NANINE - Partie 7

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 Photo  de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

NANINE.

 

 

______

 

 

 

ACTE DEUXIÈME.

 

 

SCÈNE   III.

 

 

_______

 

 

LE COMTE, NANINE.

 

_______

 

 

 

 

LE COMTE.

 

Belle Nanine, est-ce vous que je voi ?

Quoi ! vous voulez vous dérober à moi !

Ah ! répondez, expliquez-vous, de grâce.

Vous avez craint, sans doute, la menace

De la baronne ; et ces purs sentiments,

Que vos vertus m’inspirent dès longtemps,

Plus que jamais l’auront, sans doute, aigrie.

Vous n’auriez point de vous-même eu l’envie

De nous quitter, d’arracher à ces lieux

Leur seul éclat, que leur prêtaient vos yeux.

Hier au soir, de pleurs toute trempée,

De ce dessein étiez-vous occupée ?

Répondez donc. Pourquoi me quittiez-vous ?

 

NANINE

 

Vous me voyez tremblante à vos genoux.

 

LE COMTE, la relevant.

 

Ah ! parlez-moi. Je tremble plus encore.

 

NANINE

 

Madame…

 

LE COMTE.

 

Eh bien ?

 

NANINE

 

Madame, que j’honore,

Pour le couvent n’a point forcé mes vœux.

 

LE COMTE.

 

Ce serait vous ? qu’entends-je ! ah ! malheureux.

 

NANINE

 

Je vous l’avoue ; oui, je l’ai conjurée

De mettre un frein à mon âme égarée…

Elle voulait, monsieur, me marier.

 

LE COMTE.

 

Elle ? à qui donc ?

 

NANINE

 

A votre jardinier.

 

LE COMTE.

 

Le digne choix !

 

NANINE

 

Et moi, toute honteuse,

Plus qu’on ne croit peut-être malheureuse,

Moi qui repousse avec un vain effort

Des sentiments au-dessus de mon sort,

Que vos bontés avaient trop élevée,

Pour m’en punir, j’en dois être privée.

 

LE COMTE.

 

Vous, vous punir ! ah ! Nanine ! et de quoi

 

NANINE

 

D’avoir osé soulever contre moi

Votre parente, autrefois ma maîtresse.

Je lui déplais ; mon seul aspect la blesse :

Elle a raison ; et j’ai près d’elle, hélas !

Un tort bien grand … qui ne finira pas.

J’ai craint ce tort ; il est peut-être extrême.

J’ai prétendu m’arracher à moi-même,

Et déchirer dans les austérités

Ce cœur trop haut, trop fier de vos bontés,

Venger sur lui sa faute involontaire.

Mais ma douleur, hélas ! la plus amère,

En perdant tout, en courant m’éclipser,

En vous fuyant, fut de vous offenser.

 

LE COMTE, se détournant et se promenant.

 

Quels sentiments ! et quelle âme ingénue !

En ma faveur est-elle prévenue ?

A-t-elle craint de m’aimer ? ô vertu !

 

NANINE

 

Cent fois pardon, si je vous ai déplu :

Mais permettez qu’au fond d’une retraite

J’aille cacher ma douleur inquiète,

M’entretenir en secret à jamais

De mes devoirs, de vous, de vos bienfaits.

 

LE COMTE.

 

N’en parlons plus. Ecoutez : la baronne

Vous favorise, et noblement vous donne

Un domestique, un rustre pour époux ;

Moi, j’en sais un moins indigne de vous :

Il est d’un rang fort au-dessus de Blaise,

Jeune honnête homme ; il est fort à son aise.

Je vous réponds qu’il a des sentiments :

Son caractère est loin des mœurs du temps ;

Et je me trompe, ou pour vous j’envisage

Un destin doux, un excellent ménage.

Un tel parti flatte-t-il votre cœur ?

Vaut-il pas bien le couvent ?

 

NANINE

 

Non, monsieur…

Ce nouveau bien que vous daignez me faire,

Je l’avouerai, ne peut me satisfaire.

Vous pénétrez mon cœur reconnaissant :

Daignez y lire, et voyez ce qu’il sent ;

Voyez sur quoi ma retraite se fonde.

Un jardinier, un monarque du monde,

Qui pour époux s’offriraient à mes vœux,

Egalement me déplairaient tous deux.

 

LE COMTE.

 

Vous décidez mon sort. Eh bien ! Nanine,

Connaissez donc celui qu’on vous destine :

Vous l’estimez : il est sous votre loi ;

Il vous adore, et cet époux … c’est moi.

 

 

(A part.)

 

 

L’étonnement, le trouble l’a saisie.

 

 

(A Nanine.)

Ah ! parlez-moi ; disposez de ma vie ;

Ah ! reprenez vos sens trop agités.

 

NANINE

 

Qu’ai-je entendu ?

 

LE COMTE.

 

Ce que vous méritez.

 

NANINE

 

Quoi ! vous m’aimez ? ah ! gardez-vous de croire

Que j’ose user d’une telle victoire.

Non, monsieur, non, je ne souffrirai pas

Qu’ainsi pour moi vous descendiez si bas :

Un tel hymen est toujours trop funeste ;

Le goût se passe, et le repentir reste.

J’ose à vos pieds attester vos aïeux …

Hélas ! sur moi ne jetez point les yeux,

Vous avez pris pitié de mon jeune âge ;

Formé par vous, ce cœur est votre ouvrage ;

Il en serait indigne désormais

S’il acceptait le plus grand des bienfaits.

Oui, je vous dois des refus. Oui, mon âme

Doit s’immoler.

 

LE COMTE.

 

Non, vous serez ma femme.

Quoi ! tout à l’heure ici vous m’assuriez,

Vous l’avez dit, que vous refuseriez

Tout autre époux, fût-ce un prince.

 

NANINE

 

Oui, sans doute,

Et ce n’est pas ce refus qui me coûte.

 

LE COMTE.

 

Mais me haïssez-vous ?

 

NANINE

 

Aurais-je fui,

Craindrais-je tant, si vous étiez haï ?

 

LE COMTE.

 

Ah ! ce mot seul a fait ma destinée.

 

NANINE

 

Eh ! que prétendez-vous ?

 

LE COMTE.

 

Notre hyménée.

 

NANINE

 

Songez…

 

LE COMTE.

 

Je songe à tout.

 

NANINE

 

Mais prévoyez…

 

LE COMTE.

 

Tout est prévu…

 

NANINE

 

Si vous m’aimez, croyez…

 

LE COMTE.

 

Je crois former le bonheur de ma vie.

 

NANINE

 

Vous oubliez…

 

LE COMTE.

 

Il n’est rien que j’oublie.

Tout sera prêt, et tout est ordonné…

 

NANINE.

 

Quoi ! malgré moi votre amour obstiné…

 

LE COMTE.

 

Oui, malgré vous, ma flamme impatiente

Va tout presser pour cette heure charmante.

Un seul instant je quitte vos attraits

Pour que mes yeux n’en soient privés jamais.

Adieu, Nanine, adieu, vous que j’adore.

 

 

 

 NANINE - ACTE II - SCENE III

 

 

 

 

 

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