et ma femme ! ma femme ! oh ! je perds patience.
Ouvrez, morbleu !
SCÈNE II.
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M. DURU, M. GRIPON, tenant le contrat et une écritoire à la main.
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M. GRIPON.
Je viens signer notre alliance.
M. DURU.
Comment, signer ?
M. GRIPON.
Sans, doute, et vous l’avez voulu :
Il faut conclure tout.
M. DURU.
Tout est assez conclu,
M. GRIPON.
Je viens pour consommer la chose.
M. DURU.
La chose est consommée.
M. GRIPON.
Oh ! oui, je me propose
De produire au grand jour ma Phlipotte et Phlipot.
Ils viennent.
M. DURU.
Quels discours !
M. GRIPON.
Tout est prêt, en un mot.
M. DURU.
Morbleu ! vous vous moquez ; tout est fait.
M. GRIPON.
Çà, compère,
Votre femme est instruite et prépare l’affaire.
M. DURU.
Je n’ai point vu ma femme : elle dort ; et mon fils
Dort avec votre fille ; et mon gendre au logis
Avec ma fille dort ; et tout dort. Quelle rage
Vous a fait cette nuit presser ce mariage ?
M. GRIPON.
Es-tu devenu fou ?
M. DURU.
Quoi ! mon fils ne tient pas
A présent dans son lit Phlipotte et ses appas ?
Les noces cette nuit n’auraient pas été faites ?
M. GRIPON.
Ma fille a cette nuit repassé ses cornettes :
Elle s’habille en hâte ; et mon fils, son cadet,
Pour épargner les frais, met le contrat au net.
M. DURU.
Juste ciel ! quoi ! ton fils n’est pas avec ma fille ?
M. GRIPON.
Non, sans doute.
M. DURU.
Le diable est donc dans ma famille ?
M. GRIPON.
Je le crois.
M. DURU.
Ah, fripons, femme indigne du jour !
Vous payerez bien cher ce détestable tour !
Lâches, vous apprendrez que c’est moi qui suis maître !
Approfondissons tout ; je prétends tout connaître :
Fais descendre mon fils : va, compère ; dis-lui
Qu’un ami de son père, arrivé d’aujourd’hui,
Vient lui parler d’affaire, et ne saurait attendre.
M. GRIPON.
Je vais te l’amener : il faut punir mon gendre ;
Il faut un commissaire, il faut verbaliser,
Il faut venger Phlipotte.
M. DURU.
Eh ! cours sans tant jaser.
M. GRIPON.
Cela pourra coûter quelque argent, mais n’importe !
M. DURU.
Eh ! va donc.
M. GRIPON.
Il faudra faire amener main-forte.
M. DURU.
Va, te dis-je.
M. GRIPON.
J’y cours.
SCÈNE III.
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M. DURU.
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M. DURU.
Ô voyage cruel !
Ô pouvoir marital, et pouvoir paternel !
Ô luxe ! maudit luxe ! invention du diable.
C’est toi qui corromps tout, perds tout, monstre exécrable !
Ma femme, mes enfants, de toi sont infectés :
J’entrevois là-dessous un tas d’iniquités,
Un amas de noirceurs, et surtout de dépenses
Qui me glacent le sang et redoublent mes transes.
Epouse, fille, fils, m’ont tous perdu d’honneur :
Je ne sais si je dois en mourir de douleur ;
Et, quoique de me pendre il me presse une envie,
L’argent qu’on a gagné fait qu’on aime la vie.
Ah ! j’aperçois, je crois, mon traître d’avocat :
Quel habit : pourquoi donc n’a-t-il point de rabat ?
SCÈNE IV.
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M. DURU, M. GRIPON, DAMIS.
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DAMIS, à M Gripon.
Quel est cet homme ? il a l’air bien atrabilaire.
M. GRIPON.
C’est le meilleur ami qu’ait monsieur votre père.
DAMIS.
Prête-t-il de l’argent ?
M. GRIPON.
En aucune façon ;
Car il en a beaucoup.
M. DURU.
Répondez, beau garçon,
Etes-vous avocat ?
DAMIS.
Point du tout.
M. DURU.
Ah ! le traître !
Etes-vous marié ?
DAMIS.
J’ai le bonheur de l’être.
M. DURU.
Et votre sœur ?
DAMIS.
Aussi. Nous avons cette nuit
Goûté d’un double hymen le tendre et premier fruit.
M. GRIPON.
Mariés !
M. DURU.
Scélérat !
M. GRIPON.
A qui donc ?
DAMIS.
A ma femme.
M. GRIPON.
A ma Phlipotte ?
DAMIS.
Non.
M. DURU.
Je me sens percer l’âme.
Quelle est-elle ? En un mot, vite répondez-moi.
DAMIS.
Vous êtes curieux, et poli, je le voi.
M. DURU.
Je veux savoir de vous celle qui, par surprise,
Pour braver votre père ici s’impatronise.
DAMIS.
Quelle est ma femme ?
M. DURU.
Oui, oui.
DAMIS.
C’est la sœur de celui
A qui ma propre sœur est unie aujourd’hui.
M. GRIPON.
Quel galimatias !
DAMIS.
La chose est toute claire.
Vous savez, cher Gripon, qu’un ordre de mon père
Enjoignait à ma mère, en termes très précis,
D’établir au plus tôt et sa fille et son fils.
M. DURU.
Eh bien ! traitre ?
DAMIS.
A cet ordre elle s’est asservie,
Non pas absolument, mais du moins en partie :
Il veut un prompt hymen ; il s’est fait promptement.
Il est vrai qu’on n’a pas conclu précisément
Avec ceux que sa lettre a nommés par sa clause ;
Mais le plus fort est fait, le reste est peu de chose.
Le marquis d’Outremont (1), l’un de nos bons amis,
Est un homme…
M. GRIPON.
Ah ! c’est là cet ami du logis :
On s’est moqué de nous ; je m’en doutais, compère.
M. DURU.
Allons, faites venir vite le commissaire,
Vingt huissiers.
DAMIS.
Eh ! qui donc êtes-vous, s’il vous plaît,
Qui daignez prendre à nous un si grand intérêt ?
Cher ami de mon père, apprenez que peut-être,
Sans mon respect pour lui, cette large fenêtre
Serait votre chemin pour vider la maison.
Dénichez de chez moi.
M. DURU.
Comment, maître fripon,
Toi me chasser d’ici ! toi, scélérat, faussaire,
Aigrefin, débauché, l’opprobre de ton père,
Qui n’es point avocat ?