LA HENRIADE : Chant second - Partie 1
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CHANT SECOND.
(1)
ARGUMENT.
Henri-le-Grand raconte à la reine Elisabeth l’histoire des malheurs de la France : il remonte à leur origine, et entre dans le détail des massacres de la Saint-Barthélemy.
« Reine, l’excès des maux où la France est livrée (2)
Est d’autant plus affreux que leur source est sacrée :
C’est la religion dont le zèle inhumain
Met à tous les Français les armes à la main.
(3) Je ne décide point entre Genève et Rome.
De quelque nom divin que leur parti les nomme,
J’ai vu des deux côtés la fourbe et la fureur ;
Et si la perfidie est fille de l’erreur,
Si, dans les différends où l’Europe se plonge,
La trahison, le meurtre est le sceau du mensonge,
L’un et l’autre parti, cruel également,
Ainsi que dans le crime est dans l’aveuglement.
Pour moi, qui, de l’Etat embrassant la défense,
Laissai toujours aux cieux le soin de leur vengeance,
On ne m’a jamais vu, surpassant mon pouvoir,
D’une indiscrète main profaner l’encensoir :
Et périsse à jamais l’affreuse politique
Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique ;
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels ;
Qui du sang hérétique arrose les autels ;
Et, suivant un faux zèle, ou l’intérêt, pour guides,
Ne sert un Dieu de paix que par des homicides !
Plût à ce Dieu puissant, dont je cherche la loi,
Que la cour des Valois eût pensé comme moi !
Mais l’un et l’autre Guise (4) ont eu moins de scrupule.
Ces chefs ambitieux d’un peuple trop crédule
Couvrant leurs intérêts de l’intérêt des cieux,
Ont conduit dans le piège un peuple furieux,
Ont armé contre moi sa piété cruelle.
J’ai vu nos citoyens s’égorger avec zèle,
Et la flamme à la main, courir dans les combats,
Pour de vains arguments qu’ils ne comprenaient pas.
Vous connaissez le peuple, et savez ce qu’il ose
Quand, du ciel outragé pensant venger la cause,
Les yeux ceints du bandeau de la religion,
Il a rompu le frein de la soumission.
Vous le savez, madame, et votre prévoyance
Etouffa dès longtemps ce mal en sa naissance.
L’orage en vos Etats à peine était formé ;
Vos soins l’avaient prévu, vos vertus l’ont calmé :
Vous régnez ; Londres (5) est libre, et vos lois florissantes ;
Médicis a suivi des routes différentes.
Peut-être que, sensible à ces tristes récits,
Vous me demanderez quelle était Médicis ;
Vous l’apprendrez du moins d’une bouche ingénue.
Beaucoup en ont parlé, mais peu l’ont bien connue ;
Peu de son cœur profond ont sondé les replis.
Pour moi, nourri vingt ans à la cour de ses fils,
Qui vingt ans sous ses pas vis les orages naître,
J’ai trop à mes périls appris à la connaître.
Son époux, expirant dans la fleur de ses jours,
A son ambition laissait un libre cours.
Chacun de ses enfants, nourri sous sa tutelle (6),
Devint son ennemi dès qu’il régna sans elle.
Ses mains autour du trône, avec confusion,
Semaient la jalousie et la division,
Opposant sans relâche avec trop de prudence
Les Guises (7) aux Condés, et la France à la France :
Toujours prête à s’unir avec ses ennemis,
Et changeant d’intérêt, de rivaux, et d’amis ;
Esclave (8) des plaisirs, mais moins qu’ambitieuse ;
Infidèle (9) à sa secte, et superstitieuse (10) ;
Possédant, en un mot, pour n’en pas dire plus,
Les défauts de son sexe, et peu de ses vertus.
Ce mot m’est échappé, pardonnez ma franchise :
Dans ce sexe après tout vous n’êtes point comprise ;
L’auguste Elisabeth n’en a que les appas ;
Le ciel, qui vous forma pour régir des Etats,
Vous fait servir d’exemple à tous tant que nous sommes ;
Et l’Europe vous compte au rang des plus grands hommes.
Déjà François second, par un sort imprévu,
Avait rejoint son père au tombeau descendu ;
Faible enfant, qui de Guise adorait les caprices,
Et dont on ignorait les vertus et les vices.
Charles, plus jeune encore, avait le nom de roi :
Médicis régnait seule ; on tremblait sous sa loi.
D’abord sa politique, assurant sa puissance,
Semblait d’un fils docile éterniser l’enfance ;
Sa main, de la discorde allumant le flambeau,
Signala par le sang son empire nouveau ;
Elle arma le courroux de deux sectes rivales.
Dreux (11), qui vit déployer leurs enseignes fatales,
Fut le théâtre affreux de leurs premiers exploits.
Le vieux Montmorency (12), près du tombeau des rois,
D’un plomb mortel atteint par une main guerrière,
De cent ans de travaux termina la carrière.
Guise (13) auprès d’Orléans mourut assassiné.
Mon père (14) malheureux, à la cour enchaîné,
Trop faible, et malgré lui servant toujours la reine,
Traîna dans les affronts sa fortune incertaine ;
Et, toujours de sa main préparant ses malheurs,
Combattit et mourut pour ses persécuteurs.
Condé (15), qui vit en moi le seul fils de son frère,
M’adopta, me servit et de maître et de père ;
Son camp fut mon berceau ; là, parmi les guerriers,
Nourri dans la fatigue à l’ombre des lauriers,
De la cour avec lui dédaignant l’indolence,
Ses combats ont été les jeux de mon enfance.
O plaines de Jarnac ! ô coup trop inhumain !
Barbare Montesquiou, moins guerrier qu’assassin,
Condé, déjà mourant, tomba sous ta furie !
J’ai vu porter le coup : j’ai vu trancher sa vie :
Hélas ! Trop jeune encor, mon bras, mon faible bras,
Ne put ni prévenir ni venger son trépas.
Le ciel, qui de mes ans protégeait la faiblesse,
Toujours à des héros confia ma jeunesse.
Coligny (16), de Condé le digne successeur,
De moi, de mon parti, devint le défenseur.
Je lui dois tout, madame, il faut que je l’avoue ;
Et d’un peu de vertu si l’Europe me loue,
Si Rome a souvent même estimé mes exploits,
C’est à vous, ombre illustre, à vous que je le dois.
Je croissais sous ses yeux, et mon jeune courage
Fit longtemps de la guerre un dur apprentissage.
Il m’instruisait d’exemple au grand art des héros :
Je voyais ce guerrier, blanchi dans les travaux,
Soutenant tout le poids de la cause commune,
Et contre Médicis et contre la fortune ;
Chéri dans son parti, dans l’autre respecté ;
Malheureux quelquefois, mais toujours redouté ;
Savant dans les combats, savant dans les retraites ;
Plus grand, plus glorieux, plus craint dans ses défaites,
Que Dunois ni Gaston ne l’ont jamais été
Dans le cours triomphant de leur prospérité.
Après dix ans entiers de succès et de pertes,
Médicis, qui voyait nos campagnes couvertes
D’un parti renaissant qu’elle avait cru détruit,
Lasse enfin de combattre et de vaincre sans fruit.
Voulut, sans plus tenter des efforts inutiles,
Terminer d’un seul coup les discordes civiles.
La cour de ses faveurs nous offrit les attraits ;
Et n’ayant pu nous vaincre, on nous donna la paix.
Quelle paix, juste Dieu ! Dieu vengeur que j’atteste,
Que de sang arrosa son olive funeste !
Ciel ! Faut-il voir ainsi les maîtres des humains
Du crime à leurs sujets aplanir les chemins !
Coligny, dans son cœur à son prince fidèle,
Aimait toujours la France en combattant contre elle :
Il chérit, il prévint l’heureuse occasion
Qui semblait de l’Etat assurer l’union.
Rarement un héros connaît la défiance :!
Parmi ses ennemis il vint plein d’assurance ;
Jusqu’au milieu du Louvre il conduisit mes pas.
Médicis en pleurant me reçut dans ses bras,
Me prodigua longtemps des tendresses de mère,
Assura Coligny d’une amitié sincère,
Voulait par ses avis se régler désormais,
L’ornait de dignités, le comblait de bienfaits,
Montrait à tous les miens, séduits par l’espérance,
Des faveurs de son fils la flatteuse apparence,
Hélas ! Nous espérions en jouir plus longtemps.
Quelques-uns soupçonnaient ces perfides présents :
Les dons d’un ennemi leur semblaient trop à craindre.
Plus ils se défiaient, plus le roi savait feindre :
Dans l’ombre du secret, depuis peu Médicis
A la fourbe, au parjure, avait formé son fils,
Façonnaient aux forfaits ce cœur jeune et facile,
Et le malheureux prince, à ses leçons docile,
Par son penchant féroce à les suivre excité,
Dans sa coupable école avait trop profité.
Enfin pour mieux cacher cet horrible mystère,
Il me donna sa sœur (17), il m’appela son frère.
O nom qui m’as trompé ! Vains serments ! Nœud fatal !
Hymen qui de nos maux fut le premier signal !
Tes flambeaux, que du ciel alluma la colère,
Eclairaient à mes yeux le trépas de ma mère.
Je (18) ne suis point injuste, et je ne prétends pas
A Médicis encore imputer son trépas :
J’écarte des soupçons peut-être légitimes,
Et je n’ai pas besoin de lui chercher des crimes.
Ma mère enfin mourut. Pardonnez à des pleurs
Qu’un souvenir si tendre arrache à mes douleurs.
Cependant tout s’apprête, et l’heure est arrivée
Qu’au fatal dénouement la reine a réservée.
Le signal est donné sans tumulte et sans bruit (19) ;
C’était à la faveur des ombres de la nuit.
(20) De ce mois malheureux l’inégale courrière
Semblait cacher d’effroi sa tremblante lumière :
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.
Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable :
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités ;
Il voit briller partout les flambeaux et les armes,
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes,
Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés,
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix : « Qu’on n’épargne personne ;
C’est Dieu, c’est Médicis, c’est le roi qui l’ordonne ! »
Il entend retentir le nom de Coligny ;
Il aperçoit de loin le jeune Téligny (21),
Téligny dont l’amour a mérité sa fille,
L’espoir de son parti, l’honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras.
Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu’il faut périr, et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
1 – La tradition veut que Voltaire ait composé tout ce chant en dormant lorsqu’il était détenu à la Bastille, et qu’à son réveil il l’ait retenu par cœur. Mais le président Hénault nous apprend, dans ses Mémoires, que si Voltaire le fit sans encre ni papier, dans la tour de la Basinière, il était bien éveillé et qu’il écrivit ses vers au crayon entre les lignes d’un livre qu’il avait ; quoique le poète dise ici, il y a des variantes dans ce chant comme dans les autres. (G.A.)
2 – Il n’y a que ce seul chant dans lequel l’auteur n’ait jamais rien changé. (1775) (Voltaire.)
3 – Quelques lecteurs peu attentifs pourront s’effaroucher de la hardiesse de ces expressions. Il est juste de ménager sur cela leurs scrupules, et de leur faire considérer que les mêmes paroles qui seraient une impiété dans la bouche d’un catholique sont très séantes dans celle du roi de Navarre. Il était alors calviniste. Beaucoup de nos historiens même nous le peignent flottant entre les deux religions ; et certainement, s’il ne jugeait de l’une et de l’autre que par la conduite des deux partis, il devait se défier des deux cultes, qui n’étaient soutenus alors que par des crimes (1723.). On ne donne ici pour un homme d’honneur, tel qu’il était ; cherchant de bonne foi à s’éclairer, ami de la vérité, ennemi de la persécution, et détestant le crime partout où il se trouve. (1730.)
4 – François, duc de Guise, appelé communément alors le grand duc de Guise, était père du Balafré. Ce fut lui qui, avec le cardinal son frère, jeta les fondements de la Ligue. Il avait de très grandes qualités, qu’il faut bien se donner de garde de confondre avec de la vertu.
Le président de Thou, ce grand historien, rapporte que François de Guise voulut faire assassiner Antoine de Navarre, père de Henri IV, dans la chambre de François II. Il avait engagé ce jeune roi à permettre ce meurtre. Antoine de Navarre avait le cœur hardi, quoique l’esprit faible. Il fut informé du complot, et ne laissa pas d’entrer dans la chambre où on devait l’assassiner. « S’ils me tuent, dit-il à Reinzi, gentilhomme à lui, prenez ma chemise toute sanglante, portez-là à mon fils et à ma femme ; ils liront dans mon sang ce qu’ils doivent faire pour me venger. » François II n’osa pas, dit M. de Thou, se souiller de ce crime ; et le duc de Guise, en sortant de la chambre, s’écria : Le pauvre roi que nous avons ! (1730.) (Voltaire.)
5 – M. de Castelnau, envoyé de France auprès de la reine Elisabeth, parle ainsi d’elle :
« Cette princesse avait toutes les plus grandes qualités requises pour régner heureusement. On pourrait dire de son règne ce qui advint au temps d’Auguste, lorsque le temple de Janus fut fermé, etc. » (1730.) (Voltaire.)
6 – Catherine de Médicis se brouilla avec son fils Charles IX, sur la fin de la vie de ce prince, et ensuite avec Henri III. Elle avait été si ouvertement mécontente du gouvernement de François II, qu’on l’avait soupçonnée, quoique injustement, d’avoir hâté la mort de ce roi. (1730.) (Voltaire.)
7 – Dans les Mémoires de la Ligue, on trouve une lettre de Catherine de Médicis au prince de Condé par laquelle elle le remercie d’avoir pris les armes contre la cour. (1730.) (Voltaire.)
8 – Elle fut accusée d’avoir eu des intrigues avec le vidame de Chartres, mort à la Bastille, et avec un gentilhomme breton, nommé Moscouët. (1730.) (Voltaire.)
9 – Quand elle crut la bataille de Dreux perdue, et les protestants vainqueurs : « Eh bien, dit-elle, nous prierons Dieu en Français. » (1730.) (Voltaire.)
10 – Elle était assez faible pour croire à la magie ; témoin les talismans qu’on trouva après sa mort. (1730.) (Voltaire.)
11 – La bataille de Dreux fut la première bataille rangée qui se donna entre le parti catholique et le parti protestant. Ce fut en 1562. (1730.) (Voltaire.)
12 – Anne de Montmorency, homme opiniâtre et inflexible, le plus malheureux général de son temps, fait prisonnier à Pavie et à Dreux, battu à Saint-Quentin par Philippe II, fut enfin blessé à mort à la bataille de Saint-Denis, par un Anglais nommé Stuart, le même qui l’avait pris à la bataille de Dreux. (1730.) (Voltaire.)
13 – C’est ce même François de Guise cité ci-dessus, fameux par la défense de Metz contre Charles Quint. Il assiégeait les protestants dans Orléans, en 1563, lorsque Poltrot de Méré, gentilhomme angoumois, le tua par derrière d’un coup de pistolet chargé de trois balles empoisonnées. Il mourut à l’âge de quarante-quatre ans, comblé de gloire et regretté des catholiques. (1730.) (Voltaire.)
14 – Antoine de Bourbon, roi de Navarre, père du plus intrépide et du plus ferme de tous les hommes, fut le plus faible et le moins décidé : il était huguenot, et sa femme catholique. Ils changèrent tous deux de religion presque en même temps.
Jeanne d’Albret fut depuis huguenote opiniâtre, mais Antoine chancela toujours dans sa catholicité, jusque-là même qu’on douta dans quelle religion il mourut. Il porta les armes contre les protestants, qu’il aimait, et servit Catherine de Médicis, qu’il détestait, et le parti des Guises, qui l’opprimait.
Il songea à la régence après la mort de François II. La reine-mère l’envoya chercher : « Je sais, lui dit-elle, que vous prétendez au gouvernement ; je veux que vous me le cédiez tout à l’heure par un écrit de votre main, et que vous vous engagiez à me remettre la régence, si les états vous la défèrent. » Antoine de Bourbon donna l’écrit que la reine lui demandait, et signa ainsi son déshonneur. C’est à cette occasion que l’on fit ces vers, que j’ai lus dans les manuscrits de M. le premier président de Mesmes :
Marc-Antoine, qui pouvait être
Le plus grand seigneur et le maître
De son pays, s’oublia tant,
Qu’il se contenta d’être Antoine ;
Servant lâchement une royne (*).
Le Navarrois en fait autant.
* Cléopâtre.
Après la fameuse conjuration d’Amboise, un nombre infini de gentilshommes vinrent offrir leurs services et leurs vies à Antoine de Navarre : il se mit à leur tête ; mais il les congédia bientôt, en leur promettant de demander grâce pour eux. « Songez seulement à l’obtenir pour vous, lui répondit un vieux capitaine ; la nôtre est au bout de nos épées. »
Il mourut à quarante-quatre ans, au même âge que le duc de Guise, d’un coup d’arquebuse reçu dans l’épaule gauche, au siège de Rouen, où il commandait. Sa mort arriva le 17 Novembre 1562, le trente (cinquième jour de sa blessure. L’incertitude qu’il avait eue pendant sa vie le troubla dans ses derniers moments ; et quoiqu’il eût reçu les sacrements selon l’usage de l’Eglise romaine, on douta s’il ne mourut point protestant. Il avait reçut le coup mortel dans la tranchée, dans le temps qu’il pissait : aussi lui fit-on cette épitaphe :
Ami François, le prince ici gisant
Vécut sans gloire, et mourut en pissant.
Ill y en a une dans M. le Laboureur, qui ressemble à celle-là, et finit par le même hémistiche. M. Jurieu assure que lorsque Louis, prince de Condé, était en prison à Orléans, le roi de Navarre, son frère, allait solliciter le cardinal de Lorraine, et que celui-ci recevait, assis et couvert, le roi de Navarre, qui lui parlait debout et nu-tête ; je ne sais où M. Jurieu a pu déterrer ce fait. (1723.) (Voltaire.)
15 – Louis de Condé, frère d’Antoine, roi de Navarre, le septième et dernier des enfants de Charles de Bourbon, duc de Vendôme, fut un de ces hommes extraordinaires nés pour le malheur et pour la gloire de leur patrie. Il fut longtemps le chef des réformés, et mourut comme l’on sait, à Jarnac. Il avait un bras en écharpe le jour de la bataille. Comme il marchait aux ennemis, le cheval du comte de La Rochefoucauld, son beau-frère, lui donna un coup de pied qui lui cassa la jambe. Ce prince, sans daigner se plaindre, s’adressa aux gentilshommes qui l’accompagnaient : « Apprenez, leur dit-il, que les chevaux fougueux nuisent plus qu’ils ne servent dans une armée. » Un instant après il leur dit, avec un bras en écharpe et une jambe cassée : « Le prince de Condé ne craint point de donner la bataille, puisque vous le suivez ; » et chargea dans le moment.
Brantôme dit qu’après que le prince se fut rendu prisonnier à Dargence, dans cette bataille, arriva un très honnête et très brave gentilhomme, nommé Montesquiou, qui, ayant demandé qui c’était, comme on lui dit que c’était M. le prince de Condé, « Tuez, tuez, mordieu ! » dit-il, et lui tira un coup de pistolet dans la tête (1723.) − Montesquiou était capitaine des gardes du duc d’Anjou, depuis Henri III. Le comte de Soissons ; fils cadet du prince de Condé, chercha partout Montesquiou et ses parents, pour les sacrifier à sa vengeance. (1730.) (Voltaire.)
Henri IV était à la journée de Jarnac, quoiqu’il n’eût pas quatorze ans, et remarqua les fautes qui firent perdre la bataille. (1730.)
Le prince de Condé était bossu et petit, et cependant plein d’agréments, spirituel, galant, aimé des femmes. On fit sur lui ce vaudeville.
Ce petit homme tant joli ?
Qui toujours cause et toujours rit,
Et toujours baise sa mignonne :
Dieu garde mal ce petit homme !
La maréchale de Saint-André se ruina pour lui, et lui donna entre autres présents, la terre de Vallery, qui depuis est devenue la sépulture des princes de la maison de Condé.
Jamais général ne fut plus aimé de ses soldats : on en vit à Pont-à-Mousson un exemple étonnant. Il manquait d’argent pour ses troupes, et surtout pour les reîtres, qui étaient venus à son secours, et qui menaçaient de l’abandonner : il osa proposer à son armée, qu’il ne payait point, de payer elle-même l’armée auxiliaire ; et, ce qui ne pouvait jamais arriver que dans une guerre de religion et sous un général tel que lui, toute son armée se cotisa, jusqu’au moindre goujat.
Il fut condamné, sous François II, à Orléans, à perdre la tête ; mais on ignore si l’arrêt fut signé. La France fut étonnée de voir un pair, prince du sang, qui ne pouvait être jugé que par la cour des pairs, les chambres assemblées, obligé de répondre devant des commissaires ; mais ce qui parut le plus étrange fut que ces commissaires même fussent tirés du corps du parlement. C’étaient Christophe de Thou, depuis premier président, et père de l’historien ; Barthélemy Faye, Jacques Viole, conseillers ; Bourdin, procureur général, et du Tillet, greffier, qui tous, en acceptant cette commission, dérogeaient à leurs privilèges, et s’ôtaient par là la liberté de réclamer leurs droits, si jamais on leur eût voulu donner à eux-mêmes, dans l’occasion, d’autres juges que leurs juges naturels (1723.). On prétend que madame Renée de France, fille de Louis XII et duchesse de Ferrare, qui arriva en France dans ce même temps, ne contribua pas peu à empêcher l’exécution de l’arrêt. (1730.)
Il ne faut pas omettre un artifice de cour dont on se servit pour perdre ce prince, qui se nommait Louis. Ses ennemis firent frapper une médaille qui le représentait : il y avait pour légende LOUIS XII, ROI DE FRANCE. On fit tomber cette médaille entre les mains du connétable de Montmorency, qui la montra tout en colère au roi, persuadé que le prince de Condé l’avait fait frapper (1723.). − Il est parlé de cette médaille dans Brantôme et dans Vigneul de Marville. (1741.)
16 – Gaspard de Coligny, amiral de France, fils de Gaspard de Coligny, maréchal de France, et de Louise de Montmorency, sœur du connétable ; né à Châtillon le 16 Février 1516 (1730.), après la mort du prince de Condé, fut déclaré chef du parti des réformés en France. Catherine de Médicis et Charles IX surent l’attirer à la cour pour le mariage de Henri IV et de Marguerite de Valois, sœur de Charles IX et de Henri III. Il fut massacré le jour de la Saint-Barthélemy : c’étaient principalement à ce grand homme qu’on en voulait. (1741.)
Quelques personnes ont reproché à l’auteur de la Henriade d’avoir fait son héros, dans ce second chant, d’un huguenot révolté contre son roi, et accusé par la voix publique de l’assassinat de François de Guise. Cette critique louable est fondée sur l’obéissance au souverain, qui doit faire le principal caractère d’un héros français : mais il faut considérer que c’est ici Henri IV qui parle. Il avait fait ses premières campagnes sous l’amiral, qui lui avait tenu lieu de père ; il avait été accoutumé à le respecter, et ne devait ni ne pouvait le soupçonner d’aucune action indigne d’un grand homme, surtout après la justification publique de Coligny, qui ne pouvait point paraître douteuse au roi de Navarre.
A l’égard de la révolte, ce n’était pas à ce prince à regarder comme un crime, dans l’amiral, son union avec la maison de Bourbon contre les Lorrains et une Italienne. Quant à la religion, ils étaient tous deux protestants ; et les huguenots, dont Henri IV était le chef, regardaient l’amiral comme un martyr. (1723.)
17 – Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, fut mariée à Henri IV, en 1572, peu de jours avant les massacres. (1730.)
18 – Jeanne d’Albret, attirée à Paris avec les autres huguenots, mourut après cinq jours d’une fièvre maligne : le temps de sa mort, les massacres qui la suivirent, la crainte que son courage aurait pu donner à la cour, enfin sa maladie, qui commençait après avoir acheté des gants et des collets parfumés chez un parfumeur nommé René, venu de Florence avec la reine, et qui passait pour un empoisonneur public ; tout cela fit croire qu’elle était morte de poison. On dit même que ce René se vanta de son crime, et osa dire qu’il en préparait autant à deux grands seigneurs qui ne s’en doutaient pas. Mézeray, dans sa grande histoire, semble favoriser cette opinion, en disant que les chirurgiens qui ouvrirent le corps de la reine ne touchèrent point à la tête, où l’on soupçonnait que le poison avait laissé des traces trop visibles. On n’a point voulu mettre ces soupçons dans le bouche de Henri IV, parce qu’il est juste de se défier de ces idées qui n’attribuent jamais la mort des grands à des causes naturelles. Le peuple, sans rien approfondir, regarde toujours comme coupables de la mort d’un prince ceux à qui cette mort est utile. On poussa la licence de ces soupçons jusqu’à accuser Catherine de Médicis de la mort de ses propres enfants ; cependant il n’y a jamais eu de preuves, ni que ces princes, ni que Jeanne d’Albret, dont il est ici question, soient morts empoisonnés.
Il n’est pas vrai, comme le prétend Mézeray, qu’on n’ouvrit point le cerveau de la reine de Navarre ; elle avait recommandé expressément qu’on visitât avec exactitude cette partie après sa mort. Elle avait été tourmentée toute sa vie de grandes douleurs de tête, accompagnées de démangeaisons, et avait ordonné qu’on cherchât soigneusement la cause de ce mal, afin qu’on pût le guérir dans ses enfants s’ils en étaient atteints. La Chronologie novennaire rapporte formellement que Caillard, son médecin, et Desnœuds, son chirurgien disséquèrent son cerveau, qu’ils trouvèrent très sain ; qu’ils aperçurent seulement de petites bulles d’eau logées entre le crâne et la pellicule qui enveloppe le cerveau, et qu’ils jugèrent être la cause des maux de tête dont la reine s’était plainte : ils attestèrent d’ailleurs qu’elle était morte d’un abcès formé dans la poitrine. Il est à remarquer que ceux qui l’ouvrirent étaient huguenots, et qu’apparemment ils auraient parlé de poison s’ils y avaient trouvé quelque vraisemblance. On peut me répondre qu’ils furent gagnés par la cour ; mais Desnœuds, chirurgien de Jean d’Albret, huguenot passionné, écrivit depuis des libelles contre la cour ; ce qu’il n’eût pas fait s’il se fût vendu à elle ; et, dans ces libelles, il ne dit point que Jeanne d’Albret ait été empoisonnée. De plus, il n’est pas croyable qu’une femme aussi habile que Catherine de Médicis eût chargée d’une pareille commission un misérable parfumeur, qui avait, dit-on, l’insolence de s’en vanter.
Jeanne d’Albret était née, en 1530, de Henri d’Albret, roi de Navarre, et de Marguerite de Valois, sœur de François Ier. A l’âge de douze ans, Jeanne fut mariée à Guillaume, duc de Clèves ; elle n’habita pas avec son mari. Le mariage fut déclaré nul deux ans après par le pape Paul III, et elle épousa Antoine de Bourbon. Ce second mariage, contracté du vivant du premier mari, donna lieu depuis aux prédicateurs de la Ligue de dire publiquement, dans leurs sermons contre Henri IV, qu’il était bâtard ; mais ce qu’il y eut de plus étrange fut que les Guises, et entre autres ce François de Guise qu’on dit avoir été si bon chrétien, abusèrent de la faiblesse d’Antoine de Bourbon, au point de lui persuader de répudier sa femme, dont il avait des enfants, pour épouser leur nièce, et se donner entièrement à eux. Peu s’en fallut que le roi de Navarre ne donnât dans ce piège. Jeanne d’Albret mourut à quarante-deux ans, le 9 Juin 1572.
M. Bayle, dans ses Réponses aux questions d’un provincial, dit qu’on avait vu de son temps, en Hollande, le fils d’un ministre, nommé Goyon, qui passait pour petit-fils de cette reine. On prétendait qu’après la mort d’Antoine de Navarre, elle s’était mariée à un gentilhomme nommé Goyon, dont elle avait eu ce ministre. (1723.) (Voltaire.)
19 – Ici commence la célèbre peinture du massacre de la Saint-Barthélemy. (G.A.)
20 – Ce fut la nuit du 23 au 24 Août, fête de saint Barthélemy, en 1572, que s’exécuta cette sanglante tragédie.
L’amiral avait logé dans la rue Bétizy, dans une maison qui est à présent une auberge, appelée l’hôtel Saint-Pierre, où l’on voit encore sa chambre. (1730.) (Voltaire.)
21 – Le comte de Téligny avait épousé, il y avait dix mois, la fille de l’amiral. Il avait un visage si agréable et si doux, que les premiers qui étaient venus pour le tuer s’étaient laissé attendrir à sa vue ; mais d’autres plus barbares le massacrèrent. (1730.) (Voltaire.)