LA HENRIADE : Histoire abrégée des événements

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HISTOIRE ABRÉGÉE

 

 

DES

 

ÉVÉNEMENTS SUR LESQUELS EST FONDÉE LA FABLE

 

DU POÈME DE LA HENRIADE

 

 

 

(1)

 

 

 

 

 

 

 

         Le feu des guerres civiles, dont François II vit les premières étincelles, avait embrasé la France sous la minorité de Charles IX. La religion en était le sujet parmi les peuples, et le prétexte parmi les grands. La reine-mère, Catherine de Médicis, avait plus d’une fois hasardé le salut du royaume pour conserver son autorité, armant le parti catholique contre le protestant, et les Guises contre les Bourbons, pour accabler les uns par les autres.

 

         La France avait alors, pour son malheur, beaucoup de seigneurs trop puissants, par conséquent factieux ; des peuples devenus fanatiques et barbares par cette fureur de parti qu’inspire le faux zèle ; des rois enfants, au nom desquels on ravageait l’Etat. Les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Montcontour, avaient signalé le malheureux règne de Charles IX ; les plus grandes villes étaient prises, reprises, saccagées tour à tour par les partis opposés ; on faisait mourir les prisonniers de guerre par des supplices recherchés. Les églises étaient mises en cendres par les réformés, les temples par les catholiques ; les empoisonnements et les assassinats n’étaient regardés que comme des vengeances d’ennemis habiles.

 

         On mit le comble à tant d’horreurs par la journée de la Saint-Barthélemy. Henri-le-Grand, alors roi de Navarre, et dans une extrême jeunesse, chef du parti réformé, dans le sein duquel il était né, fut attiré à la cour avec les plus puissants seigneurs du parti. On le maria à la princesse Marguerite, sœur de Charles IX. Ce fut au milieu des réjouissances de ces noces, au milieu de la paix la plus profonde, et après les serments les plus solennels, que Catherine de Médicis ordonna ces massacres dont il faut perpétuer la mémoire (toute affreuse et toute flétrissante qu’elle est pour le nom français), afin que les hommes, toujours prêts à entrer dans de malheureuses querelles de religion, voient à quel excès l’esprit de parti peut enfin conduire.

 

         On vit donc, dans une cour qui se piquait de politesse, une femme célèbre par les agréments de l’esprit, et un jeune roi de vingt-trois ans, ordonner de sang-froid la mort de plus d’un million de leurs sujets. Cette même nation, qui ne pense aujourd’hui à ce crime qu’en frissonnant, le commit avec transport et avec zèle. Plus de cent mille hommes furent assassinés par leurs compatriotes ; et, sans les sages précautions de quelques personnages vertueux, comme le président Jeannin, le marquis de Saint-Hérem, etc., la moitié des Français égorgeait l’autre.

 

         Charles IV ne vécut pas longtemps après la Saint-Barthélemy. Son frère Henri III quitta le trône de la Pologne, pour venir replonger la France dans de nouveaux malheurs, dont elle ne fut tirée que par Henri IV, si justement surnommé le Grand par la postérité, qui seule peut donner ce titre.

 

         Henri III, en revenant en France, y trouva deux partis dominants : l’un était celui des réformés, renaissant de sa cendre, plus violent que jamais, et ayant à sa tête le même Henri-le-Grand, alors roi de Navarre ; l’autre était celui de Guise, encouragée par les papes, fomentée par l’Espagne, s’accroissant tous les jours par l’artifice des moines, consacrée en apparence par le zèle de la religion catholique, mais ne tendant qu’à la rébellion. Son chef était le duc de Guise, surnommé le Balafré, prince d’une réputation éclatante, et qui, ayant plus de grandes qualités que de bonnes, semblait né pour changer la face de l’Etat dans ce temps de troubles.

 

         Henri III, au lieu d’accabler ces deux partis sous le poids de l’autorité royale, les fortifia par sa faiblesse ; il crut faire un grand coup de politique en se déclarant le chef de la Ligue, mais il n’en fut que l’esclave. Il fut forcé de faire la guerre pour les intérêts du duc de Guise, qui le voulait détrôner, contre le roi de Navarre, son beau-frère, son héritier présomptif, qui ne pensait qu’à rétablir l’autorité royale, d’autant plus qu’en agissant pour Jenri III, à qui il devait succéder, il agissait pour lui-même.

 

         L’armée que Henri III envoya contre le roi son beau-frère fut battue à Coutras ; son favori Joyeuse y fut tué. Le Navarrais ne voulut d’autre fruit de sa victoire que de se réconcilier avec le roi. Tout vainqueur qu’il était, il demanda la paix, et le roi vaincu n’osa l’accepter, tant il craignait le duc de Guise et la Ligue. Guise, dans ce temps-là même, venait de dissiper une armée d’Allemands. Ces succès du Balafré humilièrent encore davantage le roi de France, qui se crut à la fois vaincu par les ligueurs et par les réformés.

 

         Le duc de Guise, enflé de sa gloire, et fort de la faiblesse de son souverain, vint à Paris malgré ses ordres. Alors arriva la fameuse journée des Barricades, où le peuple chassa les gardes du roi, et où ce monarque fut obligé de fuir de sa capitale. Guise fit plus : il obligea le roi de tenir les états généraux du royaume à Blois, et il prit si bien ses mesures, qu’il était près de partager l’autorité royale, du consentement de ceux qui représentaient la nation, et sous l’apparence des formalités les plus respectables. Henri III, réveillé par ce pressant danger, fit assassiner au château de Blois cet ennemi si dangereux, aussi bien que son frère le cardinal, plus violent et plus ambitieux encore que le duc de Guise.

 

         Ce qui était arrivé au parti protestant après la Saint-Barthélemy arriva alors à la Ligue : la mort des chefs ranima le parti. Les ligueurs levèrent le masque : Paris ferma ses portes ; on ne songea qu’à la vengeance. On regarda Henri III comme l’assassin des défenseurs de la religion, et non comme un roi qui avait puni ses sujets coupables. Il fallut que Henri III, pressé de tous côtés, se réconciliât enfin avec le Navarrais. Ces deux princes vinrent camper devant Paris, et c’est là que commence la Henriade.

 

         Le duc de Guise laissait encore un frère ; c’était le duc de Mayenne, homme intrépide, mais plus habile qu’agissant, qui se vit tout d’un coup à la tête d’une faction instruite de ses forces, et animée par la vengeance et par le fanatisme.

 

         Presque toute l’Europe entra dans cette guerre. La célèbre Elisabeth, reine d’Angleterre, qui était pleine d’estime pour le roi de Navarre, et qui eut toujours une extrême passion de le voir, le secourut plusieurs fois d’hommes, d’argent, de vaisseaux ; et ce fut Duplessis-Mornay qui alla toujours en Angleterre solliciter ces secours. D’un autre côté, la branche d’Autriche, qui régnait en Espagne, favorisait la Ligue, dans l’espérance d’arracher quelques dépouilles d’un royaume déchiré par la guerre civile. Les papes combattaient le roi de Navarre, non-seulement par des excommunications, mais par tous les artifices de la politique, et par les petits secours d’hommes et d’argent que la cour de Rome peut fournir.

 

         Cependant Henri III allait se rendre maître de Paris, lorsqu’il fut assassiné à Saint-Cloud par un moine dominicain, qui commit ce parricide dans la seule idée qu’il obéissait à Dieu, et qu’il courait au martyre ; et ce meurtre ne fut pas seulement le crime de ce moine fanatique, ce fut le crime de tout le parti. L’opinion publique, la créance de tous les ligueurs était qu’il fallait tuer son roi, s’il était mal avec la cour de Rome. Les prédicateurs le criaient dans leurs mauvais sermons ; on l’imprimait dans tous ces livres pitoyables qui inondaient la France, et qu’on trouve à peine aujourd’hui dans quelques bibliothèques, comme des monuments curieux d’un siècle également barbare et pour les lettres et pour les mœurs.

 

         Après la mort de Henri III, le roi de Navarre (Henri-le-Grand), reconnu roi de France par l’armée, eut à soutenir toutes les forces de la Ligue, celles de Rome, de l’Espagne, et son royaume à conquérir. Il bloqua, il assiégea Paris à plusieurs reprises. Parmi les plus grands hommes qui lui furent utiles dans cette guerre, et dont on a fait quelque usage dans ce poème, on compte les maréchaux d’Aumont et de Biron, le duc de Bouillon, etc. Duplessis-Mornay fut dans sa plus intime confidence jusqu’au changement de religion de ce prince ; il le servait de sa personne dans les armées, de sa plume contre les excommunications des papes, et de son grand art de négocier, en lui cherchant des secours chez tous les princes protestants.

 

         Le principal chef de la Ligue était le duc de Mayenne ; celui qui avait le plus de réputation après lui était le chevalier d’Aumale, jeune prince connu par cette fierté et ce courage brillant qui distinguaient particulièrement la maison de Guise. Ils obtinrent plusieurs secours de l’Espagne ; mais il n’est question ici que du fameux comte d’Egmont, fils de l’amiral, qui amena treize ou quatorze cents lances au duc de Mayenne. On donna beaucoup de combats, dont le plus fameux, le plus décisif et le plus glorieux pour Henri IV, fut la bataille d’Ivry, où le duc de Mayenne fut vaincu, et le comte d’Egmont fut tué.

 

         Pendant le cours de cette guerre, le roi était devenu amoureux de la belle Gabrielle d’Estrées ; mais son courage ne s’amollit point auprès d’elle, témoin la lettre qu’on voit encore dans la Bibliothèque du Roi, dans laquelle il dit à sa maîtresse : « Si je suis vaincu, vous me connaissez assez pour croire que je ne fuirai pas ; mais ma dernière pensée sera à Dieu, et l’avant-dernière à vous. »

 

         Au reste, on omet plusieurs faits considérables, qui, n’ayant point de place dans le poème, n’en doivent point avoir ici. On ne parle ni de l’expédition du duc de Parme en France, qui ne servit qu’à retarder la chute de la Ligue, ni de ce cardinal de Bourbon, qui fut quelque temps un fantôme de roi sous le nom de Charles X. Il suffit de dire qu’après tant de malheurs et de désolation, Henri IV se fait catholique, et que les Parisiens, qui haïssaient sa religion et révéraient sa personne, le reconnurent alors pour leur roi (2).

 

 LA HENRIADE - Histoire abrégée

 

 

1 – A paru dans l’édition de 1730. (G.A.)

 

2 – On lisait encore dans l’édition de 1730 :

 

              « Après avoir mis sous les yeux du lecteur un petit abrégé de l’histoire qui sert de fondement à la Henriade, il semblerait qu’on dût, selon l’usage, donner ici une dissertation sur l’épopée, d’autant plus que le Père. Le Bossu a bien donné des règles pour composer un poème épique en grec ou en latin, mais non pas en français, et qu’il a écrit beaucoup plus pour les mœurs des anciens que pour les nôtres ; ordinaire défaut des savants qui connaissent mieux leurs auteurs classiques que leur propre pays, et qui, sachant Plaute par cœur, mais n’ayant jamais vu représenter une pièce de Molière, nous donnent pourtant des règles du théâtre.

 

              Plusieurs personnes demandaient qu’on imprimât à la tête de cette édition un petit ouvrage intitulé Essai sur la poésie épique, composé en anglais par M. de Voltaire en 1726, imprimé plusieurs fois à Londres. Il comptait le donner ici tel qu’il a été traduit en français par l’abbé Desfontaines qui écrit avec plus d’élégance et de pureté que personne, et qui a contribué beaucoup à décrier en France ce style recherché et ces tours affectés qui commençaient à infecter les meilleurs auteurs. M. de Voltaire ne se serait pas flatté de le traduire lui-même aussi bien que M. l’abbé Desfontaines l’a traduit (à quelques inadvertances près). Mais il a considéré que cet Essai est plutôt un simple exposé des poèmes épiques anciens et modernes, qu’une dissertation bien utile sur cet art. Le poème épique sur lequel il s’étendait le plus était le Paradis perdu de Milton, ouvrage ignoré en France, mais qui est aujourd’hui très connu par la belle traduction qu’en a faite, quoique en prose, M. Dupré de Saint-Maur.

 

              On prend donc le parti de renvoyer ceux qui seraient curieux de lire cet Essai sur l’épopée, à la traduction de M. Desfontaines, à Paris, chez Chaubert, quai des Augustins.

 

              Ce n’est que le projet d’un plus long ouvrage que M. de Voltaire a composé depuis, et qu’il n’osa faire imprimer, ne croyant pas que ce soit à lui de donner des règles pour courir dans une carrière dans laquelle il n’a fait peut-être que broncher.

 

              Il se contentera donc de faire ici quelques courtes observations nécessaires à des lecteurs, peu instruits d’ailleurs, qui pourraient jeter les yeux sur ce poème. » Et suivant l’Idée sur la Henriade. (G.A.)

 

 

 

 

 

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