SIECLE DE LOUIS XIV - Chapitre XXXVI - Du calvinisme - Partie 2

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SIÈCLE DE LOUIS XIV

 

PAR

 

VOLTAIRE

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XXXVI.

 

 

 

DU CALVINISME AU TEMPS DE LOUIS XIV.

 

 

 

‒ PARTIE 2 ‒

 

 

 

 

 

          Tous les édits qu’on leur avait accordés jusqu’alors avaient été des traités avec les rois. Richelieu voulut que celui qu’il fit rendre fût appelé l’édit de grâce (1). Le roi y parla en souverain qui pardonne. On ôta l’exercice de la nouvelle religion à La Rochelle, à l’île de Ré, à Oléron, à Privas, à Pamiers ; du reste, on laissa subsister l’édit de Nantes, que les calvinistes regardèrent toujours comme leur loi fondamentale.

 

          Il paraît étrange que le cardinal de Richelieu, si absolu et si audacieux, n’abolit pas ce fameux édit : il eut alors une autre vue, plus difficile peut-être à remplir, mais non moins conforme à l’étendue de son ambition et à la hauteur de ses pensées. Il rechercha la gloire de subjuguer les esprits ; il s’en croyait capable par ses lumières, par sa puissance et par sa politique. Son projet était de gagner quelques prédicants que les réformés appelaient alors ministres, et qu’on nomme aujourd’hui pasteurs ; de leur faire d’abord avouer que le culte catholique n’était pas un crime devant Dieu, de les mener ensuite par degrés, de leur accorder quelques points peu importants, et de paraître aux yeux de la cour de Rome ne leur avoir rien accordé. Il comptait éblouir une partie des réformés, séduire l’autre par les présents et par les grâces, et avoir enfin toutes les apparences de les avoir réunis à l’Eglise, laissant au temps à faire le reste, et n’envisageant que la gloire d’avoir ou fait ou préparé ce grand ouvrage et de passer pour l’avoir fait. Le fameux capucin Joseph d’un côté, et deux ministres gagnés de l’autre, entamèrent cette négociation. Mais il parut que le cardinal de Richelieu avait trop présumé, et qu’il est plus difficile d’accorder des théologiens que de faire des digues sur l’Océan.

 

          Richelieu, rebuté, se proposa d’écraser les calvinistes (2). D’autres soins l’en empêchèrent. Il avait à combattre à la fois les grands du royaume, la maison royale, toute la maison d’Autriche et souvent Louis XIII lui-même. Il mourut enfin, au milieu de tous ces orages, d’une mort prématurée. Il laissa tous ses desseins encore imparfaits, et un nom plus éclatant que cher et vénérable.

 

          Cependant, après la prise de La Rochelle et l’édit de grâce, les guerres civiles cessèrent, et il n’y eut plus que des disputes. On imprimait de part et d’autre de ces gros livres qu’on ne lit plus. Le clergé, et surtout les jésuites, cherchaient à convertir des huguenots. Les ministres tâchaient d’attirer quelques catholiques à leurs opinions. Le conseil du roi était occupé à rendre des arrêts pour un cimetière que les deux religions se disputaient dans un village, pour un temple bâti sur un fonds appartenant autrefois à l’Eglise, pour des écoles, pour des droits de châteaux, pour des enterrements, pour des cloches ; et rarement les réformés gagnaient leurs procès. Il n’y eut plus après tant de dévastations et de saccagements que ces petites épines. Les huguenots n’eurent plus de chef depuis que le duc de Rohan cessa de l’être, et que la maison de Bouillon n’eut plus Sedan. Ils se firent même un mérite de rester tranquilles au milieu des factions de la Fronde et des guerres civiles que des princes, des parlements et des évêques excitèrent, en prétendant servir le roi contre le cardinal Mazarin.

 

          Il ne fut presque point question de religion pendant la vie de ce ministre. Il ne fit nulle difficulté de donner la place de contrôleur-général des finances, à un calviniste étranger, nommé Hervart (3). Tous les réformés entrèrent dans les fermes, dans les sous-fermes, dans toutes les places qui en dépendent.

 

          Colbert, qui ranima l’industrie de la nation, et qu’on peut regarder comme le fondateur du commerce, employa beaucoup de huguenots dans les arts, dans les manufactures, dans la marine. Tous ces objets utiles, qui les occupaient, adoucirent peu à peu dans eux la fureur épidémique de la controverse ; et la gloire qui environna cinquante ans Louis XIV, sa puissance, son gouvernement ferme et vigoureux, ôtèrent au parti réformé, comme à tous les ordres de l’Etat, toute idée de résistance. Les fêtes magnifiques d’une cour galante jetaient même du ridicule sur le pédantisme des huguenots. A mesure que le bon goût se perfectionnait, les psaumes de Marot et de Bèze ne pouvaient plus insensiblement inspirer que du dégoût. Ces psaumes, qui avaient charmé la cour de François II, n’étaient plus faits que pour la populace sous Louis XIV. La saine philosophie, qui commença vers le milieu de ce siècle à percer un peu dans le monde, devait encore dégoûter à la longue les honnêtes gens des disputes de controverse.

 

          Mais, en attendant que la raison se fît peu à peu écouter des hommes, l’esprit même de dispute pouvait servir à entretenir la tranquillité de l’Etat ; car les jansénistes commençant alors à paraître avec quelque réputation, ils (4) partageaient les suffrages de ceux qui se nourrissent de ces subtilités : ils écrivaient contre les jésuites et contre les huguenots : ceux-ci répondaient aux jansénistes et aux jésuites : les luthériens de la province d’Alsace écrivaient contre eux tous. Une guerre de plume entre tant de partis, pendant que l’Etat était occupé de grandes choses, et que le gouvernement était tout-puissant, ne pouvait devenir en peu d’années qu’une occupation de gens oisifs, qui dégénère tôt ou tard en indifférence.

 

          Louis XIV était animé contre les réformés, par les remontrances continuelles de son clergé, par les insinuations des jésuites, par la cour de Rome, et enfin par le chancelier Le Tellier et Louvois, son fils, tous deux ennemis de Colbert, et qui voulaient perdre les réformés comme rebelles, parce que Colbert les protégeait comme des sujets utiles. Louis XIV, nullement instruit d’ailleurs du fond de leur doctrine, les regardait, non sans quelque raison, comme d’anciens révoltés soumis avec peine. Il s’appliqua d’abord à miner par degrés, de tous côtés, l’édifice de leur religion : on leur ôtait un temple sur le moindre prétexte : on leur défendit d’épouser des filles catholiques, et, en cela, on ne fut pas peut-être assez politique : c’était ignorer le pouvoir d’un sexe que la cour pourtant connaissait si bien. Les intendants et les évêques tâchaient, par les moyens les plus plausibles, d’enlever aux huguenots leurs enfants. Colbert eut ordre, en 1681, de ne plus recevoir aucun homme de cette religion dans les fermes. On les exclut, autant qu’on le put, des communautés des arts et métiers. Le roi, en les tenant ainsi sous le joug, ne l’appesantissait pas toujours. On défendit par des arrêts toute violence contre eux. On mêla les insinuations aux sévérités, et il n’y eut alors de rigueur qu’avec les formalités de la justice.

 

          On employa surtout un moyen souvent efficace de conversion : ce fut l’argent ; mais on ne fit pas assez d’usage de ce même Pellisson, longtemps calviniste, si connu par ses ouvrages, par une éloquence pleine d’abondance, par son attachement au surintendant Fouquet, dont il avait été le premier commis, le favori et la victime. Il eut le bonheur d’être éclairé et de changer de religion, dans un temps où ce changement pouvait le mener aux dignités et à la fortune. Il prit l’habit ecclésiastique, obtint des bénéfices et une place de maître des requêtes. Le roi lui confia le revenu des abbayes de Saint-Germain des Prés et de Cluny, vers l’année 1677, avec les revenus du tiers des économats, pour être distribués à ceux qui voudraient se convertir. Le cardinal Lecamus, évêque de Grenoble, s’était déjà servi de cette méthode. Pellisson, chargé de ce département, envoyait l’argent dans les provinces. On tâchait d’opérer beaucoup de conversions pour peu d’argent. De petites sommes, distribuées à des indigents, enflaient la liste que Pellisson présentait au roi tous les trois mois, en lui persuadant que tout cédait dans le monde à sa puissance ou à ses bienfaits (5).

 

          Le conseil, encouragé par ces petits succès, que le temps eût rendus plus considérables, s’enhardit, en 1681, à donner une déclaration par laquelle les enfants étaient reçus à renoncer à leur religion à l’âge de sept ans (6) ; et à l’appui de cette déclaration, on prit dans les provinces beaucoup d’enfants pour les faire abjurer, et on logea des gens de guerre chez les parents.

 

          Ce fut cette précipitation du chancelier Le Tellier et de Louvois, son fils, qui fit d’abord déserter, en 1681, beaucoup de familles du Poitou, de la Saintonge, et des provinces voisines. Les étrangers se hâtèrent d’en profiter.

 

          Les rois d’Angleterre et de Danemark, et surtout la ville d’Amsterdam, invitèrent les calvinistes de France à se réfugier dans leurs Etats, et leur assurèrent une subsistance. Amsterdam s’engagea même à bâtir mille maisons pour les fugitifs.

 

          Le conseil vit les suites dangereuses de l’usage trop prompt de l’autorité, et crut y remédier par l’autorité même. On sentait combien étaient nécessaires les artisans dans un pays où le commerce florissait, et les gens de mer dans un temps où l’ont établissait une puissante marine. On ordonna la peine des galères contre ceux de ces professions qui tenteraient de s’échapper.

 

          On remarqua que plusieurs familles calvinistes vendaient leurs immeubles. Aussitôt parut une déclaration qui confisqua tous ces immeubles, en cas que les vendeurs sortissent dans un an du royaume. Alors la sévérité redoubla contre les ministres. On interdisait leurs temples sur la plus légère contravention. Toutes les rentes laissées par testament aux consistoires furent appliquées aux hôpitaux du royaume.

 

          On défendit aux maîtres d’école calvinistes de recevoir des pensionnaires. On mit les ministres à la taille ; on ôta la noblesse aux maires protestants. Les officiers de la maison du roi, les secrétaires du roi, qui étaient protestants, eurent ordre de se défaire de leurs charges. On n’admit plus ceux de cette religion ni parmi les notaires, les avocats, ni même dans la fonction de procureur.

 

          Il était enjoint à tout le clergé de faire des prosélytes, et il était défendu aux pasteurs réformés d’en faire, sous peine de bannissement perpétuel. Tous ces arrêts étaient publiquement sollicités par le clergé de France. C’était, après tout, les enfants de la maison, qui ne voulaient point de partage avec des étrangers introduits par force.

 

          Pellisson continuait d’acheter des convertis ; mais madame Hervart, veuve du contrôleur général des finances, animée de ce zèle de religion qu’on a remarqué de tout temps dans les femmes, envoyait autant d’argent pour empêcher les conversions que Pellisson pour en faire… [illisible].

 

(1682) Enfin les huguenots osèrent désobéir en quelques endroits. Ils s’assemblèrent dans le Vivarais et dans le Dauphiné, près des lieux où l’on avait démoli leurs temples. On les attaqua ; ils se défendirent. Ce n’était qu’une très légère étincelle du feu des anciennes guerres civiles. Deux ou trois cents malheureux, sans chef, sans places, et même sans desseins, furent dispersés en un quart d’heure : les supplices suivirent leur défaite. L’intendant du Dauphiné fit rouer le petit-fils du pasteur Chamier, qui avait dressé l’édit de Nantes. Il est au rang des plus fameux martyrs de la secte, et ce nom de Chamier a été longtemps en vénération chez les protestants.

 

          (1683) L’intendant du Languedoc (7) fit rouer vif le prédicant Chomel. On condamna trois autres au même supplice, et dix à être pendus : la fuite qu’ils avaient prise les sauva, et ils ne furent exécutés qu’en effigie.

 

          Tout cela inspirait la terreur, et en même temps augmentait l’opiniâtreté. On sait trop que les hommes s’attachent à leur religion à mesure qu’ils souffrent pour elle.

 

          Ce fut alors qu’on persuada au roi qu’après avoir envoyé des missionnaires dans toutes les provinces, il fallait y envoyer des dragons. Ces violences parurent faites à contretemps ; elles étaient les suites de l’esprit qui régnait alors à la cour, que tout devait fléchir au nom de Louis XIV. On ne songeait pas que les huguenots n’étaient plus ceux de Jarnac, de Moncontour et de Coutras ; que la rage des guerres civiles était éteinte ; que cette longue maladie était dégénérée en langueur ; que tout n’a qu’un temps chez les hommes ; que si les pères avaient été rebelles sous Louis XIII, les enfants étaient soumis sous Louis XIV. On voyait en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, plusieurs sectes, qui s’étaient mutuellement égorgées le siècle passé, vivre maintenant en paix dans les mêmes villes (8). Tout prouvait qu’un roi absolu pouvait être également bien servi par des catholiques et par des protestants. Les luthériens d’Alsace en étaient un témoignage authentique. Il parut enfin que la reine Christine avait eu raison de dire dans une de ses lettres, à l’occasion de ces violences et de ces émigrations : « Je considère la France comme un malade à qui l’on coupe bras et jambes, pour le traiter d’un mal que la douceur et la patience auraient entièrement guéri. »

 

          Louis XIV, qui, en se saisissant de Strasbourg, en 1681, y protégeait le luthéranisme (9), pouvait tolérer dans ses Etats le calvinisme, que le temps aurait pu abolir, comme il diminue un peu, chaque jour, le nombre des luthériens en Alsace. Pouvait-on imaginer qu’en forçant un grand nombre de sujets, on n’en perdrait pas un plus grand nombre, qui, malgré les édits et malgré les gardes, échapperait par la fuite à une violence regardée comme une horrible persécution ? Pourquoi, enfin, vouloir faire haïr à plus d’un million d’hommes un nom cher et précieux, auquel et protestants et catholiques, et Français et étrangers, avaient alors joint celui de grand ? La politique même semblait pouvoir engager à conserver les calvinistes, pour les opposer aux prétentions continuelles de la cour de Rome. C’était en ce temps-là même que le roi avait ouvertement rompu avec Innocent XI, ennemi de la France. Mais Louis XIV, conciliant les intérêts de sa religion et ceux de sa grandeur, voulut à la fois humilier le pape d’une main et écraser le calvinisme de l’autre.

 

          Il envisageait, dans ces deux entreprises, cet éclat de gloire dont il était idolâtre en toutes choses. Les évêques, plusieurs intendants, tout le conseil (10), lui persuadèrent que ses soldats, en se montrant seulement, achèveraient ce que ses bienfaits et les missions avaient commencé. Il crut n’user que d’autorité ; mais ceux à qui cette autorité fut commise usèrent d’une extrême rigueur.

 

 SIECLE LOUIS XIV - CALVINISME - 2

 

 

1 – 1629. (G.A.)

 

2 – D’autres prétendent qu’il n’eut jamais cette intention. (G.A.)

 

3 – Il avait fondé à Paris une maison de banque. (G.A.)

 

4 – Ils est une incorrection. (G.A.)

 

5 – Le prix moyen d’une conversion était de six francs. Ajoutons pourtant que les six francs une fois reçus, les nouveaux baptisés revenaient au protestantisme ; si bien qu’on dut publier une déclaration contre les relaps. (G.A.)

 

6 – L’ordonnance du 17 Juin 1681 porte qu’il est permis aux enfants de sept ans de quitter leurs parents et de se convertir. Une autre ordonnance en date du 4 Juillet porte qu’on s’est trompé en croyant que le roi défend de maltraiter les protestants. (G.A.)

 

7 – D’Aguesseau, père du célèbre chancelier. En 1685, on le remplaça, comme trop modéré, par Lamoignon de Bâville. (G.A.)

 

8 – Cela n’est pas exact pour l’Angleterre. Jacques II persécutait en Ecosse les puritains. (G.A.)

 

9 – C’est-à-dire qu’il dut par traité garantir le maintien des privilèges ecclésiastiques et politiques ; mais la cathédrale fut rendue au catholicisme et il y alla en personne pour la cérémonie. (G.A.)

 

10 – Et surtout Louvois. (G.A.)

 

 

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