LA PUCELLE D'ORLEANS : Chant vingtième

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LA PUCELLE.

 

 

 

CHANT VINGTIÈME.

 

 

 

 

ARGUMENT.

  

 

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Comment Jeanne tomba dans une étrange tentation ; tendre témérité de son âne : belle résistance de la Pucelle.

 

 

 

___________

 

 

 

 

L’homme et la femme est chose bien fragile ;

Sur la vertu gardez-vous de compter :

Ce vase est beau, mais il est fait d’argile,

Un rien le casse : on peut le rajuster,

Mais ce n’est pas entreprise facile.

Garder ce vase avec précaution,

Sans le ternir, croyez-moi, c’est un rêve :

Nul n’y parvient ; témoin le mari d’Eve,

Et le vieux Loth, et l’aveugle Samson,

David le saint, le sage Salomon,

Et vous surtout, sexe doux, sexe aimable,

Tant du nouveau que du vieux Testament,

Et de l’histoire et même de la fable.

Sexe dévot, je pardonne aisément

Vos petits tours et vos petits caprices,

Vos doux refus, vos charmants artifices ;

Mais j’avouerai qu’il est de certains cas,

De certains goûts que je n’excuse pas.

J’ai vu parfois une bamboche (1), un singe,

Gros, court, tanné, tout velu sous le linge,

Comme un blondin caressé dans vos bras :

J’en suis fâché pour vos tendres appas.

Un âne ailé vaut cent fois mieux peut-être

Qu’un fat en robe et qu’un lourd petit-maître.

Sexe adorable, à qui j’ai consacré

Le don des vers dont je fus honoré,

Pour vous instruire il est temps de connaître

L’erreur de Jeanne, et comme un beau grison

Pour un moment égara sa raison :

Ce n’est pas moi, c’est le sage Trithême,

Ce digne abbé, qui vous parle lui-même.

 

Le gros damné de père Grisbourdon,

Terrible encore au fond de sa chaudière,

En blasphémant cherchait l’occasion

De se venger de la Pucelle altière,

Par qui là-haut, d’un coup d’estramaçon

Son chef tondu fut privé de son tronc.

Il s’écriait : « O Belzébuth ! mon père,

Ne pourrais-tu dans quelque gros péché

Faire tomber cette Jeanne sévère ?

J’y crois, pour moi, ton honneur attaché. »

Comme il parlait, arriva plein de rage

Hermaphrodix au ténébreux rivage,

Son eau bénite encor sur le visage.

Pour se venger, l’amphibie animal

Vint s’adresser à l’auteur de tout mal.

Les voilà donc tous les trois qui conspirent

Contre une femme. Hélas ! le plus souvent,

Pour les séduire il n’en fallut pas tant.

Depuis longtemps tous les trois ils apprirent

Que Jeanne d’Arc dessous son cotillon

Gardait les clefs de la ville assiégée,

Et que le sort de la France affligée

Ne dépendait que de sa mission.

L’esprit du diable a de l’invention :

Il courut vite observer sur la terre

Ce que faisaient ses amis d’Angleterre ;

En quel état, et de corps et d’esprit,

Se trouvait Jeanne après le grand conflit.

Le roi, Dunois, Agnès alors fidèle,

L’âne, Bonneau, Bonifoux, la Pucelle,

Etaient entrés vers la nuit dans le fort,

En attendant quelque nouveau renfort.

Des assiégés la brèche réparée

Aux assaillants ne permet plus l’entrée.

Des ennemis la troupe est retirée.

Les citoyens, le roi Charles, et Bedfort,

Chacun chez soi soupe en hâte et s’endort.

Muses, tremblez de l’étrange aventure

Qu’il faut apprendre à la race future ;

Et vous, lecteurs, en qui le ciel a mis

Les sages goûts d’une tendresse pure,

Remerciez et Dunois et Denys

Qu’un grand péché n’ait pas été commis.

 

 

 

Il vous souvient que je vous ai promis

De vous conter les galantes merveilles

De ce Pégase aux deux longues oreilles,

Qui combattit, sous Jeanne et sous Dunois,

Les ennemis des filles et des rois.

Vous l’avez vu sur ses ailes dorées

Porter Dunois aux lombardes contrées :

Il en revint ; mais il revint jaloux.

Vous savez bien qu’en portant la Pucelle,

Au fond du cœur il sentit l’étincelle

De ce beau feu, plus vif encor que doux,

Ame, ressort, et principe des mondes,

Qui dans les airs, dans les bois, dans les ondes,

Produit les corps et les anime tous.

Ce feu sacré dont il nous reste encore

Quelques rayons dans ce monde épuisé,

Fut pris au ciel pour animer Pandore.

Depuis ce temps le flambeau s’est usé :

Tout est flétri ; la force languissante

De la nature, en nos malheureux jours,

Ne produit plus que d’imparfaits amours.

S’il est encore une flamme agissante,

Un germe heureux des principes divins,

Ne cherchez pas chez Vénus Uranie,

Ne cherchez pas chez les faibles humains,

Adressez-vous aux héros d’Arcadie.

 

Beaux Céladons, que des objets vainqueurs

Ont enchaînés par des liens de fleurs ;

Tendres amants en cuirasse, en soutane,

Prélats, abbés, colonels, conseillers,

Gens du bel air, et même cordeliers,

En fait d’amour, défiez-vous d’un âne.

Chez les Latins le fameux âne d’or,

Si renommé  par sa métamorphose,

De celui-ci n’approchait pas encor :

Il n’était qu’homme, et c’est bien peu de chose.

 

L’abbé Trithême, esprit sage et discret,

Et plus savant que le pédant Larchet (2),

Modeste auteur de cette noble histoire,

Fut effrayé plus qu’on ne saurait croire,

Quand il fallut, aux siècles à venir,

De ces excès transmettre la mémoire.

De ses trois doigts il eut peine à tenir

Sur son papier sa plume épouvantée ;

Elle tomba : mais son âme agitée

Se rassura, faisant réflexion

Sur la malice et le pouvoir du diable.

 

Du genre humain cet ennemi coupable

Est tentateur de sa profession.

Il prend les gens en sa possession ;

De tout péché ce père formidable

Rival de Dieu, séduisit autrefois

Ma chère mère, un soir au coin d’un bois (3),

Dans son jardin. Ce serpent hypocrite

Lui fit manger une pomme maudite :

Même on prétend qu’il lui fit encore pis.

On la chassa de son beau paradis.

Depuis ce jour, Satan dans nos familles

A gouverné nos femmes et nos filles.

Le bon Trithême en avait dans son temps

Vu de ses yeux des exemples touchants.

Voici comment ce grand homme raconte

Du saint baudet l’insolence et la honte.

 

La grosse Jeanne, au visage vermeil,

Qu’ont rafraîchi les pavots du sommeil,

Entre ses draps doucement recueillie,

Se rappelait les destins de sa vie.

De tant d’exploits son jeune cœur flatté

A saint Denys n’en donna pas la gloire ;

Elle conçut un grain de vanité.

Denys, fâché, comme on peut bien le croire,

Pour la punir, laissa quelques moments

Sa protégée au pouvoir de ses sens.

Denys voulut que sa Jeanne , qu’il aime,

Connût enfin ce qu’on est par soi-même,

Et qu’une femme, en toute occasion,

Pour se conduire a besoin d’un patron.

Elle fut prête à devenir la proie

D’un piège affreux que tendit le démon :

On va bien loin sitôt qu’on se fourvoie.

 

Le tentateur, qui ne néglige rien,

Prenait son temps ; il le prend toujours bien.

Il est partout : il entra par adresse

Au corps de l’âne, il forma son esprit,

Valeur des sons à sa langue il apprit,

De sa voix rauque adoucit la rudesse,

Et l’instruisit aux finesses de l’art

Approfondi par Ovide et Bernard (4).

 

L’âne éclairé surmonta toute honte ;

De l’écurie adroitement il monte

Au pied du lit où , dans un doux repos,

Jeanne en son cœur repassait ses travaux ;

Puis doucement s’accroupissant près d’elle,

Il la loua d’effacer les héros,

D’être invincible, et surtout d’être belle.

Ainsi jadis le serpent séducteur,

Quand il voulut subjuguer notre mère,

Lui fit d’abord un compliment flatteur :

L’art de louer commença l’art de plaire.

 

« Où suis-je ? ô ciel ! s’écria Jeanne d’Arc :

Qu’ai-je entendu ? par saint Luc ! par saint Marc !

Est-ce mon âne ! ô merveille ! ô prodige !

Mon âne parle, et même il parle bien ! »

 

L’âne à genoux, composant son maintien ;

Lui dit : « O d’Arc ! ce n’est point un prestige ;

Voyez en moi l’âne de Canaan :

Je fus nourri chez le vieux Balaam.

Chez les païens Balaam était prêtre,

Moi j’étais Juif  et sans moi mon cher maître

Aurait maudit tout ce bon peuple élu,

Dont un grand mal fût sans doute advenu.

Adonaï récompensa mon zèle ;

Au vieil Enoc bientôt on me donna :

Enoc avait une vie immortelle,

J’en eus autant ; et le maître ordonna

Que le ciseau de la Parque cruelle

Respecterait le fil de mes beaux ans.

Je jouis donc d’un éternel printemps.

De notre pré le maître débonnaire

Me permit tout, hors un cas seulement :

Il m’ordonna de vivre chastement.

C’est pour un âne une terrible affaire.

Jeune et sans frein dans ce charmant séjour,

Maître de tout, j’avais droit de tout faire,

Le jour, la nuit, tout, excepté l’amour.

J’obéis mieux que ce premier sot homme

Qui perdit tout pour manger une pomme.

Je fus vainqueur de mon tempérament ;

La chair se tut ; je n’eus point de faiblesse ;

Je vécus vierge : or savez-vous comment ?

Dans le pays il n’était point d’ânesse.

Je vis couler, content de mon état,

Plus de mille ans dans ce doux célibat (5).

 

Lorsque Bacchus vint du fond de la Grèce

Porter le thyrse, et la gloire, et l’ivresse,

Dans les pays par le Gange arrosés

A ce héros je servis de trompette :

Les Indiens par nous civilisés

Chantent encor ma gloire et leur défaite.

Silène (6) et moi nous sommes plus connus

Que tous les grands qui suivirent Bacchus,

C’est mon nom seul, ma vertu signalée,

Qui fit depuis tout l’honneur d’Apulée (7).

 

Enfin là-haut, dans ces plaines d’azur,

Lorsque saint George, à vos Français si dur,

Ce fier saint George, aimant toujours la guerre,

Voulut avoir un coursier d’Angleterre ;

Quant saint Martin, fameux par son manteau (8),

Obtint encore un cheval assez beau ;

Monsieur Denys, qui fait comme eux figure,

Voulut, comme eux, avoir une monture :

Il me choisit, près de lui m’appela (9) ;

Il me fit don de deux brillantes ailes ;

Je pris mon vol aux voûtes éternelles ;

Du grand saint Roch (10) le chien me festoya ;

J’eus pour ami le porc de saint Antoine,

Céleste porc, emblème de tout moine ;

D’étrilles d’or mon maître m’étrilla ;

Je fus nourri de nectar, d’ambroisie :

Mais, ô ma Jeanne ! une si belle vie

N’approche pas du plaisir que je sens

Au doux aspect de vos charmes puissants.

Le chien, le porc, et George, et Denys même,

Ne valent pas votre beauté suprême.

Croyez surtout que de tous les emplois

Où m’éleva mon étoile bénigne,

Le plus heureux, le plus selon mon choix,

Et dont je suis peut-être le plus digne,

Est de servir sous vos augustes lois.

Quand j’ai quitté le ciel et l’empyrée,

J’ai vu par vous ma fortune honorée.

Non, je n’ai pas abandonné les cieux ;

J’y suis encor ; le ciel est dans vos yeux. »

A ce discours, peut-être téméraire,

Jeanne sentit une juste colère.

Aimer un âne et lui donner sa fleur !

Souffrirait-elle un pareil déshonneur,

Après avoir sauvé son innocence

Des muletiers et des héros de France,

Après avoir, par la grâce d’en haut,

Dans le combat mis Chandos en défaut ?

Mais que cet âne, ô ciel ! a de mérite !

Ne vaut-il pas la chèvre favorite

D’un Calabrois qui la pare de fleurs ?

« Non, disait-elle, écartons ces horreurs. »

Tous ces pensers formaient une tempête

Au cœur de Jeanne, et confondaient sa tête.

Ainsi qu’on voit sur les profondes mers

Les fiers tyrans des ondes et des airs,

L’un accourant des cavernes australes,

L’autre sifflant des glaces boréales,

Battre un vaisseau cinglant sur l’Océan

Vers Sumatra, Bengale, ou Ceïlan :

Tantôt la nef aux cieux semble portée,

Près des rochers tantôt elle est jetée,

Tantôt l’abîme est prêt à l’engloutir,

Et des enfers elle paraît sortir.

 

L’enfant malin qui tient sous son empire

Le genre humain, les ânes et les dieux,

Son arc en main, planait au haut des cieux,

Et voyait Jeanne avec un doux sourire.

De Jeanne d’Arc le grand cœur en secret

Etait flatté de l’étonnant effet

Que produisait sa beauté singulière

Sur le sens lourd d’une âme si grossière.

Vers son amant elle avança la main,

Sans y songer ; puis la tira soudain.

Elle rougit, s’effraie et se condamne ;

Puis se rassure, et puis lui dit : « Bel âne,

Vous concevez un chimérique espoir ;

Respectez plus ma gloire et mon devoir ;

Trop de distance est entre nos espèces ;

Non, je ne puis approuver vos tendresses ;

Gardez-vous bien de me pousser à bout. »

 

L’âne reprit : « l’amour égale tout.

Songez au cygne à qui Léda fit fête (11),

Sans cesser d’être une personne honnête ;

Connaissez-vous la fille de Minos (1),

Pour un taureau négligeant des héros,

Et soupirant pour son beau quadrupède ?

Sachez qu’un aigle enleva Ganymède,

Et que Philyre avait favorisé

Le dieu des mers en cheval déguisé. »

 

 

Il poursuivait son discours ; et le diable,

Premier auteur des écrits de la fable,

Lui fournissait ces exemples frappants,

Et mettait l’âne au rang de nos savants.

 

Tandis qu’il parle avec tant d’élégance,

Le grand Dunois, qui près de là couchait,

Prêtait l’oreille, était tout stupéfait

Des traits hardis d’une telle éloquence.

Il voulut voir le héros qui parlait,

Et quel rival l’amour lui suscitait.

Il entre, il voit (ô prodige ! ô merveille !)

Le possédé porteur de longue oreille,

Et ne crut pas encor ce qu’il voyait.

 

Jadis Vénus fut ainsi confondue,

Lorsqu’en un rets formé de fils d’airain,

Aux yeux des dieux le malheureux Vulcain

Sous le dieu Mars la montra toute nue ;

Jeanne, après tout, n’a point été vaincue ;

Le bon Denys ne l’abandonnait pas ;

Près de l’abîme il affermit ses pas ;

Il la soutint dans ce péril extrême.

Jeanne s’indigne et rentre en elle-même :

Comme un soldat dans son poste endormi,

Qui se réveille aux premières alarmes,

Frotte ses yeux, saute en pied, prend les armes,

S’habille en hâte et fond sur l’ennemi,

De Débora la lance redoutable

Etait chez Jeanne auprès de son chevet,

Et de malheur souvent la préservait.

Elle la prend ; la puissance du diable

Ne tint jamais contre ce fer divin.

Jeanne et Dunois fondent sur le malin.

Le malin court, et sa voix effrayante

Fait retentir Blois, Orléans et Nantes ;

Et les baudets dans le Poitou nourris

Du même ton répondaient à ses cris.

Satan fuyait ; mais dans sa course prompte

Il veut venger les Anglais et sa honte ;

Dans Orléans il vole comme un trait

Droit au logis du président Louvet.

Il s’y tapit dans le corps de madame :

Il était sûr de gouverner cette âme ;

C’était son bien ; le perfide est instruit

Du mal secret qui tient la présidente ;

Il sait qu’elle aime et que Talbot l’enchante.

Le vieux serpent en secret la conduit.

Il la dirige, il l’enflamme, il espère.

Qu’elle pourra prêter son ministère

Pour introduire aux remparts d’Orléans

Le beau Talbot et ses fiers combattants :

En travaillant pour les Anglais qu’il aime

Il sait qu’il combat pour lui-même (13.)

 

 

 

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1 – Sorte de marionnettes. (G.A.)

 

2 – Le pédant Larchet, mazarinier ridicule, homme de collège qui, dans un livre de critique, assure, d’après Hérodote, qu’à Babylone, toutes les dames se prostituaient dans le temple par dévotion et que tous les jeunes Gaulois étaient sodomites. (1773.) (Voltaire.)° ― Larchet est là pour Larcher. Voyez la Défense de mon oncle. (G.A.)

 

3 – Voilà comment il convient de parler du diable, et de tous les diables qui ont succédé aux Furies et de toutes les impertinences qui ont succédé aux impertinences antiques. On sait assez que Satan, Belzébuth, Astaroth, n’existent pas plus que Tisiphone, Alecton, et Mégère. Le sombre et fanatique Milton, de la secte des indépendants, détestable secrétaire en langue latine du parlement nommé le Croupion, et détestable apologiste de l’assassinat de Charles 1er, peut, tant qu’il voudra, célébrer l’enfer, et peindre le diable déguisé en cormoran et en crapauds, et faire tenir tous les diables en pygmées dans une grande salle ; ces imaginations dégoûtantes, affreuses, absurdes, ont pu plaire à quelques fanatiques comme lui. Nous déclarons que nous avons ces facéties abominables en horreur. Nous ne voulons que nous réjouir. (1773.) (Voltaire.)

 

4 – Bernard, auteur de l’opéra de Castor et Pollux, et de quelques pièces fugitives, a fait un Art d’aimer comme Ovide, mais cet ouvrage n’est pas encore imprimé. (1773 .) (Voltaire. ) ― Deux ans après cette note, l’Art d’aimer de Bernard fut publié. (G.A.)

 

5 – On lisait ici en 1756 :

 

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

Bientôt il plut au maître du tonnerre,

Au créateur du ciel et de la terre,

Pour racheter le genre humain captif,

De se faire homme, et, ce qui pis est, Juif.

Joseph Panther et la brune Marie,

Sans le savoir, firent cette œuvre pie.

A son époux la belle dit adieu,

Puis accoucha d’un bâtard qui fut Dieu.

Il fut d’abord suivi par la canaille,

Par des Matthieu, des Jacques, des enfants :

Car Dieu se cache aux sages comme aux grands;

L’humble le suit, l’homme d’Etat s’en raille :

La cour d’Hérode et les gens du bel air

Narguent un Dieu bâtard et fait de chair.

De cette chair l’humanité sacrée

Est de Pilate assez peu révérée.

Mais quelques jours avant qu’il fût fessé,

Et qu’un long bois pour Jésus fût dressé,

Il devait faire en public son entrée.

C’était un point de sa religion

Que sur un âne il entrât dans Sion ;

Cet âne était prédit par Isaïe,

Ezéchiel, Baruch, et Jérémie :

C’était un cas important dans la loi ;

O Jeanne d’Arc ! Cet âne c’était moi.

Un ordre vint, à l’archange terrible

Qui du jardin est le suisse inflexible,

De me laisser sortir de ce beau lieu.

Je pris ma course, et j’allai porter Dieu.

Notre présence imposait aux oracles :

A chaque pas nous faisions des miracles ;

Vérole, toux, fièvre, chancre, farcin,

Disparaissaient à notre aspect divin ;

Chacun criait : « Vive le roi de gloire ! »

Vous connaissez le reste de l’histoire,

Le créateur, pendu publiquement,

Ressuscita bientôt secrètement.

 

Je fus fidèle, et restai chez ma mère,

Très mal bâté, faisant très maigre chère.

Marie, au jour de son assomption,

Par testament me laissa pension :

Et je vécus mille ans dans la maison,

Jusques au jour où cette maison sainte,

De la cité quittant l’indigne enceinte,

Alla par mer aux rivages heureux

Où de Lorette est le trésor fameux.

Là, du Seigneur je servis les pucelles ;

J’en fus aimé ; je fus plus vierge qu’elles.

Enfin là-haut…

 

6 – C’est l’âne de Silène qui est assez connu ; on tient qu’il servit de trompette. (1762.) (Voltaire.)

 

7 – L’âne d’Apulée ne parla point ; il ne put jamais prononcer que oh et non ; mais il eut une bonne fortune avec une dame, comme on peut le voir dans l’Apuleïus, en deux volumes in-4°, « cum notis, ad usum Delphini. » Au reste, on attribua de tout temps les mêmes sentiments aux bêtes qu’aux hommes. Les chevaux pleurent dans l’Iliade et dans l’Odyssée ; les bêtes parlent dans Pilpay dans Lokman, et dans Esope, etc. (1762.) (Voltaire.)

 

8 – Les hérétiques doivent savoir que le diable demandant l’aumône à Martin, ce Martin lui donna la moitié de son manteau. (1773.) (Voltaire.)

 

9 – Variante de 1756 :

 

Il me choisit, près de lui m’appela ;

D’étrilles d’or mon maître m’étrilla ;

Du doux Jésus les bontés paternelles

Me firent don de deux brillantes ailes ;

Et dans le temps que les anges des airs

Faisaient voguer les maisons sur les mers,

Je pris mon vol aux voûtes éternelles.

L’aigle de Jean et le boeuf de Matthieu

Me firent fête en cet auguste lieu ;

L’agneau sans tache avec moi brouta l’herbe :

Là, je bravai ce cheval si superbe

Qui doit porter, par arrêt du destin,

Tantôt Luther, tantôt le dur Calvin.

 

Je fus nourri de nectar, d’ambroisie :

Mais, ô ma Jeanne ! une si belle vie

N’approche pas du plaisir que je sens

Au doux aspect de vos charmes puissants.

L’aigle, le bœuf, le cheval, l’agneau même,

Ne valent pas…

 

10 – Saint Roch, qui guérit de la peste, est toujours peint avec un chien ; et saint Antoine est toujours suivi d’un cochon. (1762.) (Voltaire.) − Tous les bons chrétiens connaissent l’aigle de saint Jean, le bœuf de saint Luc, et les autres bêtes du paradis. (K.)

 

11 – Léda, ayant donné ses faveurs à son cygne, accoucha de deux œufs. (1762.) (Voltaire.)

 

12 – Pasiphaé, amoureuse d’un taureau, en eut le Minotaure, Philyre eut d’un cheval le centaure Chiron, précepteur d’Achille : ce ne fut point Neptune, mais Saturne, qui prit la forme d’un cheval ; notre auteur se trompe en ce point. Je ne nie pas que quelques doctes ne soient de son avis. (1762.) (Voltaire.)

 

13 – Lorsque Voltaire refit son vingt et unième chant, il dut remanier le vingtième presque entièrement ; mais ce qu’il en retrancha ne nous intéresse plus guère. (G.A.)

 

Publié dans La Pucelle d'Orléans

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