ODE : A propos de la guerre présente en Grèce
ODE PINDARIQUE
A PROPOS DE LA GUERRE PRESENTE EN GRECE (1)
− 1770 −
Au fond d’un sérail inutile
Que fait parmi ses icoglans
Le vieux successeur imbécile
Des Bajazets et des Orcans ?
Que devient cette Grèce altière,
Autrefois savante et guerrière,
Et si languissante aujourd’hui,
Rampante aux genoux d’un Tartare,
Plus amollie, et plus barbare,
Et plus méprisable que lui ?
Tels n’étaient point ces Héraclides,
Suivants de Minerve et de Mars,
Des Persans vainqueurs intrépides,
Et favoris de tous les arts ;
Eux qui, dans la paix, dans la guerre,
Furent l’exemple de la terre
Et les émules de leurs dieux,
Lorsque Jupiter et Neptune
Leur asservirent la fortune,
Et combattirent avec eux.
Mais quand sous les deux Théodoses
Tous ces héros dégénérés
Ne virent plus d’apothéoses
Que de vils pédants tonsurés,
Un délire théologique
Arma leur esprit frénétique
D’anathèmes et d’arguments ;
Et la postérité d’Achille,
Sous la règle de saint Basile,
Fut l’esclave des Ottomans.
Voici le vrai temps des croisades.
Français, Bretons, Italiens,
C’est trop supporter les bravades
Des cruels vainqueurs des chrétiens.
Un ridicule fanatisme
Fit succomber votre héroïsme
Sous ces tyrans victorieux.
Ecoutez Pallas qui vous crie :
« Vengez-moi ! Vengez ma patrie !
Vous irez après aux saints lieux.
Je veux ressusciter Athènes.
Qu’Homère chante vos combats,
Que la voix de cent Démosthènes
Ranime vos cœurs et vos bras.
Sortez, renaissez, Arts aimables.
De ces ruines déplorables
Qui vous cachaient sous leurs débris ;
Reprenez votre éclat antique,
Tandis que l’opéra-comique
Fait les triomphes de Paris.
Que des badauds la populace
S’étouffe à des processions,
Que des imposteurs à besace
Président aux convulsions,
Je rirai de cette manie ;
Mais je veux dans Olympie
Phidias, Pigal ou Vulcain,
Fassent admirer à la Terre
Les noirs sourcils du dieu mon père,
Et mettent la foudre en sa main.
C’est par moi que l’on peut connaître
Le monde antique et le nouveau ;
Je suis la fille du grand Etre,
Et je naquis de son cerveau,
C’est moi qui conduis Catherine
Quand cette étonnante héroïne,
Foulant à ses pieds le turban,
Réunit Thémis et Bellone,
Et rit avec moi, sur son trône,
De la Bible, et de l’Alcoran. »
Je dictai l’Encyclopédie,
Cet ouvrage qui n’est pas court,
A d’Alembert que j’étudie,
A mon Diderot, à Jaucourt ;
J’ordonne encore au vieux Voltaire
De percer de sa main légère
Les serpents du sacré vallon ;
Et, puisqu’il m’aime et qu’il me venge,
Il peut écraser dans la fange
Le lourd Nonotte et l’abbé Guion (2).
1 – Voyez la Correspondance de Voltaire avec Catherine à cette époque. (G.A.)
2 – Variante : Coger, La Beaumelle, et Fréron. (G.A.)