SATIRES - Anecdotes sur FRERON - Copie
Photo de PAPAPOUSS
ANECDOTES SUR FRÉRON,
COPIE.
DE LA LETTRE DE M. ROYOU, AVOCAT AU PARLEMENT DE RENNES,
Mardi matin, 6 Mars 1770.
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« Fréron, auteur de l’Année littéraire, est mon cousin, et, malheureusement pour ma sœur, pour moi et pour toute la famille, mon beau-frère depuis trois ans.
Mon père, subdélégué et sénéchal du Pont-l’Abbé, à trois lieues de Quimper-Corentin, en Basse-Bretagne, quoique dans une situation aisée, n’étant pas riche, ne donna à sa fille que vingt mille livres de dot. Trois jours après les noces, M. Fréron jugea à propos d’aller à Brest, où il dissipa cette somme avec des bateleuses.
Il revint chez son beau-père pour donner à ma sœur, sa femme, un très mauvais présent, et demander en grâce de quoi se rendre à Paris. Mon père fut assez bon, ou plutôt assez faible pour donner encore mille écus… Il était alors à Lorient, et quoiqu’il reçut cette nouvelle somme par lettre de change, il ne put se rendre qu’à Alençon, et fit le reste de la route jusqu’à Paris comme les capucins, et ne donna pour toute voiture à sa femme qu’une place sur un peu de paille dans le panier de la voiture publique.
Arrivé à Paris, il n’en agit pas mieux avec elle. Ma sœur, après deux ans de patience, se plaignit à mon père, qui m’ordonna de me rendre incessamment à Paris pour m’informer si ma sœur était aussi cruellement traitée qu’elle le lui marquait. Alors Fréron chercha et tenta tous les moyens de me perdre. Il sut que, pendant les troubles du parlement de Bretagne, où je militais depuis plusieurs années en qualité d’avocat, j’ai montré un zèle vraiment patriotique, et toute la fermeté d’un bon citoyen.
Comme il faisait le métier d’espion, il ne négligea rien pour obtenir par le moyen de … une lettre de cachet pour me faire renfermer.
Fréron, qui voulait être à la fois ma partie, mon témoin et mon bourreau, vint en personne, escorté d’un commissaire et de neuf à dix manants, m’arrêter dans mon appartement à Paris, rue des Noyers. Il me fit traiter de la manière la plus barbare, et conduire au petit Châtelet, où je passai, dans le fond d’un cachot, la nuit du dimanche au lundi de la Pentecôte. Le lundi, Fréron se rendit, environ les dix heures du matin, avec ses affiliés, au petit Châtelet. Il me fit charger de chaînes, et conduire à ma destination. Il était à côté de moi dans un fiacre, et tenait lui-même les chaînes, etc., etc. »
On nous a communiqué l’original de cette lettre signée ROYOU. Ce n’est pas à nous de discuter si le sieur Royou a été coupable ou non envers le gouvernement ; mais quand même il eût été criminel, c’est toujours le procédé du plus lâche et du plus détestable coquin, de faire le métier d’archer pour arrêter et pour garrotter son beau-frère.
C’est pourtant ce misérable qui a contrefait l’homme de lettres, et qui a trouvé des protecteurs quand il a fallu déshonorer la littérature.
On lui a donné des examinateurs, qui tous se sont dégoûtés l’un après l’autre d’être les complices des platitudes d’un homme digne d’ailleurs de toute la sévérité de la justice. Ce fut d’abord le chirurgien Morand qui, après l’avoir guéri d’un mal vénérien, cessa d’avoir commerce avec lui. Il fut remplacé par le sieur Rémond Sainte-Albine, connu vulgairement sous un autre nom. On ne conçoit pas comment le sieur Rémond a pu donner son attache aux grossièretés que Fréron a vomies contre l’Académie dans je ne sais quelle satire contre l’Eloge de Molière, excellent ouvrage de M. de Chamfort (1). Fréron doit rendre grâces au mépris dont il est couvert s’il n’a pas été puni. L’Académie a ignoré ses impertinences : si la police l’avait su, il aurait pu faire un nouveau voyage à Bicêtre.
1 – 1769. Tout cela est de 1770. (G.A.)