SATIRES - LE RUSSE A PARIS - Partie 1
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LE RUSSE A PARIS.
(1)
PETIT POÈME EN VERS ALEXANDRINS, COMPOSÉ A PARIS,
AU MOIS DE MAI 1760, PAR M. IVAN ALETHOF,
SECRÉTAIRE DE L’AMBASSADE RUSSE.
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Tout le monde sait que M. Alethof ayant appris le français à Archangel, dont il était natif, cultiva les belles-lettres avec une ardeur incroyable, et y fit des progrès plus incroyables encore : ses travaux ruinèrent sa santé. Il était aisé à émouvoir comme Horace, irasci celer ; il ne pardonnait jamais aux auteurs qui l’ennuyaient. Un livre du sieur Gauchat, et un discours du sieur Le Franc de Pompignan, le mirent dans une telle colère qu’il en eut une fluxion de poitrine. Depuis ce temps il ne fit que languir, et mourut à Paris le 1er juin 1760, avec tous les sentiments d’un vrai catholique grec, persuadé de l’infaillibilité de l’Eglise grecque. Nous donnons au public son dernier ouvrage, qu’il n’a pas eu le temps de perfectionner ; c’est grand dommage : mais nous nous flattons d’imprimer dans peu ses autres poèmes, dans lesquels on trouvera plus d’érudition, et un style beaucoup plus châtié.
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DIALOGUE D’UN PARISIEN ET D’UN RUSSE.
(2)
LE PARISIEN.
Vous avez donc franchi les mers hyperborées,
Ces immenses déserts et ces froides contrées
Où le fils d’Alexis (3), instruisant tous les rois,
A fait naître les arts, et les mœurs, et les lois !
Pourquoi vous dérober aux sept astres de l’Ourse,
Beaux lieux où nos Français, dans leur savante course,
Allèrent, de Borée arpentant l’horizon,
Geler auprès du pôle aplati par Newton (4) ;
Et de ce grand projet utile à cent couronnes (5),
Avec un quart de cercle enlever deux Lapones (6) ?
Est-ce un pareil dessein qui vous conduit chez nous ?
LE RUSSE.
Non, je viens m’éclairer, m’instruire auprès de vous,
Voir un peuple fameux, l’observer et l’entendre.
LE PARISIEN.
Au bord de l’occident que pouvez-vous apprendre ?
Dans vos vastes Etats vous touchez à la fois
Au pays de Christine (7), à l’empire chinois :
Le héros de Narva sentit votre vaillance (8) ;
Le brutal janissaire a tremblé dans Byzance ;
Les hardis Prussiens ont été terrassés (9) ;
Et, vainqueurs en tous lieux, vous en savez assez.
LE RUSSE.
J’ai voulu voir Paris : les fastes de l’histoire
Célèbrent ses plaisirs et consacrent sa gloire.
Tout mon cœur tressaillait à ces récits pompeux
De vos arts triomphants, de vos aimables jeux.
Quels plaisirs, quand vos jours marqués par vos conquêtes,
S’embellissaient encore à l’éclat de vos fêtes !
L’étranger admirait dans votre auguste cour
Cent filles de héros conduites par l’Amour ;
Ces belles Montbazons, ces Châtillons brillantes,
Ces piquantes Bouillons, ces Nemours si touchantes,
Dansant avec Louis sous des berceaux de fleurs (10),
Et du Rhin subjugué couronnant les vainqueurs ;
Perrault du Louvre auguste élevant la merveille ;
Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille (11) ;
Tandis que, plus aimable, et plus maître des cœurs,
Racine, d’Henriette exprimant les douleurs (12),
Et voilant ce beau nom du nom de Bérénice,
Des feux les plus touchants peignait le sacrifice.
Cependant un Colbert, en vos heureux remparts,
Ranimait l’industrie, et rassemblait les arts :
Tous ces arts en triomphe amenaient l’abondance.
Sur cent châteaux ailés les pavillons de France (13),
Bravant ce peuple altier, complice de Cromwell,
Effrayaient la Tamise et les ports du Texel.
Sans doute les beaux fruits de ces âges illustres,
Accus par la culture et mûris par vingt lustres.
Sous vos savantes mains ont un nouvel éclat.
Le temps doit augmenter la splendeur de l’Etat ;
Mais je la cherche en vain dans cette ville immense.
LE PARISIEN.
Aujourd’hui l’on étale un peu moins d’opulence.
Nous nous sommes défaits d’un luxe dangereux (14) ;
Les esprits sont changés, et les temps sont fâcheux.
LE RUSSE.
Et que vous reste-t-il de vos magnificences ?
LE PARISIEN.
Mais… nous avons souvent de belles remontrances (15) ;
Et le nom d’Ysabeau (16), sur un papier timbré,
Est dans tous nos périls un secours assuré.
LE RUSSE.
C’est beaucoup ; mais enfin, quand la riche Angleterre
Epuise ses trésors à vous faire la guerre,
Les papiers d’Ysabeau ne vous suffiront pas :
Il faut des matelots, des vaisseaux, des soldats…
LE PARISIEN.
Nous avons à Paris de plus grandes affaires.
LE RUSSE.
Quoi donc ?
LE PARISIEN.
Jansénius… la bulle… ses mystères (17).
De deux sages partis les cris et les efforts,
Et des billets sacrés payables chez les morts (18),
Et des convulsions (19), et des réquisitoires,
Rempliront de nos temps les brillantes histoires.
Le Franc de Pompignan, par ses divins écrits (20),
Plus que Palissot même occupe nos esprits (21) ;
Nous quittons et la Foire et l’Opéra-Comique,
Pour juger de Le Franc le style académique.
Le Franc de Pompignan dit à tout l’univers
Que le roi lit sa prose et même encor ses vers.
L’univers pendant voit nos apothicaires
Combattre en parlement les jésuites leurs frères (22) ;
Car chacun vend sa drogue, et croit sur son pailler
Fixer, comme Le France, les yeux du monde entier
Que dit-on dans Moscou de ces nobles querelles ?
LE RUSSE.
En aucun lieu du monde on ne m’a parlé d’elles.
Le Nord, la Germanie, où j’ai porté mes pas,
Ne savent pas un mot de ces fameux débats.
LE PARISIEN.
Quoi ! du clergé français la gazette prudente (23)
Cet ouvrage immortel que le pur zèle enfante,
Le Journal du chrétien, le Journal de Trévoux (24),
N’ont point passé les mers et volé jusqu’à vous ?
LE RUSSE.
Non.
LE PARISIEN.
Quoi ! vous ignorez des mérites si rares ?
LE RUSSE.
Nous n’en avons jamais rien appris.
LE PARISIEN.
Les barbares !
Hélas ! en leur faveur mon esprit abusé
Avait cru que le Nord était civilisé.
1 – Le Russe à Paris est du mois de juin 1760. En ce moment, Voltaire travaillait à son Histoire de Pierre-le-Grand, et venait de recevoir la visite du jeune Soltikof. (G.A.)
2 – « Nous avons rétabli, disent les éditeurs de Kehl, les notes de cette satire d’après les premières éditions. L’auteur avait cru devoir en supprimer quelques-unes. Ce qui occupait les esprits en 1760 était oublié en 1775. Il faut se rappeler, en les lisant, l’époque où elles ont été faites, et la nécessité où se trouvait Voltaire de dévoiler l’hypocrisie des hommes qui, sous le masque du patriotisme, comme sous le manteau de la religion, cherchaient à perdre auprès de Louis XV, des écrivains vertueux et amis du bien public, dont tout le crime était d’avoir excité leur envie, ou blessé leur orgueil. » (G.A.)
3 – Pierre-le-Grand. (G.A.)
4 – Ce furent Huygens et Newton qui prouvèrent, le premier par la théorie des forces centrifuges, le second par celle de la gravitation, que le globe doit être un peu aplati aux pôles, et un peu élevé à l’équateur ; que par conséquent les degrés du méridien sont plus petits à l’équateur, et au pôle un peu plus longs. La différence, selon Newton, c’est d’un deux cent trentième, et, selon Huygens, d’un cinq cent soixante-dix-huitième.
On trouva au contraire, par les mesures prises en France, que les degrés du méridien étaient plus grands au sud qu’au nord. De là on conclut que la terre était aplatie au pôle, comme Newton et Huygens l’avaient prouvé par une théorie sûre. C’était tout justement le contraire de ce qu’on devait conclure. Les mesures de France étaient fausses, et la conclusion plus fausse encore.
Cette affaire ne fut portée ni au parlement ni en Sorbonne, comme celle de l’inoculation y a été déférée. L’Académie des sciences se rétracta au bout de vingt ans, et Fontenelle avoua dans son histoire que, si les degrés étaient plus longs vers le nord, la terre devait être aplatie au pôle.
Cela fait voir qu’on s’était non seulement trompé en France sur la théorie, mais qu’on s’était aussi trompé dans les mesures. (1771) – Les erreurs qu’elles renfermaient ont été reconnues et corrigées depuis. Il est prouvé que la terre est aplatie, comme les expériences du pendule l’avaient prouvé, comme les lois de l’équilibre des fluides paraissent l’exiger. La proportion des axes de la terre s’approche davantage de celle de Newton, que la force de la pesanteur est le résultat de la force attractive de tous les éléments de la terre, et non une force dirigée vers le centre, suivant l’hypothèse de Huygens ; mais les observations du pendule ne sont pas d’accord avec les mesures des degrés du méridien, dans l’hypothèse de la terre homogène, et ces mesures ne s’accordent pas à donner à la terre une figure régulière. (K.)
5 – Moreau de Maupertuis fit accroître au cardinal de Fleury que cette dispute purement philosophique intéressait tous les navigateurs, qu’il y allait de leur vie. Il n’y allait certainement que de la curiosité. (1771) – Voltaire plaisante ici. (G.A.)
6 – C’étaient deux filles de Tornéa, qui étaient sœurs. Le père commença un procès criminel contre Maupertuis ; mais on ne put du cercle polaire envoyer à Paris un huissier. (1771)
7 – La Suède. (G.A.)
8 – Charles XII. (G.A.)
9 – Voyez le chapitre XXXIII du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)
10 – Vers célèbre. (G.A.)
11 – Cela est vrai à la lettre. Il y avait à la fête de Versailles de grands berceaux de verdure, ornés de fleurs qui formaient des dessins pittoresques. Ce fut là que Louis XIV, qui était dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté, dansa avec mademoiselle de La Vallière et d’autres dames. (1771)
12 – Rien n’est plus connu que l’histoire de la tragédie de Bérénice. La princesse Henriette d’Angleterre, fille de Charles Ier, et femme de Monsieur, frère unique de Louis XIV, donna ce sujet à traiter à Corneille et à Racine. On sait comment Corneille en fit une tragédie aussi froide et aussi ennuyeuse que mal écrite ; et comment Racine en fit une pièce très touchante, malgré ses défauts. (1771)
13 – Louis XIV était parvenu jusqu’à garnir ses ports de près de deux cents vaisseaux de guerre. (1771)
14 – Cela fut écrit en 1760, temps auquel le malheur des temps, les disgrâces dans la guerre, et la mauvaise administration des finances, avaient obligé le roi et la plupart des gens riches à faire porter à la Monnaie une grande partie de leur vaisselle d’argent. On servait alors les potages et les ragoûts dans des plats de faïence qu’on appelait des culs noirs. (1771)
15 – On n’a pas ici la témérité de vouloir jeter le plus léger soupçon de partialité sur les remontrances ; le zèle les dicte, la bonté les reçoit, l’équité y a souvent égard. On observe seulement que lorsque les Anglais se ruinent pour désoler nos côtes, insulter nos ports, détruire nos colonies et notre commerce, nous devons donner quelque chose pour nous défendre. Certes, en voyant notre roi se défaire de sa vaisselle d’argent, et se priver de ce qui fait le nécessaire d’un monarque, quel est le citoyen qui ne suivra pas un exemple si noble et si touchant ? (1760)
16 – Greffier au parlement de Paris. (1760)
17 – La querelle de la bulle Unigentus fut un de ces ridicules sérieux qui ont troublé la France assez longtemps. On n’ignore pas que Louis XIV eut le malheur de se mêler des disputes absurdes entre les jansénistes et les molinistes ; que cette extravagance jeta de l’amertume sur la fin de ses jours, et que cette guerre théologique, pour n’avoir pas été assez méprisée, renaquit ensuite assez violemment. C’était la honte de l’esprit humain ; mais on était accoutumé à cette honte. (1771)
18 – Valère Maxime (lib II, cap. VI, De ext. Instit.) dit que les druides prêtaient de l’argent aux pauvres, à la charge qu’ils le rendraient en l’autre monde. (Posthume.)
19 – La folie inconcevable des convulsions fut un des fruits de la bulle Unigentus. Il y en avait encore en 1760, et elles avaient commencé en 1724. Sans les philosophes, qui jetèrent sur cette démence infâme tout le ridicule qu’elle méritait, cette fureur de l’esprit de parti aurait eu des suites très dangereuses. (1771).
20 – M. le Franc de Pompignan, dans un Mémoire qu’il dit avoir présenté au roi en 1760, s’exprime ainsi, page 17 : « Il faut que tout l’univers sache que… le roi s’est occupé de mon discours, non comme d’une nouveauté passagère, mais comme d’une production digne de l’attention particulière des souverains. »
Quel producteur que ce Pompignan ! quelle modestie ! de quel ton il parle à l’univers ! comme l’univers est occupé de lui !
Ce même Le Franc de Pompignan dit, page 10 : « Un homme de ma naissance et de mon état ! » La naissance de Le Franc !
Ce même Le Franc de Pompignan dit encore que, pendant qu’il était juge des aides en Quercy, il écrivait de la prose pour l’utilité de ses compatriotes. Voici la prose utile de M. Le Franc de Pompignan. Il eut la bonté, en 1756, d’écrire au roi, et de lui reprocher le bien que le roi faisait à la nation, en faisant lui-même, à Trianon, l’essai de la méthode de remédier à la carie des blés. Sa Majesté daigna faire envoyer la recette dans toutes les provinces : c’est une de ses attentions paternelles pour son peuple ; nous l’en bénissons, nos enfants l’en béniront. M. le Franc de Pompignan semble insulter à sa bienfaisance ; il lui dit : « Ces expériences ne rendront pas nos champs moins incultes. Le parc de Versailles ne décide pas de l’état de nos campagnes. Vous traitez vos sujets plus impitoyablement que des forçats ; on exerce sur eux des vexations horribles : sortez de l’enceinte de votre palais somptueux, vous verrez un royaume qui sera bientôt un désert… »
Telle est la prose coulante et agréable du sieur Le Franc de Pompignan. Le roi n’a jamais donné un plus grand exemple de clémence qu’en daignant pardonner à ce bourgeois de Quercy un peu trop vif. Est-ce à ce titre qu’on l’a reçu à l’Académie ?
Le même Le Franc de Pompignan, auteur du Voyage de Provence, de la Prière du Déiste et de quelques psaumes traduits en vers bien durs, et de plusieurs pièces de théâtre, dont une seule a pu être jouée, nie qu’on lui ait refusé quelque temps les provisions de sa charge en Quercy pour le punir de la Prière du Déiste, parce que qu’il fut d’ailleurs suspendu de sa charge en Quercy pour une autre affaire qui arriva dans un bal en Quercy. Nous n’entrerons point dans ces détails : nous nous contenterons d’observer que ce n’est pas sans raison qu’un père de la doctrine chrétienne lui a dit :
Pour vivre un peu joyeusement,
Croyez-moi, n’offensez personne :
C’est un petit avis qu’on donne
Au sieur Le Franc de Pompignan.
Il peut, sur cet article, présenter un mémoire à l’univers. (G.A.)
21 – Palissot de Montenoi fit jouer par les comédiens français une comédie intitulée les Philosophes, le 2 mai 1760. Il a eu le malheur, dans cette comédie, d’insulter et d’accuser plusieurs personnes d’un mérite supérieur ; et il se reprochera sans doute cette faute toute sa vie. On voit, par la lettre qu’il a donnée au public en forme de préface, qu’il a été trompé par de faux mémoires qu’on lui avait donnés. Il justifie sa pièce en rapportant plusieurs passages tirés de l’Encyclopédie ; et la plupart de ces passages ne se trouvent pas dans l’Encyclopédie. Il cite plusieurs traits de quelques mauvais livres intitulés l’Homme plante et la Vie heureuse, comme si ces livres étaient composés par quelques-uns de ceux qui ont mis la main à l’Encyclopédie ; mais ces livres détestables, contre lesquels il s’élève avec une juste indignation, sont d’un médecin nommé La Métrie, natif de Saint-Malo, de l’Académie de Berlin qui les composa à Berlin il y a plus de douze ans, dans des accès d’ivresse. Ce La Métrie n’a jamais été en relation avec aucun des citoyens qui sont maltraités dans la pièce des Philosophes.
Ceux qu’on insulte dans cette pièce sont M. Duclos, secrétaire perpétuel de l’Académie française, auteur de plusieurs ouvrages très estimables : M. d’Alembert, de la même Académie et de celle des sciences, célèbre par sa vaste littérature, par ses connaissances profondes dans les mathématiques et par son génie ; M. Diderot, dont le public fait le même éloge ; M. le chevalier de Jaucourt, homme d’une grande naissance, auteur de cent excellents articles qui enrichissent le Dictionnaire encyclopédique ; M. Helvétius, admirable (ce mot n’est pas trop fort) par une action unique : il a quitté deux cent mille livres de rente pour cultiver les belles-lettres en paix, et il fait du bien avec ce qui lui reste. La facilité et la bonté de son caractère lui ont fait hasarder, dans un livre d’ailleurs plein d’esprit, des propositions fausses et très répréhensibles, dont il s’est repenti le premier, à l’exemple du grand Fénelon. L’auteur de la comédie des Philosophes se repent aussi d’avoir porté le poignard dans ses blessures ; il a des remords d’avoir imputé des maximes et des vues pernicieuses aux plus honnêtes gens qui soient en France, à des hommes qui n’ont jamais fait le moindre mal à personne, et qui n’en ont jamais dit. En qualité de citoyen, il souhaite que le Dictionnaire encyclopédique se continue, que les libraires qui ont fait cette grande entreprise ne soient pas ruinés, que les souscripteurs ne perdent point leurs avances.
Ce livre, qui se perfectionnait sous tant de mains, devenait cher et nécessaire à la nation. J’ai vu l’article ROI en manuscrit ; des étrangers ont pleuré de tendresse au portrait qu’on fait de Louis XV, et ils ont souhaité d’être ses sujets ; la reine son épouse regretterait l’article REINE, si sa vertu modeste pouvait lui faire regretter les plus justes louanges. Au mot GUERRE, on croirait que celui qui commande aujourd’hui nos armées (*), et plusieurs lieutenants-généraux, ont été désignés par l’auteur (**), qui est lui-même un excellent officier. Le mot SIÈGE forme un article bien important pour nous ; la prise du Port-Mahon immortalise le nom du général (***) et le nom français : en un mot, cet ouvrage eût fait notre gloire, et il est bien honteux qu’il ait essuyé à la fois la persécution et le ridicule (1760).
* - De Broglie. (G.A.)
** - Tressan. (G.A.)
*** - Richelieu. (G.A.)
22 – Le 14 Mai 1760, jour de l’anniversaire de la mort de Henri IV, les apothicaires de Paris firent saisir, dans un couvent de jésuites qu’on appelait la maison professe, des drogues que les jésuites vendaient en fraude, et leur firent un procès au parlement, qui condamna ces Pères. On disait qu’ils débitaient chez eux ces drogues pour empoisonner les jansénistes. (1771). – En 1760, on lisait ici que « un janséniste a imprimé que les frères jésuites, après avoir empoisonné les âmes, voulaient aussi empoisonner les corps : mais, ajoutait encore Voltaire, ce sont de mauvaises plaisanteries. » (G.A.)
23 – C’est ce qu’on appelle la Gazette ecclésiastique. Ce journal clandestin commença en 1724, et dure encore. C’est un ramas de petits faits concernant des bedeaux de paroisse, des porte-dieu, des thèses de théologie, des refus de sacrements, des billets de confession : c’est surtout dans le temps de ces billets de confession que cette gazette a eu le plus de vogue. L’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, avait imaginé ces lettres de change tirées à vue sur l’autre monde, pour faire refuser le viatique à tous les mourants qui se seraient confessés à des prêtres jansénistes. Ce comble de l’extravagance et de l’horreur causa beaucoup de troubles et mit la Gazette ecclésiastique alors dans un grand crédit : elle tomba quand cette sottise fut finie. Elle était, dit-on, comme les crapauds, qui ne peuvent s’enfler que de venin (1771). – Cette gazette date, non de 1724, mais de 1727. (G.A.)
24 – Le Journal chrétien ou du chrétien fut d’abord composé par un récollet nommé Hayer, l’abbé Trublet, l’abbé Dinouard, un nommé Joannet. Ils dédièrent leur besogne à la reine, dans l’espérance d’avoir quelque bénéfice ; en quoi ils se trompèrent. Ils mirent d’abord leur Mercure chrétien à 30 sous, puis à 20, puis à 15, puis à 12. Voyant qu’ils ne réussissaient pas, ils s’avisèrent d’accuser d’athéisme tous les écrivains, à tort et à travers. Ils s’adressèrent malheureusement à M. de Saint-Foix, qui leur fit un procès criminel, et les obligea de se rétracter. Depuis ce temps-là, leur journal fut entièrement décrié, et ces pauvres diables furent obligés de l’abandonner.
Pour le Journal de Trévoux, il a subi le sort des jésuites ses auteurs ; il est tombé avec eux. (1771)