MAHOMET - Partie 4 : Acte deuxième

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M A H O M E T.

 

 

 

 

ACTE DEUXIÈME.

 

 

SCÈNE I.

 

 

 

SÉIDE  (1), PALMIRE.

 

 

 

 

 

PALMIRE.

 

Dans ma prison cruelle est-ce un dieu qui te guide ?

Mes maux sont-ils finis ? te revois-je, Séide ?

 

SÉIDE.

 

O charme de ma vie et de tous mes malheurs !

Palmire, unique objet qui m’a coûté des pleurs,

Depuis ce jour de sang qu’un ennemi barbare,

Près des camps du prophète, aux bords du Saïbare,

Vint arracher sa proie à mes bras tout sanglants,

Qu’étendu loin de toi sur des corps expirants,

Mes cris mal entendus sur cette infâme rive

Invoquèrent la mort sourde à ma voix plaintive,

O ma chère Palmire, en quel gouffre d’horreur

Tes périls et ma perte ont abîmé mon cœur !

Que mes feux, que ma crainte, et mon impatience,

Accusaient la lenteur des jours de la vengeance !

Que je hâtais l’assaut si longtemps différé,

Cette heure de carnage, où, de sang enivré,

Je devais de mes mains brûler la ville impie

Où Palmire a pleuré sa liberté ravie !

Enfin de Mahomet les sublimes desseins,

Que n’ose approfondir l’humble esprit des humains,

Ont fait entrer Omar en ce lieu d’esclavage ;

Je l’apprends, et j’y vole. On demande un otage ;

J’entre, je me présente ; on accepte ma foi,

Et je me rends captif, ou je meurs avec toi.

 

PALMIRE.

 

Séide, au moment même, avant que ta présence

Vînt de mon désespoir calmer la violence,

Je me jetais aux pieds de mon fier ravisseur.

Vous voyez, ai-je dit, les secrets de mon cœur :

Ma vie est dans les camps dont vous m’avez tirée ;

Rendez-moi le seul bien dont je suis séparée.

Mes pleurs, en lui parlant, ont arrosé ses pieds ;

Ses refus ont saisi mes esprits effrayés.

J’ai senti dans mes yeux la lumière obscurcie :

Mon cœur sans mouvement, sans chaleur, et sans vie,

D’aucune ombre d’espoir n’était plus secouru ;

Tout finissait pour moi, quand Séide a paru.

 

SÉIDE.

 

Quel est donc ce mortel insensible à tes larmes ?

 

PALMIRE.

 

C’est Zopire : il semblait touché de mes alarmes ;

Mais le cruel enfin vient de me déclarer

Que des lieux où je suis rien ne peut me tirer.

 

SÉIDE.

 

Le barbare se trompe ; et Mahomet mon maître,

Et l’invincible Omar, et moi-même peut-être

(Car j’ose me nommer après ces noms fameux,

Pardonne à ton amant cet espoir orgueilleux),

Nous briserons ta chaîne, et tarirons tes larmes.

Le dieu de Mahomet, protecteur de nos armes,

Le dieu dont j’ai porté les sacrés étendards,

Le dieu qui de Médine a détruit les remparts,

Renversera la Mecque à nos pieds abattue.

Omar est dans la ville, et le peuple à sa vue

N’a point fait éclater ce trouble et cette horreur

Qu’inspire aux ennemis un ennemi vainqueur ;

Au nom de Mahomet un grand dessein l’amène.

 

PALMIRE.

 

Mahomet nous chérit ; il briserait ma chaîne ;

Il unirait nos cœurs ; nos cœurs lui sont offerts :

Mais il est loin de nous, et nous sommes aux fers.

 

 

 

__________

 

 

 

SCÈNE II.

 

 

 

 

PALMIRE, SÉIDE, OMAR.

 

 

 

 

OMAR.

 

Vos fers seront brisés, soyez pleins d’espérance ;

Le ciel vous favorise, et Mahomet s’avance.

 

SÉIDE.

 

Lui ?

 

PALMIRE.

 

Notre auguste père ?

 

OMAR.

 

Au conseil assemblé

L’esprit de Mahomet par ma bouche a parlé.

« Ce favori du dieu qui préside aux batailles,

Ce grand homme, ai-je dit, est né dans vos murailles.

Il s’est rendu des rois le maître et le soutien,

Et vous lui refusez le rang de citoyen !

Vient-il vous enchaîner, vous perdre, vous détruire ?

Il vient vous protéger, mais surtout vous instruire :

Il vient dans vos cœurs même établir son pouvoir. »

Plus d’un juge à ma voix a paru s’émouvoir ;

Les esprits s’ébranlaient : l’inflexible Zopire,

Qui craint de la raison l’inévitable empire,

Veut convoquer le peuple et s’en faire un appui.

On l’assemble, j’y cours et j’arrive avec lui ;

Je parle aux citoyens, j’intimide, j’exhorte ;

J’obtiens qu’à Mahomet on ouvre enfin la porte.

Après quinze ans d’exil, il revoit ses foyers ;

Il entre accompagné des plus braves guerriers,

D’Ali, d’Ammon, d’Hercide, et de sa noble élite ;

Il entre, et sur ses pas chacun se précipite ;

Chacun porte un regard, comme un cœur différent.

L’un croit voir un héros, l’autre voir un tyran.

Celui-ci le blasphème, et le menace encore ;

Cet autre est à ses pieds, les embrasse, et l’adore ;

Nous faisons retentir à ce peuple agité

Les noms sacrés de dieu, de paix, de liberté.

De Zopire éperdu la cabale impuissante

Vomit en vain les feux de sa rage expirante.

Au milieu de leurs cris, le front calme et serein,

Mahomet marche en maître, et l’olive à la main

La trêve est publiée, et le voici lui-même.

 

 

 

 

__________

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

 

 

MAHOMET, OMAR, ALI, HERCIDE, SEIDE, PALMIRE.

 

 

 

 

MAHOMET.

 

Invincibles soutiens de mon pouvoir suprême,

Noble et sublime Ali, Morad, Hercide, Ammon,

Retournez vers ce peuple, instruisez-le en mon nom ;

Promettez, menacez ; que la vérité règne ;

Qu’on adore mon dieu ; mais surtout qu’on le craigne.

Vous Séide, en ces lieux !

 

SÉIDE.

 

O mon père ! ô mon roi !

Le dieu qui vous inspire a marché devant moi.

Prêt à mourir pour vous, prêt à tout entreprendre,

J’ai prévenu votre ordre.

 

MAHOMET.

 

Il eût fallu l’attendre.

Qui fait plus qu’il ne doit ne sait point me servir.

J’obéis à mon dieu ; vous, sachez m’obéir.

 

PALMIRE.

 

Ah ! seigneur ! pardonnez à son impatience.

Elevés près de vous dans notre tendre enfance,

Les mêmes sentiments nous animent tous deux :

Hélas ! mes tristes jours sont assez malheureux !

Loin de vous, loin de lui, j’ai langui prisonnière ;

Mes yeux de pleurs noyés s’ouvraient à la lumière,

Empoisonneriez-vous l’instant de mon bonheur ?

 

MAHOMET.

 

Palmire, c’est assez ; je lis dans votre cœur :

Que rien ne vous alarme, et rien ne vous étonne.

Allez : malgré les soins de l’autel et du trône,

Mes yeux sur vos destins seront toujours ouverts ;

Je veillerai sur vous comme sur l’univers.

(A Séide.)

Vous, suivez mes guerriers ; et vous, jeune Palmire,

En servant votre dieu, ne craignez que Zopire.

 

 

 

 

__________

 

 

SCÈNE IV.

 

 

 

 

 

MAHOMET, OMAR.

 

 

 

MAHOMET.

 

Toi, reste, brave Omar : il est temps que mon cœur

De ses derniers replis t’ouvre la profondeur.

D’un siège encor douteux la lenteur ordinaire

Peut retarder ma course, et borner ma carrière :

Ne donnons point le temps aux mortels détrompés

De rassurer leurs yeux de tant d’éclat frappés.

Les préjugés, ami, sont les rois du vulgaire.

Tu connais quel oracle et quel bruit populaire

Ont promis l’univers à l’envoyé d’un dieu,

Qui, reçu dans la Mecque, et vainqueur en tout lieu,

Entrerait dans ces murs en écartant la guerre :

Je viens mettre à profit les erreurs de la terre.

Mais tandis que les miens, par de nouveaux efforts,

De ce peuple inconstant font mouvoir les ressorts,

De quel œil revois-tu Palmire avec Séide ?

 

OMAR.

 

Parmi tous ces enfants enlevés par Hercide,

Qui, formés sous ton joug, et nourris dans ta loi,

N’ont de dieu que le tien, n’ont de père que toi,

Aucun ne te servit avec moins de scrupule,

N’eut un cœur plus docile, un esprit plus crédule ;

De tous tes musulmans ce sont les plus soumis.

 

MAHOMET.

 

Cher Omar, je n’ai point de plus grands ennemis.

Ils s’aiment, c’est assez.

 

OMAR.

 

Blâmes-tu leurs tendresses ?

 

MAHOMET.

 

Ah ! connais mes fureurs et toutes mes faiblesses.

 

OMAR.

 

Comment ?

 

MAHOMET.

 

Tu sais assez quel sentiment vainqueur

Parmi mes passions règne au fond de mon cœur.

Chargé du soin du monde, environné d’alarmes,

Je porte l’encensoir, et le sceptre, et les armes :

Ma vie est un combat (2), et ma frugalité

Asservit la nature à mon austérité :

J’ai banni loin de moi cette liqueur traîtresse

Qui nourrit des humains la brutale mollesse :

Dans des sables brûlants, sur des rochers déserts,

Je supporte avec toi l’inclémence des airs :

L’amour seul me console ; il est ma récompense,

L’objet de mes travaux, l’idole que j’encense,

Le dieu de Mahomet ; et cette passion

Est égale aux fureurs de mon ambition.

Je préfère en secret Palmire à mes épouses.

Conçois-tu bien l’excès de mes fureurs jalouses,

Quand Palmire à mes pieds, par un aveu fatal,

Insulte à Mahomet, et lui donne un rival ?

 

OMAR.

 

Et tu n’es pas vengé ?

 

MAHOMET.

 

Juge si je dois l’être.

Pour le mieux détester apprends à le connaître.

De mes deux ennemis apprends tous les forfaits :

Tous deux sont nés ici du tyran que je hais.

 

OMAR.

 

Quoi ! Zopire…

 

MAHOMET.

 

Est leur père : Hercide en ma puissance

Remit depuis quinze ans leur malheureuse enfance.

J’ai nourri dans mon sein ces serpents dangereux ;

Déjà, sans se connaître, ils m’outragent tous deux.

J’attisai de mes mains leurs feux illégitimes.

Le ciel voulut ici rassembler tous les crimes.

Je veux … Leur père vient ; ses yeux lancent vers nous

Les regards de la haine, et les traits du courroux.

Observe tout, Omar, et qu’avec son escorte

Le vigilant Hercide assiège cette porte.

Reviens me rendre compte, et voir s’il faut hâter

Ou retenir les coups que je dois lui porter.

 

 MAHOMET-ACTE 2-Partie1

 

 

1 – Ce nom propre est resté dans la langue pour désigner une espèce. (G.A.)

 

2 – On sait que Beaumarchais prit cet hémistiche pour devise. (G.A.)

 

 

 

 

 

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