NANINE - Partie 14

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 Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

NANINE.

 

 

______

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

SCÈNE   VII.

 

 

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LE COMTE, LA MARQUISE, PHILIPPE HOMBERT.

 

_______

 

 

 

 

 

LE COMTE.

 

Non, il n’est point indigne ; non, madame,

Un fol amour n’aveugla point mon âme :

Cette vertu, qu’il faut récompenser,

Doit m’attendrir, et ne peut m’abaisser.

Dans ce vieillard, ce qu’on nomme bassesse

Fait son mérite ; et voilà sa noblesse.

La mienne à moi, c’est d’en payer le prix.

C’est pour des cœurs par eux-mêmes ennoblis,

Et distingués par ce grand caractère,

Qu’il faut passer sur la règle ordinaire ;

Et leur naissance, avec tant de vertus.

Dans ma maison n’est qu’un titre de plus.

 

LA MARQUISE.

 

Quoi donc ? quel titre ? et que voulez-vous dire ?

 

 

 

 

 

 

SCÈNE   VIII.

 

 

_______

 

 

LE COMTE, LA MARQUISE, NANINE, PHILIPPE HOMBERT.

 

_______

 

 

 

 

 

LE COMTE, à sa mère.

 

Son seul aspect devrait vous en instruire.

 

LA MARQUISE.

 

Embrasse-moi cent fois, ma chère enfant.

Elle est vêtue un peu mesquinement :

Mais qu’elle est belle ! et comme elle a l’air sage !

 

NANINE, courant entre les bras de Ph. Hombert, après

 s’être baissée devant la marquise.

 

Ah ! la nature a mon premier hommage.

Mon père !

 

PHILIPPE HOMBERT.

 

O ciel ! ô ma fille ! ah ! monsieur !

Vous réparer quarante ans de malheur.

 

LE COMTE.

 

Oui ; mais comment faut-il que je répare

L’indigne affront qu’un mérite si rare

Dans ma maison put de moi recevoir !

Sous quel habit revient-elle nous voir !

Il est trop vil ; mais elle le décore.

Non, il n’est rien que sa vertu n’honore (1).

Eh bien ! parlez : auriez-vous la bonté

De pardonner à tant de dureté ?

 

NANINE.

 

Que me demandez-vous ? Ah ! je m’étonne

Que vous doutiez si mon cœur vous pardonne.

Je n’ai pas cru que vous pussiez jamais

Avoir eu tort après tant de bienfaits.

 

LE COMTE.

 

Si vous avez oublié cet outrage,

Donnez-m’en donc le plus sûr témoignage :

Je ne veux plus commander qu’une fois ;

Mais jurez-moi d’obéir à mes lois.

 

PHILIPPE HOMBERT.

 

Elle le doit, et sa reconnaissance…

 

 

NANINE, à son père..

 

Il est bien sûr de mon obéissance.

 

LE COMTE.

 

J’ose y compter. Oui, je vous avertis

Que vos devoirs ne sont pas tous remplis.

Je vous ai vue aux genoux de ma mère ;

Je vous ai vu embrasser votre père ;

Ce qui vous reste en des moments si doux…

C’est… à leurs yeux… d’embrasser… votre époux.

 

 

NANINE.

 

Moi !

 

LA MARQUISE.

 

Quelle idée ! Est-il bien vrai ?

 

PHILIPPE HOMBERT.

 

Ma fille !

 

LE COMTE, à sa mère.

 

Le daignez-vous permettre ?

 

LA MARQUISE.

 

La famille

Etrangement, mon fils, clabaudera.

 

LE COMTE.

 

En la voyant, elle l’approuvera.

 

PHILIPPE HOMBERT.

 

Quel coup du sort ! Non ? je ne puis comprendre

Que jusque-là vous prétendiez descendre.

 

LE COMTE.

 

On m’a promis d’obéir… je le veux.

 

LA MARQUISE.

 

Mon fils…

 

LE COMTE.

 

Ma mère, il s’agit d’être heureux.

L’intérêt seul a fait cent mariages.

Nous avons vu les hommes les plus sages

Ne consulter que les mœurs et le bien :

Elle a les mœurs, il ne lui manque rien ;

Et je ferai par goût et par justice

Ce qu’on a fait cent fois par avarice.

Ma mère, enfin, terminez ces combats,

Et consentez.

 

NANINE.

 

Non, n’y consentez pas ;

Opposez-vous à sa flamme… à la mienne ;

Voilà de vous ce qu’il faut que j’obtienne.

L’amour l’aveugle ; il le faut éclairer.

Ah ! loin de lui, laissez–moi l’adorer.

Voyez mon sort, voyez ce qu’est mon père :

Puis-je jamais vous appeler ma mère ?

 

LA MARQUISE.

 

Oui, tu le peux, tu le dois ; c’en est fait :

Je ne tiens pas contre ce dernier trait :

Il nous dit trop combien il faut qu’on t’aime ;

Il est unique aussi bien que toi-même.

 

NANINE.

 

J’obéis donc à votre ordre, à l’amour ;

Mon cœur ne peut résister.

 

LA MARQUISE.

 

Que ce jour

Soit des vertus la digne récompense,

Mais sans tirer à jamais à conséquence. (2)

 

 

F.I.N

 

 

 NANINE - ACTE III - Scène VII

 

 

 

 

1 – Version posthume. Du vivant de Voltaire, c’était ce vers si connu :

 

Non, il n’est rien que Nanine n’honore. (G.A.)

 

 

 

 

2 – Ce dernier vers était pour la censure. ‒ Voyez dans la CORRESPONDANCE la lettre de Frédéric de Prusse à Voltaire sur Nanine. (G.A.)

 

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