LA FEMME QUI A RAISON - Partie 2
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LA FEMME QUI A RAISON.
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SCÈNE IV.
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MADAME DURU, LE MARQUIS, ÉRISE, DAMIS, MARTHE.
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MARTHE.
Voilà monsieur Gripon qui veut forcer la porte :
Il vient pour un grand cas, dit-il, qui vous importe ;
Ce sont ses propres mots. Faut-il qu’il entre ?
MADAME DURU.
Hélas !
Il le faut bien souffrir. Voyons quel est ce cas.
SCÈNE V.
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MADAME DURU, LE MARQUIS, ÉRISE,
DAMIS, MARTHE, M. GRIPON.
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MADAME DURU.
Si tard, monsieur Gripon, quel sujet vous attire !
M. GRIPON
Un bon sujet.
MADAME DURU.
Comment ?
M. GRIPON
Je m’en vais vous le dire.
DAMIS.
Quelque présent de l’Inde ?
M. GRIPON
Oh ! vraiment oui. Voici
L’ordre de votre père, et je le porte ici.
Ma fille est votre bru, mon fils est votre gendre ;
Ils le seront du moins, et sans beaucoup attendre.
Lisez.
(il lui donne une lettre.)
MADAME DURU.
L’ordre est très net. Que faire ?
M. GRIPON
A votre cher
Obéir sans réplique, et tout bâcler en bref.
Il reviendra bientôt ; et même, par avance,
Son commis vient régler des comptes d’importance.
J’ai peu de temps à perdre ; ayez la charité
De dépêcher la chose avec célérité.
MADAME DURU.
La proposition, mes enfants, doit vous plaire.
Comment la trouvez-vous ?
DAMIS, ÉRISE, ensemble.
Tout comme vous, ma mère.
LE MARQUIS, à M. Gripon.
De nos communs désirs il faut presser l’effet.
Ah que de cet hymen mon cœur est satisfait !
M. GRIPON.
Que ça vous satisfasse, ou que ça vous déplaise,
Ça doit importer peu.
LE MARQUIS.
Je ne me sens pas d’aise.
M. GRIPON.
Pourquoi tant d’aise ?
LE MARQUIS.
Mais … j’ai cette affaire à cœur.
M. GRIPON.
Vous ? à cœur mon affaire ?
LE MARQUIS.
Oui, je suis serviteur
De votre ami Duru, de toute la famille,
De madame sa femme, et surtout de sa fille.
Cet hymen est si cher, si précieux pour moi !...
Je suis le bon ami du logis.
M. GRIPON.
Par ma foi !
Ces amis du logis sont de mauvais augure.
Madame, sans amis, hâtons-nous de conclure.
ÉRISE.
Quoi ! sitôt ?
MADAME DURU.
Sans donner le temps de consulter,
De voir ma bru, mon gendre, et sans les présenter !
C’est pousser avec nous vivement : votre pointe.
M. GRIPON.
Pour se bien marier, il faut que la conjointe
N’ait jamais entrevu son conjoint.
MADAME DURU.
Oui ? d’accord ;
On s’en aime beaucoup mieux : mais je voudrais d’abord,
Moi mère, et qui dois voir le parti qu’il faut prendre,
Embrasser votre fille, et voir un peu mon gendre.
M. GRIPON.
Vous les voyez en moi, corps pour corps, trait pour trait,
Et ma fille Phlipotte est en tout mon portrait.
MADAME DURU.
Les aimables enfants !
DAMIS.
Oh ! monsieur, je vous jure
Qu’on ne sentit jamais une flamme plus pure.
M. GRIPON.
Pour ma Phlipotte ?
DAMIS.
Hélas ! pour cet objet vainqueur
Qui règne sur mes sens, et m’a donné son cœur.
M. GRIPON.
On ne t’a rien donné ; je ne puis te comprendre ;
Ma fille, ainsi que moi, n’a point l’âme si tendre.
(A Erise.)
Et vous, qui souriez, vous ne me dites rien ?
ÉRISE.
Je dis la même chose, et je vous promets bien
De placer les devoirs, les plaisirs de ma vie,
A plaire au tendre amant à qui mon cœur me lie.
M. GRIPON.
Il n’est point tendre amant, vous répondez fort mal.
LE MARQUIS.
Je vous jure qu’il l’est.
M. GRIPON.
Oh ! quel original !
L’ami de la maison, mêlez-vous, je vous prie,
Un peu moins de la fête, et des gens qu’on marie.
(Le marquis lui fait de grandes révérences.)
(A Madame Duru.)
Or çà j’ai réussi dans ma commission.
Je vois pour votre époux votre soumission ;
Il ne faut à présent qu’un peu de signature.
J’amènerai demain le futur, la future.
Vous aurez deux enfants, souples, respectueux,
Grands ménagers ; enfin on sera content d’eux.
Il est vrai qu’ils n’ont pas les grands airs du beau monde.
MADAME DURU.
C’est une bagatelle, et mon espoir se fonde
Sur les leçons d’un père, et sur leurs sentiments,
Qui valent cent fois mieux que ces dehors charmants.
DAMIS.
J’aime déjà leur grâce et simple et naturelle…
ÉRISE.
Leur bons sens, dont le père est le parfait modèle.
LE MARQUIS.
Je leur crois bien du goût.
M. GRIPON.
Ils n’ont rien de cela.
Que diable ici fait-on de ce beau monsieur-là ?
(A Madame Duru.)
A demain donc, madame : une noce frugale
Préparera sans bruit l’union conjugale.
Il est tard, et le soir jamais nous ne sortons.
DAMIS.
Eh ! que faites-vous donc vers le soir ?
M. GRIPON.
Nous dormons.
On se lève avant jour ; ainsi fait votre père :
Imitez-le dans tout pour vivre heureux sur terre.
Soyez sobre, attentif à placer votre argent ;
Ne donnez jamais rien, et prêtez rarement.
Demain, de grand matin, je reviendrai, madame.
MADAME DURU.
Pas si matin.
LE MARQUIS.
Allez ? vous nous ravissez l’âme.
M. GRIPON.
Cet homme me déplaît. Dès demain je prétends
Que l’ami du logis déniche de céans.
Adieu.
MARTHE, l’arrêtant par le bras.
Monsieur, un mot.
M. GRIPON.
Eh, quoi !
MARTHE.
Sans vous déplaire,
Peut-on vous proposer une excellente affaire ?
M. GRIPON.
Proposez.
MARTHE.
Vous donnez aux enfants du logis
Phlipotte votre fille, et Philpot votre fils ?
M. GRIPON.
Oui.
MARTHE.
L’on donne une dote en pareille aventure.
M. GRIPON.
Pas toujours.
MARTHE.
Vous pourriez, et je vous en conjure,
Partager par moitié vos généreux présents.
M. GRIPON.
Comment ?
MARTHE.
Payez la dot, et gardez vos enfants.
M. GRIPON, à madame Duru.
Madame, il nous faudra chasser cette donzelle ;
Et l’ami du logis ne me plaît pas plus qu’elle.
(Il s’en va, et tout le monde lui fait la révérence.)
SCÈNE VI.
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MADAME DURU, ÉRISE,
LE MARQUIS,DAMIS, MARTHE.
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MARTHE.
Eh bien ! vous laissez-vous tous les quatre effrayer
Par le malheureux cas de ce maître usurier ?
DAMIS.
Madame, vous voyez qu’il est indispensable
De prévenir soudain ce marché détestable.
LE MARQUIS.
Contre nos ennemis formons vite un traité
Qui mette pour jamais nos droits en sûretés.
Madame, on vous y force, et tout vous autorise,
Et c’est le sentiment de la charmante Erise
ÉRISE.
Je me flatte toujours d’être de votre avis.
DAMIS.
Hélas ! de vos bienfaits mon cœur s’est tout promis.
Il faut que le vilain qui tous nous inquiète,
En revenant demain, trouve la noce faite.
MADAME DURU.
Mais…
LE MARQUIS.
Les mais à présent deviennent superflus ;
Résolvez-vous, madame, ou nous sommes perdus.
MADAME DURU.
Le péril est pressant, et je suis bonne mère ;
Mais … à qui pourrons-nous recourir ?
MARTHE.
Au notaire,
A la noce, à l’hymen. Je prends sur moi le soin
D’amener à l’instant le notaire du coin,
D’ordonner le souper, de mander la musique :
S’il est quelque autre usage admis dans la pratique,
Je ne m’en mêle pas.
DAMIS.
Elle a grande raison ;
Et je veux que demain maître Isaac Gripon
Trouve en venant ici peu de choses à faire.
ÉRISE.
J’admire vos conseils et celui de mon frère.
MADAME DURU.
C’est votre avis à tous ?
DAMIS, ÉRISE, LE MARQUIS, ensemble..
Oui, ma mère.
MADAME DURU.
Fort bien ;
Je puis vous assurer que c’est aussi le mien.