NANINE - Partie 11
Photo de PAPAPOUSS
NANINE.
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ACTE TROISIÈME.
SCÈNE I.
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NANINE, vêtue en paysanne ; GERMON.
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GERMON.
Nous pleurons tous en vous voyant sortir.
NANINE
J’ai tardé trop ; il est temps de partir.
GERMON.
Quoi ! pour jamais, et dans cet équipage ?
NANINE
L’obscurité fut mon premier partage.
GERMON.
Quel changement ! Quoi ! du matin au soir…
Souffrir n’est rien ; c’est tout que de déchoir.
NANINE
Il est des maux mille fois plus sensibles.
GERMON.
J’admire encor des regrets si paisibles.
Certes, mon maître est bien malavisé ;
Notre baronne a sans doute abusé
De son pouvoir, et vous fait cet outrage :
Jamais monsieur n’aurait eu ce courage.
NANINE
Je lui dois tout : il me chasse aujourd’hui ;
Obéissons. Ses bienfaits sont à lui ;
Il peut user du droit de les reprendre
GERMON.
A ce trait-là qui diable eût pu s’attendre ?
En cet état qu’allez-vous devenir ?
NANINE
Me retirer, longtemps me repentir.
GERMON.
Que nous allons haïr notre baronne !
NANINE
Mes maux sont grands, mais je les lui pardonne.
GERMON.
Mais que dirai-je au moins de votre part
A notre maître, après votre départ ?
NANINE
Vous lui direz que je le remercie
Qu’il m’ait rendue à ma première vie,
Et qu’à jamais sensible à ses bontés
Je n’oublierai… rien… que ses cruautés.
GERMON.
Vous me fendez le cœur, et tout à l’heure
Je quitterais pour vous cette demeure ;
J’irais partout avec vous m’établir :
Mais monsieur Blaise a su nous prévenir ;
Qu’il est heureux ! avec vous il va vivre :
Chacun voudrait l’imiter, et vous suivre.
NANINE
On est bien loin de me suivre … Ah ! Germon !
Je suis chassée… et par qui ?...
GERMON.
Le démon
A mis du sien dans cette brouillerie :
Nous vous perdons… et monsieur se marie.
NANINE
Il se marie !... Ah ! partons de ce lieu ;
Il fut pour moi trop dangereux… Adieu…
(Elle sort.)
GERMON.
Monsieur le comte a l’âme un peu bien dure :
Comment : chasser pareille créature !
Elle paraît une fille de bien :
Mais il ne faut pourtant jurer de rien.
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SCÈNE II.
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LE COMTE, GERMON.
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LE COMTE
Eh bien ! Nanine est donc enfin partie !
GERMON.
Oui, c’en est fait.
LE COMTE
J’en ai l’âme ravie.
GERMON.
Votre âme est donc de fer ?
LE COMTE
Dans le chemin
Philippe Hombert lui donnait-il la main ?
GERMON.
Qui ? quel Philippe Hombert ? Hélas ! Nanine,
Sans écuyer, fort tristement chemine,
Et de ma main ne veut pas seulement.
LE COMTE
Où donc va-t-elle ?
GERMON.
Où ? mais apparemment
Chez ses amis.
LE COMTE
A Rémival, sans doute ?
GERMON.
Oui, je crois bien qu’elle prend cette route.
LE COMTE
Va la conduire à ce couvent voisin,
Où la baronne allait dès ce matin :
Mon dessein est qu’on la mette sur l’heure
Dans cette utile et décente demeure ;
Ces cent louis la feront recevoir.
Va… garde-toi de laisser entrevoir
Que c’est un don que je veux bien lui faire ;
Dis-lui que c’est un présent de ma mère ;
Je te défends de prononcer mon nom.
GERMON.
Fort bien ; je vais vous obéir.
(Il fait quelques pas.)
LE COMTE
Germon,
A son départ tu dis que tu l’as vue ?
GERMON.
Eh ! oui, vous dis-je.
LE COMTE
Elle était abattue ?
Elle pleurait ?
GERMON.
Elle faisait bien mieux,
Ses pleurs coulaient à peine de ses yeux ;
Elle voulait ne pas pleurer.
LE COMTE
A-t-elle
Dit quelque mot qui marque, qui décèle
Ses sentiments ? As-tu remarqué …
GERMON.
Quoi ?
LE COMTE
A-t-elle enfin, Germon, parlé de moi ?
GERMON.
Oh ! oui, beaucoup.
LE COMTE
Eh bien ! dis-moi donc, traître,
Qu’a-t-elle dit ?
GERMON.
Que vous êtes son maître ;
Que vous avez des vertus, des bontés …
Qu’elle oubliera tout … hors vos cruautés.
LE COMTE
Va… Mais surtout garde qu’elle revienne.
(Germon sort.)
Germon !
GERMON.
Monsieur.
LE COMTE
Un mot ; qu’il te souvienne,
Si par hasard, quand tu la conduiras,
Certain Hombert venait suivre ses pas,
De le chasser de la belle manière.
GERMON.
Oui, poliment, à grands coups d’étrivière :
Comptez sur moi ; je sers fidèlement
Le jeune Hombert, dites-vous ?
LE COMTE
Justement.
GERMON.
Bon ! je n’ai pas l’honneur de le connaître ;
Mais le premier que je verrai paraître
Sera rossé de la bonne façon ;
Et puis après il me dira son nom.
(Il fait un pas et revient.)
Ce jeune Hombert est quelque amant, je gage,
Un beau garçon, le coq de son village.
Laissez-moi faire.
LE COMTE
Obéis promptement.
GERMON.
Je me doutais qu’elle avait quelque amant ;
Et Blaise aussi lui tient au cœur peut-être.
On aime mieux son égal que son maître.
LE COMTE
Ah ! cours, te dis-je.