PRECIS DU SIECLE DE LOUIS XV - Chapitre XII

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PRÉCIS DU SIÈCLE DE LOUIS XV.

 

 

 

 

 

CHAPITRE XII.

 

 

 

 

 

 

 

[Le roi de France est à l’extrémité. Dès qu’il est guéri il marche en Allemagne ; il va assiéger Fribourg, tandis que l’armée autrichienne, qui avait pénétré en Alsace, va délivrer la Bohème, et que le prince de Conti gagne une bataille en Italie.]

 

 

 

 

 

         Le jour qu’on chantait dans Metz un Te Deum pour la prise de Château-Dauphin, le roi ressentit des mouvements de fièvre (1) ; c’était le 8 d’auguste (1744). La maladie augmenta ; elle prit le caractère d’une fièvre qu’on appelle putride ou maligne ; et dès la nuit du 14, il était à l’extrémité. Son tempérament était robuste et fortifié par l’exercice ; mais les meilleures constitutions sont celles qui succombent le plus souvent à ces maladies, par cela même qu’elles ont la force d’en soutenir les premières atteintes, et d’accumuler, pendant plusieurs jours, les principes d’un mal auquel elles résistent dans les commencements. Cet événement porta la crainte et la désolation de ville en ville ; les peuples accourraient de tous les environs de Metz ; les chemins étaient remplis d’hommes de tous états et de tout âge, qui, par leurs différents rapports, augmentaient leur commune inquiétude.

 

         Le danger du roi se répand dans Paris au milieu de la nuit : on se lève, tout le monde court en tumulte sans savoir où l’on va. Les églises s’ouvrent en pleine nuit : on ne connaît plus le temps, ni du sommeil, ni de la veille, ni du repas. Paris était hors de lui-même ; toutes les maisons des hommes en place étaient assiégées d’une foule continuelle ; on s’assemblait dans tous les carrefours. Le peuple s’écriait : « S’il meurt, c’est pour avoir marché à notre secours. » Tout le monde s’abordait, s’interrogeait dans les églises sans se connaître. Il y eut plusieurs églises où le prêtre, qui prononçait la prière pour la santé du roi, interrompit le chant par ses pleurs, et le peuple lui répondit par des sanglots et par des cris. Le courrier, qui apporta le 19 à Paris la nouvelle de sa convalescence, fut embrassé et presque étouffé par le peuple : on baisait son cheval ; on le menait en triomphe. Toutes les rues retentissaient d’un cri de joie : « Le roi est guéri ! » (2)  Quand on rendit compte à ce monarque des transports inouïs de joie qui avaient succédé à ceux de la désolation, il en fut attendri jusqu’aux larmes ; et en se soulevant par un mouvement de sensibilité qui lui rendait des forces : « Ah ! s’écria-t-il, qu’il est doux d’être aimé ainsi ! et qu’ai-je fait pour le mériter ?(3) »

 

         Tel est le peuple de France, sensible jusqu’à l’enthousiasme, et capable de tous les excès dans ses affections comme dans ses murmures.

 

         L’archiduchesse, épouse du prince de Lorraine, mourut à Bruxelles, vers ce même temps, d’une manière douloureuse. Elle était chérie des Bravançons et méritait de l’être ; mais ces peuples n’ont pas l’âme passionnée des Français.

 

         Les courtisans ne sont pas comme le peuple. Le péril de Louis XV fit naître parmi eux plus d’intrigues et de cabales qu’on n’en vit autrefois quand Louis XIV fut sur le point de mourir à Calais : son petit-fils en éprouva les effets dans Metz. Les moments de crise où il parut expirant furent ceux qu’on choisit pour l’accabler par les démarches les plus indiscrètes, qu’on disait inspirées par des motifs religieux, mais que la raison réprouvait, et que l’humanité condamnait (4). Il échappa à la mort et à ces pièges.

 

         Dès qu’il eut reprise ses sens, il s’occupa, au milieu de son danger, de celui où le prince Charles avait jeté la France par son passage du Rhin. Il n’avait marché que dans le dessein de combattre ce prince ; mais ayant envoyé le maréchal de Noailles à sa place, il dit au comte d’Argenson : « Ecrivez de ma part au maréchal de Noailles que, pendant qu’on portait Louis XIII au tombeau, le prince de Condé gagna une bataille (5). » Cependant on put à peine entamer l’arrière-garde du prince Charles, qui se retirait en bon ordre. Ce prince, qui avait passé le Rhin malgré l’armée de France, le repassa presque sans perte vis-à-vis une armée supérieure. Le roi de Prusse se plaignit qu’on eût ainsi laissé échapper un ennemi qui allait venir à lui (6). C’était encore une occasion heureuse manquée. La maladie du roi de France, quelque retardement dans la marche de ses troupes, un terrain marécageux et difficile par où il fallait aller au prince Charles, les précautions qu’il avait prises, ses ponts assurés, tout lui facilita cette retraite ; il ne perdit pas même un magasin.

 

         Ayant donc repassé le Rhin avec cinquante mille hommes complets, il marche vers le Danube et l’Elbe avec une diligence incroyable ; et après avoir pénétré en France, aux portes de Strasbourg, il allait délivrer la Bohême une seconde fois. (15 septembre 1744). Mais le roi de Prusse s’avançait vers Prague ; il l’investit le 4 Septembre  et ce qui parut étrange, c’est que le général Ogilvy, qui la défendait avec quinze mille hommes, se rendit, dix jours après, prisonnier de guerre, lui et sa garnison. C’était le même gouverneur qui, en 1741, avait rendu la ville en moins de temps, quand les Français l’escaladèrent.

 

         Une armée de quinze mille hommes prisonnière de guerre, la capitale de la Bohême prise, le reste du royaume soumis peu de jours après, la Moravie envahie en même temps, l’armée de France rentrant enfin en Allemagne, les succès en Italie, firent espérer qu’enfin la grande querelle de l’Europe allait être décidée en faveur de l’empereur Charles VII. Louis XV, dans une convalescence encore faible, résout le siège de Fribourg au mois de septembre, et y marche. Il va passer le Rhin à son tour. Et ce qui fortifia encore ses espérances, c’est qu’en arrivant à Strasbourg, il y reçut la nouvelle d’une victoire remportée par le prince de Conti.

 

 

 PRECIS LOUIS XV-Chap. XII

 

 

 

1 – C’était la suite d’un excès de boisson, puis d’un coup de soleil. (G.A.)

 

2 – M. Michelet explique bien les causes de toute cette joie et fait de justes réflexions. « On a dit trop peu que dans cette douleur entrait (et pour beaucoup aussi) la terreur de l’invasion, l’irruption possible de ces bandes de mutilateurs, l’effroyable récit de ce qu’ils faisaient en Alsace. On les crut à Paris. Lamentable faiblesse d’une grande nation, qui se croit ou perdue ou sauvée dans un homme ! Grand contraste à ce qu’on a vu cette année aux Etats-Unis. Le premier magistrat assassiné, nul trouble, nulle crainte et point d’émotion. Une chose éclata, c’est qu’en ces républiques la vie, la mort d’un homme pèse peu. Le salut subsiste en chose moins fragile : l’Immortalité de la loi. Avec la monarchie, le gouvernement personnel, on doit toujours attendre les revirements dangereux et soudains qui tiennent au hasard de la vie d’un individu. » (G.A.)

 

3 – La première phrase est de trop. Il dit : « Qu’ai-je donc fait pour être aimé ainsi ! » Et ce fut tout. Il se rendit justice, dit M. Henri Martin, par son étonnement. (G.A.)

 

4 – Voltaire veut parler des moyens qu’on employa pour arracher au roi l’ordre d’éloigner la Châteauroux. L’aumônier Fitz-James en vint à faire fermer à la paroisse le tabernacle et à ameuter le peuple. Le duc de Richelieu, ami de Voltaire, bataillait pour la Châteauroux. (G.A.)

 

5 – La bataille de Rocroy. (G.A.)

 

6 – C’est encore seul que Frédéric opéra alors. Il fut abandonné de nous, et sur le point d’être accablé. (G.A.)

 

 

 

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