PRECIS DU SIECLE DE LOUIS XV - Chapitre XV - Partie 1

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PRÉCIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XV.

 

 

 

 

 

 

 

[Le roi voulut aller lui-même achever en Flandre les conquêtes qu’il avait interrompues l’année précédente. Il venait de marier le dauphin avec la seconde infante d’Espagne, au mois de Février (1745), et ce jeune prince, qui n’avait pas seize ans accomplis, se prépara à partir au commencement de mai avec son père - Siège de Tournai – Bataille de Fontenoi]

 

 

 

______

 

 

 

         Le maréchal de Saxe était déjà en Flandre, à la tête de l’armée, composée de cent six bataillons complets, et de cent soixante et douze escadrons. Déjà Tournai, cette ancienne capitale de la domination française, était investi. C’était la plus forte place de la barrière. La ville et la citadelle étaient encore un des chefs-d’œuvre du maréchal de Vauban, car il n’y avait guère de place en Flandre dont Louis XIV n’eût fait construire les fortifications.

 

         Dès que les états généraux des Sept-Provinces apprirent que Tournai était en danger, ils mandèrent qu’il fallait hasarder une bataille pour secourir la ville. Ces républicains, malgré leur circonspection, furent alors les premiers à prendre des résolutions hardies. Au 5 Mai (1745) les alliés avancèrent à Cambron, à sept lieues de Tournai. Le roi partit le 6 de Paris avec le dauphin ; les aides de camp du roi, les menins du dauphin, les accompagnaient.

 

         La principale force de l’armée ennemie consistait en vingt bataillons et vingt-six escadrons anglais, sous le jeune duc de Cumberland, qui avait gagné avec le roi son père la bataille de Dettingen : cinq bataillons et seize escadrons hanovriens étaient joints aux Anglais. Le prince de Valdeck, à peu près de l’âge du duc de Cumberland, impatient de se signaler, était à la tête de quarante escadrons hollandais et de vingt six bataillons. Les Autrichiens n’avaient dans cette armée que huit escadrons. On faisait la guerre pour eux dans la Flandre, qui a été si longtemps défendue par les armes et par l’argent de l’Angleterre et de la Hollande : mais à la tête de ce petit nombre d’Autrichiens était le vieux général Kœnigseck, qui avait commandé contre les Turcs en Hongrie, et contre les Français en Italie et en Allemagne. Ses conseils devaient aider l’ardeur du duc de Cumberland et du prince de Valdeck. On comptait dans leur armée au-delà de cinquante-cinq mille combattants . Le roi laissa devant Tournai environ dix-huit mille hommes, qui étaient postés en échelle jusqu’au champ de bataille ; six mille pour garder les ponts sur l’Escaut et les communications.

 

         L’armée était sous les ordres d’un général en qui on avait la plus juste confiance. Le comte de Saxe avait déjà mérité sans grande réputation par de savantes retraites en Allemagne et par sa campagne de 1744 ; il joignait une théorie profonde à la pratique. La vigilance, le secret, l’art de savoir différer à propos un projet, et celui de l’exécuter rapidement, le coup d’œil, les ressources, la prévoyance, étaient ses talents, de l’aveu de tous les officiers ; mais alors ce général, consumé d’une maladie de langueur, était presque mourant (1). Il était parti de Paris très malade pour l’armée. L’auteur de cette histoire l’ayant même rencontré avant son départ, et n’ayant pu s’empêcher de lui demander comment il pourrait faire dans cet état de faiblesse, le maréchal lui répondit : « Il ne s’agit pas de vivre, mais de partir. »

 

         (1745) Le roi étant arrivé le 6 Mai à Douai, se rendit le lendemain à Pont-à-Chin près de l’Escaut, à portée des tranchées de Tournai. De là il alla reconnaître le terrain qui devait servir de champ de bataille. Toute l’armée, en voyant le roi et le dauphin, fit entendre des acclamations de joie. Les alliés passèrent le 10 et la nuit du 11 à faire leurs dernières dispositions. Jamais le roi ne marqua plus de gaieté que la veille du combat. La conversation roula sur les batailles où les rois s’étaient trouvés en personne. Le roi dit que, depuis la bataille de Poitiers, aucun roi de France n’avait combattu avec son fils, et qu’aucun, depuis saint Louis, n’avait gagné de victoire signalée contre les Anglais ; qu’il espérait être le premier. Il fut éveillé le premier jour de l’action : il éveilla lui-même à quatre heures le comte d’Argenson, ministre de la guerre, qui, dans l’instant, envoya demander au maréchal de Saxe ses derniers ordres. On trouva le maréchal dans une voiture d’osier qui lui servait de lit, et dans laquelle il se faisait traîner quand ses forces épuisées ne lui permettait plus d’être à cheval. Le roi et son fils avaient déjà passé un pont sur l’Escaut à Calone ; ils allèrent prendre leur poste par delà Justice de Notre-Dame aux Bois, à mille toises de ce pont, et précisément à l’entrée du champ de bataille.

 

         La suite du roi et du dauphin, qui composait une troupe nombreuse, était suivie d’une foule de personnes de toute espèce qu’attirait cette journée, et dont quelques-unes même étaient montées sur des arbres pour voir le spectacle d’une bataille (2).

 

         En jetant les yeux sur les cartes, qui sont fort communes, on voit d’un coup d’œil la disposition des deux armées. On remarque Anthoin assez près de l’Escaut, à la droite de l’armée française, à neuf cents toises de ce pont de Calonne, par où le roi et le dauphin s’étaient avancés ; le village de Fontenoi par delà Anthoin, presque sur la même ligne ; un espace étroit de quatre cent cinquante toises de large entre Fontenoi et un petit bois qu’on appelle le bois de Barri. Ce bois, ces villages, étaient garnis de canons comme un camp retranché. Le maréchal de Saxe avait établi des redoutes entre Anthoin et Fontenoi : d’autres redoutes aux extrémités du bois de Barri fortifiaient cette enceinte. Le champ de bataille n’avait pas plus de cinq cents toises de longueur depuis l’endroit où était le roi, auprès de Fontenoi, jusqu’à ce bois de Barri, et n’avait guère plus de neuf cent toises de large ; de sorte que l’on allait combattre en champs clos, comme à Dettingen, mais dans une journée plus mémorable.

 

         Le général de l’armée française avait pourvu à la victoire et à la défaite (3). Le pont de Calonne, muni de canons, fortifié de retranchements, et défendu par quelques bataillons, devait servir de retraite au roi et au dauphin en cas de malheur. Le reste de l’armée aurait défilé alors par d’autres ponts sur le bas Escaut par delà Tournai.

 

         On prit toutes les mesures qui se prêtaient un secours mutuel sans qu’elles pussent se traverser. L’armée de France semblait inabordable ; car le feu croisé qui partait des redoutes du bois de Barri et du village de Fontenoi défendait toute approche. Outre ces précautions, on avait encore placé six canons de seize livres de balle au deçà de l’Escaut, pour foudroyer les troupes qui attaqueraient le village d’Anthoin.

 

         On commençait à se canonner de part et d’autre à six heures du matin. Le maréchal de Noailles était alors auprès de Fontenoi, et rendait compte au maréchal de Saxe d’un ouvrage  qu’il avait fait à l’entrée de la nuit pour joindre le village de Fontenoi à la première des trois redoutes entre Fontenoi et Anthoin ; il lui servit de premier aide de camp, sacrifiant la jalousie du commandement au bien de l’Etat, et s’oubliant soi-même pour un général étranger et moins ancien. Le maréchal de Saxe sentait tout le prix de cette magnanimité, et jamais on ne vit une union si grande entre deux hommes que la faiblesse ordinaire du cœur humain pouvait éloigner l’un de l’autre.

 

         Le maréchal de Noailles embrassait le duc de Grammont son neveu, et ils se séparaient, l’un pour retourner auprès du roi, l’autre pour aller à son poste, lorsqu’un boulet de canon vint frapper le duc de Grammont à mort : il fut la première victime de cette journée.

 

         Les Anglais attaquèrent trois fois Fontenoi et les Hollandais se présentèrent à deux reprises devant Anthoin. A leur seconde attaque, on vit un escadron hollandais emporté presque tout entier par le canon d’Anthoin : il n’en resta que quinze hommes, et les Hollandais ne se présentèrent plus dès ce moment.

 

         Alors le duc de Cumberland prit une résolution qui pouvait lui assurer le succès de cette journée. Il ordonna à un major-général, nommé Ingolsby, d’entrer dans le bois de Barri, de pénétrer jusqu’à la redoute de ce bois vis-à-vis Fontenoi, et de l’emporter. Ingolsby marche avec les meilleures troupes pour exécuter cet ordre : il trouve dans le bois de Barri un bataillon du régiment d’un partisan : c’était ce qu’on appelait les grassins, du nom de celui qui les avait formés. Ces soldats étaient en avant dans le bois, par delà la redoute, couchés par terre. Ingolsby crut que c’était un corps considérable : il retourne auprès du duc de Cumberland, et demande du canon. Le temps se perdait. Le prince était au désespoir d’une désobéissance qui dérangeait toutes ses mesures, et qu’il fit ensuite punir à Londres par un conseil de guerre qu’on appelle cour martiale.

 

         Il se détermina sur-le-champ à passer entre cette redoute et Fontenoi. Le terrain était escarpé, il fallait franchir un ravin profond ; il fallait essuyer tout le feu de Fontenoi et de la redoute. L’entreprise était audacieuse : mais il était réduit alors ou à ne point combattre, ou à tenter ce passage.

 

         Les Anglais et les Hanovriens s’avancent avec lui sans presque déranger leurs rangs, traînant leurs canons à bras par les sentiers : il les forme sur trois lignes assez pressées, et de quatre de hauteur chacune, avançant entre les batteries de canon qui les foudroyaient dans un terrain d’environ quatre cents toises de large. Des rangs entiers tombaient morts à droite et à gauche ; ils étaient remplacés aussitôt ; et les canons qu’ils amenaient à bras vis-à-vis Fontenoi et devant les redoutes, répondaient à l’artillerie française. En cet état, ils marchaient fièrement, précédés de six pièces d’artillerie, et en ayant encore six autres au milieu de leurs lignes.

 

         Vis-à-vis d’eux se trouvèrent quatre bataillons des gardes françaises, ayant deux bataillons de gardes suisses à leur gauche, le régiment de Courten à leur droite, ensuite celui d’Aubeterre, et plus loin le régiment du roi qui bordait Fontenoi le long d’un chemin creux.

 

         Le terrain s’élevait à l’endroit où étaient les gardes françaises jusqu’à celui où les Anglais se formaient.

 

         Les officiers des gardes françaises se dirent alors les uns aux autres : il faut aller prendre le canon des Anglais. Ils y montèrent rapidement avec leurs grenadiers, mais ils furent bien étonnés de trouver une armée devant eux. L’artillerie et la mousqueterie en couchèrent par terre près de soixante, et le reste fut obligé de revenir dans ses rangs.

 

         Cependant les Anglais avançaient, et cette ligne d’infanterie, composée des gardes françaises et suisses, et de Courten, ayant encore sur leur droite Aubeterre et un bataillon du régiment du roi, s’approchait de l’ennemi. On était à cinquante pas de distance. Un régiment des gardes anglaises, celui de Campbell, et le royal-écossais, étaient les premiers : M. de Campbell était leur lieutenant-général ; le comte d’Albemarle, leur général-major, et M. de Churchill, petit-fils naturel du grand duc de Marlborough, leur brigadier. Les officiers anglais saluèrent les Français en ôtant leurs chapeaux. Le comte de Chabanes, le duc de Brion, qui s’étaient avancés, et tous les officiers des gardes françaises leur rendirent le salut. Mylord Charles Hay, capitaine aux gardes anglaises, cria : « Messieurs des gardes françaises, tirez ! »

 

         Le comte d’Auteroche, alors lieutenant des grenadiers et depuis capitaine, leur dit à voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-mêmes (4). » Les Anglais firent un feu roulant, c’est-à-dire qu’ils tiraient par divisions ; de sorte que le front d’un bataillon sur quatre hommes de hauteur ayant tiré, un autre bataillon faisait sa décharge, et ensuite un troisième, tandis que les premiers rechargeaient. La ligne d’infanterie française ne tira point ainsi : elle était seule sur quatre de hauteur, les rangs assez éloignés, et n’était soutenue par aucune autre troupe d’infanterie. Dix-neuf officiers des gardes tombèrent blessés à cette seule charge. Messieurs de Clisson, de Langey, de Peyre, y perdirent la vie ; quatre-vingt quinze soldats demeurèrent sur la place ; deux cent quatre-vingt-cinq y reçurent des blessures ; onze officiers suisses tombèrent blessés, ainsi que deux cent neuf de leurs soldats, parmi lesquels soixante-quatre furent tués. Le colonel de Courten, son lieutenant-colonel, quatre officiers, soixante et quinze soldats tombèrent morts : quatorze officiers et deux cents soldats furent blessés dangereusement. Le premier rang ainsi emporté, les trois autres regardèrent derrière eux, et ne voyant qu’une cavalerie à plus de trois cents toises, ils se dispersèrent. Le duc de Grammont, leur colonel et premier lieutenant-général, qui aurait pu les faire soutenir, était tué. M. de Lutteaux, second lieutenant-général, n’arriva que dans leur déroute. Les Anglais avançaient à pas lents, comme faisant l’exercice. On voyait les majors appuyer leurs cannes sur les fusils des soldats pour les faire tirer bas et droit. Ils débordèrent Fontenoi et la redoute. Ce corps, qui auparavant était en trois divisions, se pressant par la nature du terrain, devint une colonne longue et épaisse, presque inébranlable par sa masse, et plus encore par son courage ; elle s’avança vers le régiment d’Aubeterre. M. de Lutteaux, premier lieutenant-général de l’armée, à la nouvelle de ce danger, accourut de Fontenoi où il venait d’être blessé dangereusement. Son aide de camp le suppliait de commencer par faire mettre le premier appareil à sa blessure : « Le service du roi, lui répondit M. de Lutteaux, m’est plus cher que ma vie. » Il s’avançait avec le duc de Biron à la tête du régiment d’Aubeterre que conduisait son colonel de ce nom. Lutteaux reçoit en arrivant deux coups mortels. Le duc de Biron a un cheval tué sous lui. Le régiment d’Aubeterre perd beaucoup de soldats et d’officiers. Le duc de Biron arrête alors, avec le régiment du roi qu’il commandait, la marche de la colonne par son flanc gauche. Un bataillon des gardes anglaises se détache, avance quelques pas à lui, fait une décharge très meurtrière, et revient au petit pas se placer à la tête de la colonne, qui avance toujours lentement sans jamais se déranger, repoussant tous les régiments qui viennent l’un après l’autre se présenter devant elle.

 

 

 PRECIS LOUIS XV - Chapitre XV - Partie 1

 

 

 

1 – Hydropique, il venait de subir la ponction. (G.A.)

 

2 – Voltaire signale encore ce fait, dans le Dictionnaire philosophique, à l’article CURIOSITÉ. (G.A.)

 

3 – Maurice aurait voulu pourtant changer de position, car l’armée française avait à dos la rivière, qui lui coupait toute retraite. Mais l’ennemi s’avança et il fallut combattre. (G.A.)

 

4 – C’était en effet la coutume de l’infanterie française d’essuyer d’abord le feu de l’ennemi, et de charger à la baïonnette sans avoir tiré. Maurice de Saxe, dans un Mémoire, blâme cette coutume. (G.A.)

 

 

 

 

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