TANCREDE - Partie 8

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TANCRÈDE.

 

 

 

 

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ACTE TROISIÈME.

 

(1)

 

SCÈNE II.

 

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TANCRÈDE, ses écuyers au fond.

 

 

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TANCRÈDE.

 

Il sera favorable ; et ce ciel qui me guide,

Ce ciel qui me ramène aux pieds d’Aménaïde,

Et qui, dans tous les temps, accorda sa faveur

Au véritable amour, au véritable honneur,

Ce ciel qui m’a conduit dans les tentes du Maure,

Parmi mes ennemis soutient ma cause encore.

Aménaïde m’aime, et son cœur me répond

Que le mien dans ces lieux ne peut craindre un affront.

Loin des camps des césars, et loin de l’Illyrie,

Je viens enfin pour elle au sein de ma patrie,

De ma patrie ingrate, et qui, dans mon malheur,

Après Aménaïde est si chère à mon cœur !

J’arrive : un autre ici l’obtiendrait de son père !

Et sa fille à ce point aurait pu me trahir ?

Quel est cet Orbassan ? Quel est ce téméraire ?

Quels sont donc les exploits dont il doit s’applaudir ?

Qu’a-t-il fait de si grand qui le puisse enhardir

A demander un prix qu’on doit à la vaillance,

Qui des plus grands héros serait la récompense,

Qui m’appartient du moins par les droits de l’amour ?

Avant de me l’ôter, il m’ôtera le jour.

Après mon trépas même elle serait fidèle.

L’oppresseur de mon sang ne peut régner sur elle.

Oui, ton cœur m’est connu, je n’en redoute rien,

Ma chère Aménaïde, il est tel que le mien,

Incapable d’effroi, de crainte, et d’inconstance.

 

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

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TANCRÈDE, ALDAMON.

 

 

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TANCRÈDE.

 

Ah ! trop heureux ami, tu sors de sa présence :

Tu vois  tous mes transports ; allons, conduis mes pas.

 

ALDAMON.

 

Vers ces funestes lieux, seigneur, n’avancez pas.

 

TANCRÈDE.

 

Que me dis-tu ? les peurs inondent ton visage !

 

ALDAMON.

 

Ah ! fuyez pour jamais ce malheureux rivage ;

Après les attentats que ce jour a produits,

Je n’y puis demeurer, tout obscur que je suis.

 

TANCRÈDE.

 

Comment ?...

 

ALDAMON.

 

Portez ailleurs ce courage sublime :

La gloire vous attend aux tentes des césars ;

Elle n’est point pour vous dans ces affreux remparts :

Fuyez ; vous n’y verriez que la honte et le crime.

 

TANCRÈDE.

 

De quels traits inouïs viens-tu percer mon cœur !

Qu’as-tu vu ? que t’a dit, que fait Aménaïde ?

 

ALDAMON.

 

J’ai trop vu vos desseins…Oubliez-la, seigneur.

 

TANCRÈDE.

 

Ciel ! Orbassan l’emporte ! Orbassan ! la perfide !

L’ennemi de son père, et mon persécuteur !

 

ALDAMON.

 

Son père a ce matin signé cet hyménée ;

Et la pompe fatale en était ordonnée…

 

TANCRÈDE.

 

Et je serais témoin de cet excès d’horreur !

 

ALDAMON.

 

Votre dépouille ici leur fut abandonnée,

Vos biens étaient sa dot. Un rival odieux,

Seigneur, vous enlevait le bien de vos aïeux.

 

TANCRÈDE.

 

Le lâche ! il m’enlevait ce qu’un héros méprise.

Aménaïde, ô ciel ! en ses mains est remise ?

Elle est à lui ?

 

ALDAMON.

 

Seigneur, ce sont les moindres coups

Que le ciel irrité vient de lancer sur vous.

 

TANCRÈDE.

 

Achève donc, cruel, de m’arracher la vie ;

Achève… parle… hélas !

 

ALDAMON.

 

Elle allait être unie

Au fier persécuteur de vos jours glorieux

Le flambeau de l’hymen s’allumait en ces lieux,

Lorsqu’on a reconnu quelle est sa perfidie :

C’est peu d’avoir changé, d’avoir trompé vos vœux,

L’infidèle, seigneur, vous trahissait tous deux.

 

TANCRÈDE.

 

Pour qui ?

 

ALDAMON.

 

Pour une main étrangère, ennemie,

Pour l’oppresseur altier de notre nation,

Pour Solamir.

 

TANCRÈDE.

 

O ciel ! ô trop funeste nom !

Solamir !... Dans Byzance il soupira pour elle :

Mais il fut dédaigné, mais je fus son vainqueur ;

Elle n’a pu trahir ses serments et mon cœur ;

Tant d’horreur n’entre point dans une âme si belle ;

Elle en est incapable.

 

ALDAMON.

 

A regret j’ai parlé ;

Mais ce secret horrible est partout révélé.

 

TANCRÈDE.

 

Ecoute : je connais l’envie et l’imposture :

Eh ! quel cœur généreux échappe à leur injure :

Proscrit dès mon berceau, nourri dans le malheur,

Mais toujours éprouvé, moi qui suis mon ouvrage,

Qui d’Etats en Etats ai porté mon courage,

Qui partout de l’envie ai senti la fureur,

Depuis que je suis né, j’ai vu la calomnie

Exhaler les venins de sa bouche impunie.

Chez les républicains, comme à la cour des rois (1).

Argire fut longtemps accusé par sa voix ;

Il souffrit comme moi : cher ami, je m’abuse,

Ou ce monstre odieux règne dans Syracuse ;

Ses serpents sont nourris de ces mortels poisons

Que dans les cœurs trompés jettent les factions.

De l’esprit de parti je sais quelle est la rage :

L’auguste Aménaïde en éprouve l’outrage.

Entrons : je veux la voir, l’entendre, et m’éclairer.

 

ALDAMON.

 

Ah ! seigneur, arrêtez : il faut donc tout vous dire ;

On l’arrache des bras du malheureux Argire ;

Elle est aux fers.

 

TANCRÈDE.

 

Qu’entends-je ?

 

ALDAMON.

 

Et l’on va la livrer.

Dans cette place même, au plus affreux supplice.

 

TANCRÈDE.

 

Aménaïde !

 

ALDAMON.

 

Hélas ! si c’est une justice,

Elle est bien odieuse ; on ose en murmurer,

On pleure ; mais, seigneur, on se borne à pleurer.

 

TANCRÈDE.

 

Aménaïde ! ô cieux !... Crois-moi, ce sacrifice,

Cet horrible attentat ne s’achèvera pas.

 

ALDAMON.

 

Le peuple au tribunal précipite ses pas :

Il la plaint, il gémit, en la nommant perfide ;

Et d’un cruel spectacle indignement avide,

Turbulent, curieux avec compassion,

Il s’agite en tumulte autour de la prison.

Etrange empressement de voir des misérables !

On hâte en gémissant ces moments formidables.

Ces portiques, ces lieux que vous voyez déserts,

De nombreux citoyens seront bientôt couverts.

Eloignez-vous, venez.

 

TANCRÈDE.

 

Quel vieillard vénérable

Sort d’un temple en tremblant, les yeux baignés de pleurs ?

Ses suivants consternés imitent ses douleurs.

 

ALDAMON.

 

C’est Argire, seigneur, c’est ce malheureux père…

 

TANCRÈDE.

 

Retire-toi… surtout ne me découvre pas.

Que je le plains !

 

 

 

TANCREDE - Partie 7

 

 

 

1 – Voyez plus loin la note des éditeurs de Kehl. (G.A.)

 

 

 

 

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