LA HENRIADE : Préface de Marmontel
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PRÉFACE
POUR LA HENRIADE,
PAR MARMONTEL
(1)
On ne se lasse point de réimprimer les ouvrages que le public ne se lasse point de relire ; et le public relit toujours avec un nouveau plaisir ceux qui, comme la Henriade, ayant d’abord mérité son estime, ne cessent de se perfectionner sous les mains de leurs auteurs.
Ce poème, si différent dans sa naissance de ce qu’il est aujourd’hui, parut pour la première fois en 1723, imprimé à Londres, sous le titre de la Ligue (2). Voltaire ne put donner ses soins à cette édition : aussi est-elle remplie de fautes, de transpositions et de lacunes considérables.
L’abbé Desfontaines en donna, peu de temps après, une édition à Evreux, aussi imparfaite que la première, avec cette différence qu’il glissa dans les vides quelques vers de sa façon, tels que ceux-ci, où il est aisé de reconnaître un tel écrivain :
Et malgré les Perraults, et malgré les Houdarts,
L’on verra le bon goût naître de toutes parts.
Chant VI de son édition.
En 1726 (3) on en fit une édition à Londres, sous le titre de la Henriade, in-4°, avec des figures ; elle est dédiée à la reine d’Angleterre (4) ; et, pour ne rien laisser à désirer dans cette édition, j’ai cru devoir insérer dans ma préface cette épître dédicatoire. On sait que dans ce genre d’écrire Voltaire a pris une route qui lui est propre. Les gens de goût, qui s’épargnent ordinairement la lecture des fades éloges que même nos plus grands auteurs n’ont pu se dispenser de prodiguer à leurs Mécènes, lisent avidement et avec fruit les épîtres dédicatoires d’Alzire, de Zaïre, etc. Celle-ci est dans le même goût ; on y reconnaît un philosophe judicieux et poli, qui sait louer les rois, même sans les flatter. Il n’écrivit cette épître qu’en anglais.
TO THE QUEEN.
« Madam,
It is the fate of Henry the Fourth to be protected by an english queen. He was assisted by that great Elisabeth, who was in her age the glory of her sec. By whom can his memory be so well protected, as by her who resembles so much Elisabeth in her personal virtues ?
Your Majesty will find in this book bold impartial truths, morality unstained with superstition, a spirit of liberty, equally abhorrent of rebellion and of tyranny, the rights of kings always asserted, and those of mankind never laid aside.
The same spirit, in which it is written, grave me the confidence to offer it tho the virtuous consort of a king who, among so many crowned heads, enjoys almost alone the inestimable honour of ruling a free nation, a king who makes his power consist in being beloved, and his glory in being just.
Our Descartes, who was the greatest philosopher in Europe, before sir Isaac Newton appeared, dedicated his Principles to the celebrated princess palatine Elisabeth ; not, said he, because she was a princess (for true philosophers respect princess and never flatter them), but because of all his readers she understood him the best, and loved truth the most.
I beg leave, Madam (without comparing myself to Descartes), to dedicate the Henriade to your Majesty, upon the like account, not only as the protectress of all arts and sciences, but as the best judge of them.
I am, with that profound respect which is due to the greatest virtue, as well as tho the highest rank, may it please your Majesty,
YOUR MAJESTY’S,
Most humble, most dutiful,
Most obliged servant,
VOLTAIRE. »
M. l’abbé Lenglet-Dufresnoy (5) nous en a donné la traduction suivante :
A LA REINE.
« Madame,
C’est le sort de Henri IV d’être protégé par une reine d’Angleterre ; il a été appuyé par Elisabeth, cette grande princesse, qui était dans son temps la gloire de son sexe. A qui sa mémoire pourrait-elle être aussi bien confiée qu’à une princesse dont les vertus personnelles ressemblent tant à celles d’Elisabeth ?
Votre Majesté trouvera dans ce livre des vérités bien grandes et bien importantes : la morale à l’abri de la superstition ; l’esprit de liberté également éloigné de la révolte et de l’oppression ; les droits des rois toujours assurés, et ceux du peuple toujours défendus.
Le même esprit dans lequel il est écrit me fait prendre la liberté de l’offrir à la vertueuse épouse d’un roi qui, parmi tant de têtes couronnées, jouit presque seul de l’honneur, sans prix, de gouverner une nation libre, d’un roi qui fait consister son pouvoir à être aimé, et sa gloire à être juste.
Notre Descartes, le plus grand philosophe de l’Europe, avant que le chevalier Newton parût, a dédié ses Principes à la célèbre princesse palatine Elisabeth ; non pas, dit-il, parce qu’elle était princesse (car les vrais philosophes respectent les princes et ne les flattent point), mais parce que, de tous ses lecteurs, il la regardait comme la plus capable de sentir et d’aimer le vrai.
Permettez-moi, madame (sans me comparer à Descartes), de dédier de même la Henriade à Votre Majesté, non-seulement parce qu’elle protége les sciences et les arts, mais encore parce qu’elle en est un excellent juge.
Je suis, avec ce profond respect qui est dû à la plus grande vertu et au plus haut rang, si Votre Majesté veut bien me le permettre,
DE VOTRE MAJESTÉ
Le très humble, très respectueux
Et très obéissant serviteur,
VOLTAIRE. »
Cette édition, qui fut faite par souscription, a servi de prétexte à mille calomnies contre l’auteur. Il a dédaigné d’y répondre ; mais il a remis dans la Bibliothèque du roi, c’est-à-dire sous les yeux du public et de la postérité, des preuves authentiques de la conduite généreuse qu’il tint dans cette occasion : je n’en parle qu’après les avoir vues (6).
Il serait long et inutile de compter ici toutes les éditions qui ont précédé celle-ci, dans laquelle on les trouvera réunies par le moyen des variantes.
En 1736, le roi de Prusse, alors prince royal, avait chargé M. Algarotti, qui était à Londres, d’y faire graver ce poème avec des vignettes à chaque page. Ce prince, ami des arts, qu’il daigne cultiver, voulant laisser aux siècles à venir un monument de son estime pour les lettres, et particulièrement pour la Henriade, daigna en composer la préface ; et, se mettant ainsi au rang des auteurs, il apprit au monde qu’une plume éloquente sied bien dans la main d’un héros. Récompenser les beaux-arts est un mérite commun à un grand nombre de princes ; mais les encourager par l’exemple et les éclairer par d’excellents écrits en est un d’autant plus recommandable dans le roi de Prusse, qu’il est plus rare parmi les hommes. La mort du roi son père, les guerres survenues, et le départ de M. Algarotti de Londres, interrompirent ce projet, si digne de celui qui l’avait conçu.
Comme la préface qu’il avait composée n’a pas vu le jour, j’en ai pris deux fragments, qui peuvent en donner une idée, et qui doivent être regardés comme un morceau bien précieux dans la littérature :
« Les difficultés, dit-il en un endroit, qu’eut à surmonter M. de Voltaire lorsqu’il composa son poème épique, sont innombrables. Il voyait contre lui les préjugés de toute l’Europe et celui de sa propre nation, qui était du sentiment que l’épopée ne réussirait jamais en français. Il avait devant lui le triste exemple de ses prédécesseurs, qui avaient tous bronché dans cette pénible carrière. Il avait encore à combattre le respect superstitieux et exclusif du peuple savant pour Virgile et pour Homère, et plus que tout cela, une santé faible qui aurait mis tout autre homme moins sensible que lui à la gloire de sa nation hors d’état de travailler. C’est cependant indépendamment de tous ces obstacles que Voltaire est venu à bout de son dessein, etc.
Quant à la saine morale, dit-il ailleurs, quant à la beauté des sentiments, on trouve dans ce poème tout ce qu’on peut désirer. La valeur prudente de Henri IV, jointe à sa générosité et à son humanité, devrait servir d’exemple à tous les rois et à tous les héros qui se piquent, quelquefois mal à propos, de dureté envers ceux que le destin des Etats et le sort de la guerre ont soumis à leur puissance. Qu’il leur soit dit, en passant, que ce n’est ni dans l’inflexibilité ni dans la tyrannie que consiste la véritable grandeur, mais bien dans ce sentiment que l’auteur exprime avec tant de noblesse :
« Amitié, don du ciel, plaisir des grandes âmes,
Amitié que les rois, ces illustres ingrats,
Sont assez malheureux pour ne connaître pas. »
Ainsi pensait ce grand prince avant que de monter sur le trône. Il ne pouvait alors instruire les rois que par des maximes : aujourd’hui il les instruit par des exemples.
La Henriade a été traduite en plusieurs langues, en vers anglais par M. Lockman ; une partie l’a été en vers italiens par M. Quirini, noble vénitien ; et une autre en vers latins par le cardinal de ce nom, bibliothécaire du Vatican, si connu par sa grande littérature. Ce sont ces deux hommes célèbres qui ont traduit le poème de Fontenoy. MM. Ortolani et Nenci ont aussi traduit plusieurs chants de la Henriade. Elle l’a été entièrement en vers hollandais et allemands, et en vers latins par M. Caux de Cappeval.
Cette justice, rendue par tant d’étrangers contemporains, semble suppléer à ce qui manque d’ancienneté à ce poème ; et puisqu’il a été généralement approuvé dans un siècle qu’on peut appeler celui du goût, il y a apparence qu’il le sera des siècles à venir. On pourrait donc, sans être téméraire, le placer à côté de ceux qui ont le sceau de l’immortalité. C’est ce que semble avoir fait M. Cocchi, lecteur de Pise, dans une lettre imprimée à la tête de quelques éditions de la Henriade (7), où il parle du sujet, du plan, des mœurs, des caractères, du merveilleux, et des principales beautés de ce poème, en homme de goût et de beaucoup de littérature ; bien différent d’un Français, auteur de feuilles périodiques, qui, plus jaloux qu’éclairé, l’a comparé à la Pharsale. Une telle comparaison suppose dans son auteur ou bien peu de lumières, ou bien peu d’équité : car, en quoi se ressemblent ces deux poèmes ? Le sujet de l’un et de l’autre est une guerre civile ; mais, dans la Pharsale, « l’audace est triomphante et le crime adoré ; »; dans la Henriade, au contraire, tout l’avantage est du côté de la justice. Lucain a suivi scrupuleusement l’histoire, sans mélange de fiction, au lieu que Voltaire a changé l’ordre des temps, transporté les faits, et employé le merveilleux. Le style du premier est souvent ampoulé, défaut dont on ne voit pas un seul exemple dans le second. Lucain a peint ses héros avec de grands traits, il est vrai, et il a des coups de pinceau dont on trouve peu d’exemples dans Virgile et dans Homère. C’est peut-être en cela que lui ressemble notre poète : on convient assez que personne n’a mieux connu que lui l’art de marquer les caractères : un vers lui suffit quelquefois pour cela, témoin les suivants :
Médicis la reçut avec indifférence,
Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, etc.
Connaissant les périls, et ne redoutant rien ;
Heureux guerrier, grand prince, et mauvais citoyen.
Il se présente aux Seize, et demande des fers,
Du front dont il aurait condamné ces pervers.
Il marche en philosophe où l’honneur le conduit,
Condamne les combats, plaint son maître, et le suit (8)
Mais, si Voltaire annonce avec tant d’art ses personnages, il les soutient avec beaucoup de sagesse : et je ne crois pas que dans le cours de son poème on trouve un seul vers où quelqu’un d’eux se démente. Lucain, au contraire, est plein d’inégalités ; et, s’il atteint quelquefois la véritable grandeur, il donne souvent dans l’enflure. Enfin, ce poète latin, qui a porté à un si haut point la noblesse des sentiments, n’est plus le même lorsqu’il faut ou peindre ou décrire ; et j’ose assurer qu’en cette partie notre langue n’a jamais été si loin que dans la Henriade.
Il y aurait donc plus de justesse à comparer la Henriade avec l’Enéide. On pourrait mettre dans la balance le plan, les moeurs, le merveilleux de ces deux poèmes : les personnages, comme Henri IV et Enée, Achate et Mornay, Sinon et Clément, Turnus et d’Aumale, etc. ; les épisodes qui se répondent, comme le repas des Troyens sur la côte de Carthage, et celui de Henri chez le solitaire de Jersey ; le massacre de la Saint-Barthélemy, et l’incendie de Troie ; le quatrième chant de l’Enéide, et le neuvième de la Henriade ; la descente d’Enée aux enfers, et le songe de Henri IV ; l’antre de la Sibylle, et le sacrifice des Seize ; les guerres qu’ont à soutenir les deux héros, et l’intérêt qu’on prend à l’un et à l’autre ; la mort d’Euryale et celle du jeune d’Ailly ; les combats singuliers de Turenne contre d’Aumale, et d’Enée contre Turnus : enfin le style des deux poètes ; l’art avec lequel ils ont enchaîné les faits, et leur goût dans le choix des épisodes, leurs comparaisons, leurs descriptions. Et après un tel examen, on pourrait décider d’après le sentiment.
Les bornes que je suis obligé de me prescrire dans cette Préface ne me permettent pas d’appuyer sur ce parallèle ; mais je crois qu’il me suffit de l’indiquer à des lecteurs éclairés et sans prévention.
Les rapports vagues et généraux dont je viens de parler ont fait dire à quelques critiques que la Henriade manquait du côté de l’invention : que ne fait-on le même reproche à Virgile, au Tasse, etc. ? Dans l’Enéide sont réunis le plan de l’Odyssée et celui de l’Iliade ; dans la Jérusalem délivrée, on trouve le plan de l’Iliade exactement suivi, et orné de quelques épisodes tirés de l’Enéide.
Avant Homère, Virgile et le Tasse, on avait décrit des siéges, des incendies, des tempêtes ; on avait peint toutes les passions ; on connaissait les Enfers et les Champs-Elysées ; on disait qu’Orphée, Hercule, Pirithouüs, Ulysse, y étaient descendus pendant leur vie. Enfin ces poètes n’ont rien dont l’idée générale ne soit ailleurs. Mais ils ont peint les objets avec les couleurs les plus belles : ils les ont modifiés et embellis suivant le caractère de leur génie et les mœurs de leur temps ; ils les ont mis dans leur jour et à leur place. Si ce n’est pas là créer, c’est du moins donner aux choses une nouvelle vie ; et on ne saurait disputer à Voltaire la gloire d’avoir excellé dans ce genre de production. Ce n’est là, dit-on, que de l’invention de détail, et quelques critiques voudraient de la nouveauté dans le tout. On faisait un jour remarquer à un homme de lettres ce beau vers où Voltaire exprime le mystère de l’Eucharistie :
Et lui découvre un Dieu sous un pain qui n’est plus (9).
Oui, dit-il, ce vers est beau ; mais je ne sais, l’idée n’en est pas neuve. Malheur, dit M. de Fénelon (10), à qui n’est pas ému en lisant ces vers :
Fortunate senex ! Hic, inter flumina nota
Et fontes sacros, frigus captabis opacum.
VIRG., Égl. I.
N’aurais-je pas raison d’adresser cette espèce d’anathème au critique dont je viens de parler ? J’ose prédire à tous ceux qui, comme lui, veulent du neuf, c’est-à-dire de l’inouï, qu’on ne les satisfera jamais qu’aux dépens du bon sens. Milton lui-même n’a pas inventé les idées générales de son poème, quelque extraordinaires qu’elles soient : il les a puisées dans les poètes, dans l’Ecriture sainte. L’idée de son pont, toute gigantesque qu’elle est, n’est pas neuve. Sadi s’en était servi avant lui, et l’avait tirée de la théologie des Turcs. Si donc un poète qui a franchi les limites du monde, et peint des objets hors de la nature, n’a rien dit dont l’idée générale ne soit ailleurs, je crois qu’on doit se contenter d’être original dans les détails et dans l’ordonnance, surtout quand on a assez de génie pour s’élever au-dessus de ses modèles.
Je ne réfuterai pas ici ceux qui ont été assez ennemis de la poésie pour avancer qu’il peut y avoir des poèmes en prose (11) : ce paradoxe paraît téméraire à tous les gens de bon goût et de bon sens. M. de Fénelon, qui avait beaucoup de l’un et de l’autre, n’a jamais donné son Télémaque que sous le nom des Aventures de Télémaque, et jamais sous celui de poème. C’est, sans contredit, le premier de tous les romans ; mais il ne peut pas même être mis dans la classe des derniers poèmes. Je ne dis pas seulement parce que les aventures qu’on y raconte sont presque toutes indépendantes les unes des autres, et parce que le style, tout fleuri et tendre qu’il est, serait trop uniforme ; je dis parce qu’il n’a pas le nombre, le rythme, la mesure, la rime les inversions, en un mot, rien de ce qui constitue cet art si difficile de la poésie, art qui n’a pas plus de rapport avec la prose que la musique n’en a avec le ton ordinaire de la parole.
Il ne me reste plus qu’un mot à dire sur l’orthographe qu’on a suivie dans cette édition ; c’est celle de l’auteur ; il l’a justifiée lui-même (12) et puisqu’il n’a contre lui qu’un usage condamné par ceux mêmes qui le suivent, il paraît assez inutile de prouver qu’il a eu raison de s’en écarter ; je me contenterai donc, pour faire voir combien cet usage est pernicieux à notre poésie, de citer quelques endroits de nos meilleurs poètes, où ils ne l’ont que trop scrupuleusement suivi :
(13) Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers ;
Qu’ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.
Ma colère revient et je me reconnois ;
Immolons en partant trois ingrats à la fois.
(14) . . . . . Je ne fais que recueillir les voix,
Et dirais vos défauts si je vous en savois.
Il est sûr qu’une orthographe conforme à la prononciation eût obvié à ces défauts, et que deux poètes si exacts et si heureux dans leurs rimes ne se sont contentés de celles-ci que parce qu’elles satisfaisaient les yeux ; ce qui le prouve, c’est qu’on ne s’est jamais avisé de faire rimer Beauvais, qu’on prononce comme savois, avec voix, qu’on a cru cependant pouvoir rimer avec savois. Dans ces deux vers de Boileau :
(15) La discorde en ces lieux menace de s’accroître
Demain avec l’aurore un lutrin va paroître.
on prononce s’accraître, pour la rime ; et cela est assez usité. Madame Deshoulières dit :
(16) Puisse durer, puisse croître
L’ardeur de mon jeune amant,
Comme feront sur ce hêtre
Les marques de mon tourment !
Mais ce qui paraît singulier, c’est que paroître, en faveur de qui on prononce d’accraître, change lui même sa prononciation en faveur de cloître :
(17) L’honneur et la vertu n’osèrent plus paroître ;
La piétié chercha les déserts et le cloître.
Une bizarrerie si marquée vient de ce qu’on a changé l’ancienne prononciation, sans changer l’orthographe qui la représente. La réformation générale d’un tel abus eût été une affaire d’éclat. Voltaire n’a porté que les premiers coups ; il a cru judicieusement qu’on devait rimer pour l’oreille, et non pour les yeux : en conséquence il a fait rimer François avec succès, etc. Et, pour satisfaire en même temps les oreilles et les yeux, il a écrit Français, substituant à la diphtongue, oi la diphtongue ai, qui, accompagnée d’un s, exprime à la fin des mots le son de l’è, comme dans bienfaits, souhaits, etc. Voltaire a été d’autant plus autorisé à ce changement d’orthographe, qu’il lui fallait distinguer dans son poème certains mots qui, écrits partout ailleurs de la même façon, ont néanmoins une prononciation et une signification différentes : sous le froc de François, etc., des courtisans français, etc.
Quant à ce que j’ai dit sur le mérite de ce poème, je déclare qu’il ne m’a été permis que de laisser entrevoir mon sentiment ; et que si je n’ai pas heurté de front la prévention de quelques critiques, ce n’est pas que je ne leur sois entièrement opposé. Peut-être un jour pourrai-je sans contrainte parler comme pensera la postérité.
1 – Marmontel, né en 1719 à Bort, petite ville du Limousin ; mort près de Gaillon , le dernier jour de l’an 1799 ; homme de lettres, poète, critique, auteur dramatique, encyclopédiste, et auteur des Incas et de Bélisaire, célèbres romans philosophiques. Le dernier de ces ouvrages fût brûlé. Sa préface pour la Henriade est de 1746. (G.A.)
2 – Ou plutôt imprimé clandestinement à Rouen en neuf chants, et avec l’adresse de Genève. Il y a des lacunes remplies par des points. (G.A.)
3 – Ou plutôt, en 1728. (G.A.)
4 – Femme de George II. (G.A.)
5 – Célèbre érudit, a fait des remarques sur la Henriade. (G.A.)
6 – Voir sa lettre à d’Argental (13 Janvier 1739) et celle à Desto (3 Décembre 1744) dans la CORRESPONDANCE. (G.A.)
7 – Voyez plus loin cette lettre. (G.A.)
8 – Voyez pour ces vers les chants II, III, IV, VI. Il s’agit de Guise, de Harlay, de Mornay, et, en premier lieu, de la tête de Coligny. (G.A.)
9 – Lettre à l’Académie française.
10 – La motte-Houdar On en a vu dans notre siècle ; les Natchez, les Martyrs. (G.A.)
11 – Voltaire n’avait pas encore publié d’ouvrage important avec son orthographe avant cette édition faite par Marmontel. Le Siècle de Louis XIV (1752) fut, comme nous l’avons dit, le premier ouvrage en prose qu’il risqua ainsi fabriqué. (G.A.)
12 – Mithridate.
13 – Le Flatteur.
14 – Luntrin, chant II.
15 – Célimène, églogue.
16 – Epître III, Boileau.
17 – Ce morceau fut imprimé en 1736. Il avait été composé dès 1739 par Frédéric alors prince royal. (G.A.)