POESIE : Les torts
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LES TORTS.
(1)
− 1757 −
Non, je n’ai point tort d’oser dire
Ce que pensent les gens de bien ;
Et le sage qui ne craint rien
A le beau droit de tout écrire.
J’ai, quarante ans, bravé l’empire
Des lâches tyrans des esprits ;
Et, dans votre petit pays,
J’aurais grand tort de me dédire.
Je sais que souvent le Malin
A caché sa queue et sa griffe
Sous la tiare d’un pontife,
Et sous le manteau d’un Calvin.
Je n’ai point tort quand je déteste
Ces assassins religieux,
Employant le fer et les feux
Pour servir le Père céleste.
Oui, jusqu’au dernier de mes jours
Mon âme sera fière et tendre ;
J’oserai gémir sur la cendre
Et des Servets et des Dubourgs (2).
De cette horrible frénésie
A la fin le temps est passé :
Le fanatisme est terrassé ;
Mais il reste l’Hypocrisie.
Farceurs à manteaux étriqués (3),
Mauvaise musique d’église,
Mauvais vers, et sermons croqués,
Ai-je tort si je vous méprise ?
1 – C’est une réponse à la pièce de vers de Rival que Voltaire a reproduite dans le Commentaire historique. (G.A.)
2 – Dubourg, conseiller-clerc du parlement, pendu et brûlé à Paris, comme Servet à Genève. (1776)
3 – C’est aux ministres protestants de Genève que Voltaire s’adresse ici. (G.A.)