POEME SUR LA LOI NATURELLE - Avertissement et Préface

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Photo de PAPAPOUSS

 

 (ISLANDE)

 

 

 

 

 

POÈME SUR LA LOI NATURELLE,

 

 

 

 

 

EN QUATRE PARTIES.

 

 

 

 

 

 

 

AU ROI DE PRUSSE.

 

 

 

 

 

 

 

  1752 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Ce poème célèbre fut composé à Berlin. Il avait pour premier titre : la Religion naturelle, et ce fut sous cette étiquette que le parlement de Paris le condamna à être brûlé, le 23 janvier 1759.]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS DE KEHL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          L’objet du poème sur la Loi naturelle est d’établir l’existence d’une morale universelle et indépendante, non seulement de toute religion révélée, mais de tout système particulier sur la nature de l’Etre suprême.

 

 

 

          La tolérance des religions, et l’absurdité de l’opinion qu’il peut exister une puissance spirituelle, indépendante de la puissance civile, sont des conséquences nécessaires de ce premier principe, conséquences que Voltaire développe dans les deux dernières parties. En effet, s’il existe une morale indépendante de toute opinion spéculative, ces opinions deviennent indifférentes au bonheur des hommes, et dès lors cessent de pouvoir être l’objet de la législation. Ce n’est pas pour être instruits sur la métaphysique, mais pour s’assurer le libre exercice de leurs droits, que les hommes se sont réunis en société ; et le droit de penser ce qu’on veut, et de faire tout ce qui n’est pas contraire au droit d’autrui, est aussi réel, aussi sacré que le droit de propriété.

 

 

 

          Dans le poème sur le Désastre de Lisbonne, Voltaire attaque l’opinion que tout est bien, opinion très répandue au commencement de ce siècle, parmi les philosophes d’Angleterre et d’Allemagne. La question de l’origine du mal a été insoluble jusqu’ici, et le sera toujours. En effet, le mal, tel qu’il existe à notre égard, est une suite nécessaire de l’ordre du monde ; mais pour savoir si un autre ordre était possible, il faudrait connaître le système entier de celui qui existe. D’ailleurs, en réfléchissant sur la manière dont nous acquérons nos idées, il est aisé de voir que nous ne pouvons en avoir aucune de la possibilité prise en général, puisque notre idée de possibilité, relative à des objets réels, ne se forme que d’après l’observation des faits existants.

 

 

 

          Rousseau (J.-Jacques) a publié une lettre adressée à Voltaire à l’occasion du poème sur la Destruction de Lisbonne ; elle contient quelques objections sur lesquelles la réputation méritée de cet auteur nous oblige d’entrer dans quelques détails.

 

 

 

          Il convient d’abord que nous n’avons aucun moyen d’expliquer l’origine du mal ; et il ajoute qu’il ne croit le système de l’optimisme que parce qu’il trouve ce système très consolant, et qu’il pense qu’on doit déduire de l’existence d’un Dieu juste, que tout est bien, et non déduire de la perfection de l’ordre du monde l’existence d’un Dieu juste.

 

 

 

          Nous observerons : 1°/ que l’on ne doit croire une chose que parce qu’elle est prouvée. Il y a des hommes qui croient plus facilement ce qui leur est plus agréables ; d’autres sont au contraire plus portés à croire les événements fâcheux. La constitution des premiers est plus heureuse ; mais le doute sur ce qui n’est pas prouvé est le seul parti raisonnable.

 

 

 

          2°/ En supposant que l’ordre du monde, tel que nous le connaissons, nous conduise à l’existence d’un Etre suprême, il est évident que nous ne pouvons nous former une idée de sa justice ou de sa bonté que d’après la manière dont nous le voyons agir. Chercher à priori à se faire une idée des attributs de Dieu est une méthode de philosopher qui ne peut conduire à aucune véritable connaissance. Des métaphysiciens hardis en ont conclu qu’on ne pouvait se former une idée de Dieu : cette assertion est trop absolue ; il fallait ajouter : en suivant la méthode des théologiens et des métaphysiciens de l’école. Mais on ne peut se former de Dieu, comme d’aucun autre objet réel, que des idées incomplètes, et seulement d’après des faits observés. (Voyez Locke, et l’article EXISTENCE dans l’Encyclopédie.)

 

 

 

          Voltaire avait dit dans ses notes que rien dans l’univers n’est assujetti à des lois rigoureusement mathématiques, et qu’il peut y avoir des événements indifférents à l’ordre du monde. Rousseau combat ces assertions ; mais nous répondrons : 1°/ qu’il ne peut être question que de lois mathématiques connues de nous ; car dire qu’il existe peut-être dans l’univers un ordre que nous ne voyons pas, c’est apporter, non une preuve que cet ordre existe, mais un motif de ne pas en nier l’existence.

 

 

 

          2°/ En supposant un ordre d’événements quelconque, ils suivront toujours entre eux une certaine loi générale. Supposez deux mille boules placées sur une table ; quel que soit leur ordre, vous pourrez toujours faire passer une courbe géométrique par le centre de toutes ces boules : en conclurez-vous qu’elles ont été arrangées suivant un certain ordre ? Ce mot d’ordre, appliqué à la nature, est vide de sens, s’il ne signifie un arrangement dont nous saisissons la régularité et le dessein.

 

 

 

          Quant à l’existence des événements indifférents, il est difficile d’en nier la possibilité, parce que l’on peut supposer que le petit dérangement qui résulte de cet événement soit imperceptible pour la totalité du système général. Supposons, par exemple, cent millions de planètes mues suivant certaines lois, il est évident que leur position peut être telle, qu’un léger dérangement dans la vitesse de l’une d’elles ne changera point leur ordre d’une manière sensible dans un temps même infini : cela est encore plus vrai pour les systèmes de corps qui, après un petit dérangement, reviennent à l’équilibre. L’ordre du monde peut être changé par la seule différence d’un mouvement que j’aurai fait à droite ou à gauche ; mais il peut aussi ne pas l’être.

 

 

 

          Rousseau proposait, dans cette même lettre, d’exclure de la tolérance universelle toute opinion intolérante. Cette maxime séduit par un faux air de justice ; mais Voltaire n’eût pas voulu l’admettre. Les lois, en effet, ne doivent avoir d’empire que sur les actions extérieures : elles doivent punir un homme pour avoir persécuté, mais non pour avoir prétendu que la persécution est ordonnée par Dieu même. Ce n’est pas pour avoir eu des idées extravagantes, mais pour avoir fait des actions de folie, que la société a droit de priver un homme de sa liberté. Ainsi, sous aucun point de vue, une opinion qui ne s’est manifestée que par des raisonnements généraux, même imprimés, ne pouvant être regardée comme une action, elle ne peut jamais être l’objet d’une loi.

 

 

 

          Le seul reproche fondé qu’on puisse faire à Voltaire serait d’avoir exagéré les maux de l’humanité ; mais il les a sentis comme il les a peints, dans l’instant où il a écrit son poème : il a eu raison. Le devoir d’un écrivain n’est pas de dire des choses qu’il croit agréables ou consolantes, mais de dire des choses vraies ; d’ailleurs la doctrine que Tout est bien est aussi décourageante que celle de la fatalité. On trompe ses douleurs par des opinions générales, comme chaque homme peut adoucir ses chagrins par des illusions particulières : tel se console de mourir, parce qu’il ne laisse au monde que des mourants ; tel autre parce que sa mort est une suite nécessaire de l’ordre de l’univers ; un troisième, parce qu’elle fait partie d’un arrangement où tout est bien ; un autre enfin, parce qu’il se réunira à l’âme universelle du monde. Des hommes d’une autre classe se consoleront en songeant qu’ils vont entendre la musique des esprits bienheureux, se promener en causant dans de beaux jardins, caresser des houris, boire la bière, voir Dieu face à face, etc., etc. ; mais il serait ridicule d’établir sur aucune de ces opinions le bonheur général de l’espèce humaine.

 

 

 

          N’est-il pas plus raisonnable à la fois et plus utile de se dire : « La nature a condamné les hommes à des maux cruels, et ceux qu’ils se font à eux-mêmes sont encore son ouvrage, puisque c’est d’elle qu’ils tiennent leurs penchants ? Quelle est la raison première de ces maux ? je l’ignore ; mais la nature m’a donné le pouvoir de détourner une partie des malheurs auxquels elle m’a soumis. L’homme doué de raison peut se flatter, par ses progrès dans les sciences et dans la législation, de s’assurer une vie douce et une mort facile, de terminer un jour tranquille par un sommeil paisible. Travaillons sans cesse à ce but, pour nous-mêmes comme pour les autres : la nature nous a donné des besoins ; mais nous trouvons avec les arts les moyens de les satisfaire. Nous opposons aux douleurs physiques la tempérance et les remèdes ; nous avons appris à braver le tonnerre, cherchons à pénétrer la cause des volcans et des tremblements de terre, à les prévoir si nous ne pouvons les détourner. Corrigeons les mauvais penchants, s’il en existe, par une bonne éducation ; apprenons aux hommes à bien connaître leurs vrais intérêts ; accoutumons-les à se conduire d’après la raison. La nature leur a donné la pitié et un sentiment d’affection pour leurs semblables ; avec ces moyens, dirigés par une raison éclairée, nous détournerons loin de nous le vice et le crime.

 

 

 

          Qu’importe que tout soit bien, pourvu que nous fassions en sorte que tout soit mieux qu’il n’était avant nous ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRÉFACE DE L’ÉDITION DE 1756.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

          On sait assez que ce poème n’avait pas été fait pour être public ; c’était depuis trois ans un secret entre un grand roi et l’auteur. Il n’y a que trois mois qu’il s’en répandit quelques copies dans Paris ; et bientôt après il y fut imprimé plusieurs fois d’une manière aussi fautive que les autres ouvrages qui sont partis de la même plume.

 

 

 

          Il serait juste d’avoir plus d’indulgence pour un écrit secret, tiré de l’obscurité où son auteur l’avait condamné, que pour un ouvrage qu’un écrivain expose lui-même au grand jour. Il serait encore juste de ne pas juger le poème d’un laïque comme on jugerait une thèse de théologie. Ces deux poèmes (Poème sur la Loi naturelle et poème sur le Désastre de Lisbonne) sont les fruits d’un arbre transplanté : quelques-uns de ces fruits peuvent n’être pas du goût de quelques personnes : ils sont d’un climat étranger ; mais il n’y en a aucun d’empoisonné, et plusieurs peuvent être salutaires.

 

 

 

          Il faut regarder cet ouvrage comme une lettre où l’on expose en liberté ses sentiments. La plupart des livres ressemblent à ces conversations générales et gênées dans lesquelles on dit rarement ce qu’on pense. L’auteur a dit ce qu’il a pensé à un prince philosophe auprès duquel il avait alors l’honneur de vivre. Il a appris que des esprits éclairés n’ont pas été mécontents de cette ébauche : ils ont jugé que le poème sur la Loi naturelle est une préparation à des vérités plus sublimes. Cela seul aurait déterminé l’auteur à rendre l’ouvrage plus complet et plus correct, si ses infirmités l’avaient permis. Il a été obligé de se borner à corriger les fautes dont fourmillent les éditions qu’on en a faites.

 

 

 

          Les louanges données dans cet écrit à un prince qui ne cherchait pas ces louanges ne doivent surprendre personne ; elles n’avaient rien de la flatterie, elles partaient du cœur : ce n’est pas là de cet encens que l’intérêt prodigue à la puissance. L’homme de lettres pouvait ne pas mériter les éloges et les bontés dont le monarque le comblait ; mais le monarque méritait la vérité que l’homme de lettres lui disait dans cet ouvrage. Les changements survenus depuis dans un commerce si honorable pour la littérature n’ont point altéré les sentiments qui l’avaient fait naître.

 

 

 

          Enfin, puisqu’on a arraché au secret et à l’obscurité un écrit destiné à ne point paraître, il subsistera, chez quelques sages, comme un monument d’une correspondance philosophique qui ne devait point finir ; et l’on ajoute que, si la faiblesse humaine se fait sentir partout, la vraie philosophie dompte toujours cette faiblesse.

 

 

 

          Au reste, ce faible  essai fut composé à l’occasion d’une petite brochure qui parut en ce temps-là. Elle était intitulée Du souverain Bien et elle devait l’être Du souverain Mal. On y prétendait qu’il n’y a ni vertu ni vice, et que les remords sont une faiblesse d’éducation qu’il faut étouffer. L’auteur du poème prétend que les remords nous sont tout aussi naturels que les autres affections de notre âme. Si la fougue d’une passion fait commettre une faute, la nature, rendue à elle-même, sent cette faute. La fille sauvage trouvée près de Châlons avoua que, dans sa colère, elle avait donné à sa compagne un coup dont cette infortunée mourut entre ses bras. Dès qu’elle vit son sang couler, elle se repentit, elle pleura, elle étancha ce sang, elle mit des herbes sur la blessure. Ceux qui disent que ce retour d’humanité n’est qu’une branche de notre amour-propre font bien de l’honneur à l’amour-propre. Qu’on appelle la raison et les remords comme on voudra, ils existent et ils sont les fondements de la loi naturelle.

 

 

 

 

 

 

 

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Publié dans Frédéric de Prusse

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