NANINE - Partie 5

Publié le par loveVoltaire

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NANINE.

 

 

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ACTE PREMIER.

 

 

SCÈNE VI.

 

 

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NANINE.

 

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NANINE.

 

Quelles douleurs cuisantes !

Quel embarras ! quel tourment ! quel dessein !

Quels sentiments combattent dans mon sein !

Hélas ! je fuis le plus aimable maître !

En le fuyant, je l’offense peut-être ;

Mais, en restant, l’excès de ses bontés

M’attirerait trop de calamités,

Dans sa maison mettrait un trouble horrible.

Madame croit qu’il est pour moi sensible,

Que jusqu’à moi ce cœur peut s’abaisser :

Je le redoute, et n’ose le penser.

De quel courroux madame est animée !

Quoi ! l’on me hait, et je crains d’être aimée !

 

Mais moi ! mais moi ! je me crains encor plus ;

Mon cœur troublé de lui-même est confus.

Que devenir ? de mon état tirée,

Pour mon malheur je suis trop éclairée.

C’est un danger, c’est peut-être un grand tort

D’avoir une âme au-dessus de son sort.

Il faut partir ; j’en mourrai, mais n’importe.

 

 

 

 

 

SCÈNE VII.

 

 

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LE COMTE, NANINE, UN LAQUAIS.

 

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LE COMTE.

 

Hola ! quelqu’un ! qu’on reste à cette porte.

Des sièges, vite.

 

 

(Il fait la révérence à Nanine, qui lui en fait une profonde.)

 

 

Asseyons-nous ici.

 

NANINE.

 

Qui, moi, monsieur ?

 

LE COMTE.

 

Oui, je le veux ainsi ;

Et je vous rends ce que votre conduite,

Votre beauté, votre vertu mérite.

Un diamant trouvé dans un désert

Est-il moins beau, moins précieux, moins cher ?

Quoi ! vos beaux yeux semblent mouillés de larmes !

Ah ! je le vois, jalouse de vos charmes,

Notre baronne aura, par ses aigreurs,

Par son courroux, fait répandre vos pleurs.

 

NANINE.

 

Non, monsieur, non ; sa bonté respectable

Jamais pour moi ne fut si favorable ;

Et j’avouerai qu’ici tout m’attendrit.

 

LE COMTE.

 

Vous me charmez : je craignais son dépit.

 

NANINE.

 

Hélas ! pourquoi ?

 

LE COMTE.

 

Jeune et belle Nanine,

La jalousie en tous les cœurs domine :

L’homme est jaloux dès qu’il peut s’enflammer ;

La femme l’est même avant que d’aimer.

Un jeune objet, beau, doux, discret, sincère,

A tout son sexe est bien sûr de déplaire.

L’homme est plus juste ; et d’un sexe jaloux

Nous nous vengeons autant qu’il est en nous.

Croyez-moi surtout que je vous rends justice.

J’aime ce cœur qui n’a point d’artifice ;

J’admire encore à quel point vous avez

Développé vos talents cultivés.

De votre esprit la naïve justesse

Me rends surpris autant qu’il m’intéresse.

 

NANINE.

 

J’en ai bien peu ; mais quoi ! je vous ai vu,

Et je vous ai tous les jours entendu :

Vous avez trop relevé ma naissance ;

Je vous dois trop ; c’est par vous que je pense.

 

LE COMTE.

 

Ah ! croyez-moi, l’esprit ne s’apprend pas.

 

NANINE.

 

Je pense trop pour un état si bas ;

Au dernier rang les destins m’ont comprise.

 

LE COMTE.

 

Dans le premier vos vertus vous ont mise.

Naïvement dites-moi quel effet

Ce livre anglais sur votre esprit a fait ?

 

NANINE.

 

Il ne m’a point du tout persuadée ;

Plus que jamais, monsieur, j’ai dans l’idée

Qu’il est des cœurs si grands, si généreux,

Que tout le reste est bien vil auprès d’eux.

 

LE COMTE.

 

Vous en êtes la preuve… Ah çà, Nanine,

Permettez-moi qu’ici l’on vous destine

Un sort, un rang moins indigne de vous.

 

NANINE.

 

Hélas ! mon sort était trop haut, trop doux.

 

LE COMTE.

 

Non. Désormais, soyez de la famille :

Ma mère arrive ; elle vous voit en fille ;

Et mon estime et sa tendre amitié

Doivent ici vous mettre sur un pied

Fort éloigné de cette indigne gêne

Où vous tenait une femme hautaine.

 

NANINE.

 

Elle n’a fait, hélas ! que m’avertir

De mes devoirs… Qu’ils sont durs à remplir !

 

LE COMTE.

 

Quoi ! quel devoir ? Ah ! le vôtre est de plaire ;

Il est rempli : le nôtre ne l’est guère.

Il vous fallait plus d’aisance et d’éclat :

Vous n’êtes pas encor dans votre état.

 

NANINE.

 

J’en suis sortie, et c’est ce qui m’accable ;

C’est un malheur peut-être irréparable.

 

 

(Se levant.)

 

 

Ah ! monseigneur ! ah ! mon maître ! écartez

De mon esprit toutes ces vanités ;

De vos bienfaits confuse, pénétrée.

Laissez-moi vivre à jamais ignorée.

Le ciel me fit pour un état obscur ;

L’humilité n’a pour moi rien de dur.

Ah ! laissez-moi ma retraite profonde.

Eh ! que ne ferais-je, et que verrais-je au monde,

Après avoir admiré vos vertus ?

 

LE COMTE.

 

Non, c’en est trop, je n’y résiste plus

Qui ? vous obscure ! vous !

 

NANINE.

 

Quoi que je fasse,

Puis-je de vous obtenir une grâce ?

 

LE COMTE.

 

Qu’ordonnez-vous ? parlez.

 

NANINE.

 

Depuis un temps

Votre bonté me comble de présents.

 

LE COMTE.

 

Eh bien ! pardon. J’en agis comme un père,

Un père tendre à qui sa fille est chère.

Je n’ai point l’art d’embellir un présent ;

Et je suis juste, et je ne suis point galant.

De la fortune il faut venger l’injure

Elle vous traita mal ; mais la nature,

En récompense, a voulu vous doter

De tous ses biens ; j’aurais dû l’imiter.

 

NANINE.

 

Vous en avez trop fait ; mais je me flatte

Qu’il m’est permis, sans que je sois ingrate,

De disposer de ces dons précieux

Que votre main rend si chers à mes yeux.

 

LE COMTE.

 

Vous m’outragez.

 

 

 

 

 

SCÈNE VIII.

 

 

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LE COMTE, NANINE, GERMON.

 

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GERMON.

 

Madame vous demande,

Madame attend.

 

LE COMTE.

 

Eh ! que madame attende.

Quoi ! l’on ne peut un moment vous parler,

Sans qu’aussitôt on vienne nous troubler !

 

NANINE.

 

Avec douleur sans doute je vous laisse ;

Mais vous savez qu’elle fut ma maîtresse.

 

LE COMTE.

 

Non, non, jamais je ne veux le savoir.

 

NANINE.

 

Elle conserve un reste de pouvoir.

 

LE COMTE.

 

Elle n’en garde aucun, je vous assure.

Vous gémissez … Quoi ! votre cœur murmure ?

Qu’avez-vous donc ?

 

NANINE.

 

Je vous quitte à regret ;

Mais il le faut… O ciel ! c’en est donc fait !

 

 

 

(Elle sort.)

 

 

 

 

 

SCÈNE IX.

 

 

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LE COMTE, GERMON.

 

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LE COMTE.

 

Elle pleurait. D’une femme orgueilleuse

Depuis longtemps l’aigreur capricieuse

La fait gémir sous trop de dureté ;

Et de quel droit ? par quelle autorité ?

Sur ces abus ma raison se récrie.

Ce monde-ci n’est qu’une loterie

De biens, de rangs, de dignités, de droits,

Brigués sans titre, et répandus sans choix.

Hé !

 

GERMON.

 

Monseigneur.

 

LE COMTE.

 

Demain sur sa toilette

Vous porterez cette somme complète

De trois cents louis d’or ; n’y manquez pas ;

Puis vous irez chercher ces gens là-bas ;

Ils attendront.

 

GERMON.

 

Madame la baronne

Aura l’argent que monseigneur me donne,

Sur sa toilette.

 

LE COMTE.

 

Eh ! l’esprit lourd ! eh non !

C’est pour Nanine, entendez-vous ?

 

GERMON.

 

Pardon.

 

LE COMTE.

 

Allez, allez, laissez-moi.

 

 

(Germon sort.)

 

Ma tendresse

Assurément n’est point une faiblesse.

Je l’idolâtre, il est vrai ; mais mon cœur

Dans ses yeux seuls n’a point pris son ardeur.

Son caractère est fait pour plaire au sage ;

Et sa belle âme a mon premier hommage :

Mais son état ? Elle est trop au-dessus ;

Fût-il plus bas, je l’en aimerais plus.

Mais puis-je enfin l’épouser ? Oui, sans doute.

Pour être heureux qu’est-ce donc qu’il en coûte ?

D’un monde vain dois-je craindre l’écueil,

Et de mon goût me priver par orgueil ?

Mais la coutume ? … Eh bien ! elle est cruelle ;

Et la nature eut ses droits avant elle.

Eh quoi ! rival de Blaise ! Pourquoi non ?

Blaise est un homme ; il l’aime, il a raison.

Elle fera dans une paix profonde

Le bien d’un seul, et les désirs du monde.

Elle doit plaire aux jardiniers, aux rois ;

Et mon bonheur justifiera mon choix.

 

 

 

NANINE-ACTE PREMIER-SCENE VI

 

 

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