LA HENRIADE : Chant quatrième - Partie 1

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LA HENRIADE

 

 

CHANT QUATRIEME.

 

 

 

ARGUMENT.

 

 

 

 

D’Aumale était près de se rendre maître du camp de Henri III, lorsque le héros, revenant d’Angleterre, combat les ligueurs, et fait changer la fortune.

 

La Discorde console Mayenne, et vole à Rome pour y chercher du secours. Description de Rome, où régnait alors Sixte-Quint. La Discorde y trouve la Politique ; elle revient avec elle à Paris, soulève la Sorbonne, anime les Seize contre le parlement, et arme les moines. On livre à la main du bourreau des magistrats qui tenaient pour le parti des rois. Troubles et confusion horrible dans Paris.

 

 

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Tandis que, poursuivant leurs entretiens secrets,

Et pesant à loisir de si grands intérêts,

Ils épuisaient tous deux la science profonde

De combattre, de vaincre, et de régir le monde,

La Seine, avec effroi, voit sur ses bords sanglants

Les drapeaux de la Ligue abandonnés aux vents.

 

Valois, loin de Henri, rempli d’inquiétude,

Du destin des combats craignait l’incertitude.

A ses desseins flottants il fallait un appui.

Il attendait Bourbon, sûr de vaincre avec lui.

Par ces retardements les ligueurs s’enhardirent ;

Des portes de Paris leurs légions sortirent :

Le superbe d’Aumale, et Nemours, et Brissac,

Le farouche Saint-Paul, La Châtre, Canillac,

D’un coupable parti défenseurs intrépides,

Epouvantaient Valois de leurs succès rapides :

Et ce roi, trop souvent sujet au repentir,

Regrettait le héros qu’il avait fait partir.

 

Parmi ces combattants, ennemis de leur maître,

Un frère (1) de Joyeuse osa longtemps paraître.

Ce fut lui que Paris vit passer tour à tour

Du siècle au fond d’un cloître, et du cloître à la cour :

Vicieux, pénitent, courtisan, solitaire,

Il prit, quitta, reprit la cuirasse et la haire.

Du pied des saints autels arrosés de ses pleurs,

Il courut de la Ligue animer les fureurs,

Et plongea dans le sang de la France éplorée

La main qu’à l’Eternel il avait consacrée.

 

Mais de tant de guerriers celui dont la valeur

Inspira plus d’effroi, répandit plus d’horreur,

Dont le cœur fut plus fier et la main plus fatale,

Ce fut vous, jeune prince, impétueux d’Aumale,

Vous, né du sang lorrain, si fécond en héros,

Vous, ennemi des rois, des lois et du repos.

La fleur de la jeunesse en tout temps l’accompagne :

Avec eux sans relâche il fond dans la campagne ;

Tantôt dans le silence, et tantôt à grand bruit,

A la clarté des cieux, dans l’ombre de la nuit,

Chez l’ennemi surpris portant partout la guerre,

Du sang des assiégeants son bras couvrait la terre.

Tels du front du Caucase, ou du sommet d’Athos,

D’où l’œil découvre au loin l’air, la terre et les flots,

Les aigles, les vautours, aux ailes étendues,

D’un vol précipité fendant les vastes nues,

Vont dans les champs de l’air enlever les oiseaux

Dans les bois, sur les prés déchirent les troupeaux,

Et dans les flancs affreux de leurs roches sanglantes

Remportent à grands cris ces dépouilles vivantes.

 

Déjà plein d’espérance et de gloire enivré,

Aux tentes de Valois il avait pénétré,

La nuit et la surprise augmentaient les alarmes :

Tout pliait, tout tremblait, tout cédait à ses armes.

Cet orageux torrent, prompt à se déborder,

Dans son choc ténébreux allait tout inonder.

L’étoile du matin commençait à paraître :

Mornay, qui précédait le retour de son maître,

Voyait déjà les tours du superbe Paris.

D’un bruit mêlé d’horreur il est soudain surpris ;

Il court, il aperçoit dans un désordre extrême

Les soldats de Valois, et ceux de Bourbon même :

« Juste ciel ! Est-ce ainsi que vous nous attendiez ?

Henri va vous défendre ; il vient, et vous fuyez !

Vous fuyez, compagnons ! » Au son de sa parole,

Comme on vit autrefois au pied du Capitole

Le fondateur de Rome, opprimé des Sabins,

Au nom de Jupiter arrêter ses Romains,

Au seul nom de Henri les Français se rallient ;

La honte les enflamme, ils marchent, ils s’écrient :

« Qu’il vienne, ce héros, nous vaincrons sous ses yeux. »

Henri, dans le moment, paraît au milieu d’eux,

Brillant comme l’éclair au fort de la tempête :

Il vole aux premiers rangs ; il s’avance à leur tête ;

Il combat, on le suit ; il change les destins :

La foudre est dans ses yeux, la mort est dans ses mains.

Tous les chefs ranimés autour de lui s’empressent ;

La victoire revient, les ligueurs disparaissent,

Comme aux rayons du jour, qui s’avance et qui luit,

S’est dissipé l’éclat des astres de la nuit.

C’est en vain que d’Aumale arrête sur ces rives

Des siens épouvantés les troupes fugitives ;

Sa voix pour un moment les rappelle aux combats :

La voix du grand Henri précipite leurs pas ;

De son front menaçant la terreur les renverse.

Leur chef les réunit, la crainte les disperse.

D’Aumale est avec eux dans leur fuite entraîné ;

Tel que du haut d’un mont de frimas couronné,

Au milieu des glaçons et des neiges fondues,

Tombe et roule un rocher qui menaçait les nues.

Mais que dis-je ? Il s’arrête, il montre aux assiégeants,

Il montre encor ce front redouté si longtemps.

Des siens qui l’entraînaient, fougueux, il se dégage :

Honteux de vivre encore, il revole au carnage,

Il arrête un moment son vainqueur étonné ;

Mais d’ennemis bientôt il est environné.

La mort allait punir son audace fatale.

 

La Discorde le vit, et trembla pour d’Aumale.

La barbare qu’elle est a besoin de ses jours :

Elle s’élève en l’air, et vole à son secours.

Elle approche ; elle oppose au nombre qui l’accable

Son bouclier de fer, immense, impénétrable,

Qui commande au trépas, qu’accompagne l’horreur,

Et dont la vue inspire ou la rage ou la peur.

O fille de l’enfer ! Discorde inexorable,

Pour la première fois tu parus secourable.

Tu sauvas un héros, tu prolongeas son sort,

De cette même main, ministre de la mort,

De cette main barbare, accoutumée aux crimes,

Qui jamais jusque-là n’épargna ses victimes.

Elle entraîne d’Aumale aux portes de Paris,

Sanglant, couvert de coups qu’il n’avait point sentis.

Elle applique à ses maux une main salutaire ;

Elle étanche ce sang répandu pour lui plaire :

Mais tandis qu’à son corps elle rend la vigueur,

De ses mortels poisons elle infecte son cœur.

Tel souvent un tyran, dans sa pitié cruelle,

Suspend d’un malheureux la sentence mortelle ;

A ses crimes secrets il fait servir son bras ;

Et, quand ils sont commis, il le rend au trépas.

 

Henri sait profiter de ce grand avantage,

Dont le sort des combats honora son courage.

Des moments dans la guerre il connaît tout le prix :

Il presse au même instant ses ennemis surpris ;

Il veut que les assauts succèdent aux batailles ;

Il fait tracer leur perte autour de leurs murailles.

Valois, plein d’espérance, et fort d’un tel appui,

Donne aux soldats l’exemple, et le reçoit de lui ;

Il soutient les travaux ; il brave les alarmes.

La peine a ses plaisirs, le péril a ses charmes.

Tous les chefs sont unis, tout succède à leurs vœux :

Et bientôt la Terreur, qui marche devant eux,

Des assiégés tremblants dissipant les cohortes,

A leurs yeux éperdus allait briser leurs portes.

Que peut faire Mayenne en ce péril pressant ?

Mayenne a pour soldats un peuple gémissant.

Ici, la fille en pleurs lui redemande un père ;

Là, le frère effrayé pleure au tombeau d’un frère.

Chacun plaint le présent, et craint pour l’avenir ;

Ce grand corps alarmé ne peut se réunir.

On s’assemble, on consulte, on veut fuir ou se rendre ;

Tous sont irrésolus, nul ne veut se défendre :

Tant le faible vulgaire, avec légèreté,

Fait succéder la peur à la témérité !

 

Mayenne, en frémissant, voit leur troupe éperdue :

Cent desseins partageaient son âme irrésolue,

Quand soudain la Discorde aborde ce héros,

Fait siffler ses serpents, et lui parle en ces mots :

 

« Digne héritier d’un nom redoutable à la France,

Toi qu’unit avec moi le soin de ta vengeance,

Toi, nourri sous mes yeux et formé sous mes lois,

Entends ta protectrice, et reconnais ma voix.

Ne crains rien de ce peuple imbécile et volage,

Dont un faible malheur a glacé le courage ;

Leurs esprits sont à moi, leurs cœurs sont dans mes mains ;

Tu les verras bientôt, secondant nos desseins,

De mon fiel abreuvés, à mes fureurs en proie,

Combattre avec audace, et mourir avec joie. »

 

La Discorde aussitôt, plus prompte qu’un éclair,

Fend d’un vol assuré les campagnes de l’air.

Partout chez les Français le trouble et les alarmes

Présentent à ses yeux des objets pleins de charmes :

Son haleine en cent lieux répand l’aridité ;

Le fruit meurt en naissant, dans son germe infecté ;

Les épis renversés sur la terre languissent ;

Le ciel s’en obscurcit, les astres en pâlissent ;

Et la foudre en éclats, qui gronde sous ses pieds,

Semble annoncer la mort aux peuples effrayés.

 

Un tourbillon la porte à ces rives fécondes

Que l’Eridan rapide arrose de ses ondes.

 

Rome enfin se découvre à ses regards cruels ;

Rome, jadis son temple, et l’effroi des mortels ;

Rome, dont le destin dans la paix, dans la guerre,

Est d’être en tous les temps maîtresse de la terre (2).

Par le sort des combats on la vit autrefois

Sur leurs trônes sanglants enchaîner tous les rois ;

L’univers fléchissait sous son aigle terrible.

Elle exerce en nos jours un pouvoir plus paisible :

On la voit sous son joug asservir ses vainqueurs,

Gouverner les esprits et commander aux cœurs ;

Ses avis font ses lois, ses décrets sont ses armes.

Près de ce Capitole où régnaient tant d’alarmes,

Sur les pompeux débris de Bellone et de Mars,

Un pontife est assis au trône des Césars ;

Des prêtres fortunés foulent d’un pied tranquille

Les tombeaux des Catons et la cendre d’Emile.

Le trône est sur l’autel, et l’absolu pouvoir

Met dans les mêmes mains le sceptre et l’encensoir.

 

Là, Dieu même a fondé son Eglise naissante

Tantôt persécutée et tantôt triomphante :

Là son premier apôtre, avec la Vérité,

Conduisit la Candeur et la Simplicité.

Ses successeurs heureux quelque temps l’imitèrent,

D’autant plus respectés que plus ils s’abaissèrent.

Leur front d’un vain éclat n’était point revêtu ;

La pauvreté soutint leur austère vertu ;

Et, jaloux des seuls biens qu’un vrai chrétien désire,

         Du fond de leur chaumière ils volaient au martyre.

Le temps qui corrompt tout, changea bientôt leurs mœurs ;

Le ciel, pour nous punir, leur donna des grandeurs.

Rome, depuis ce temps, puissante et profanée,

Au conseil des méchants se vit abandonnée ;

La trahison, le meurtre, et l’empoisonnement,

De son pouvoir nouveau fut l’affreux fondement,

Les successeurs du Christ au fond du sanctuaire

Placèrent sans rougir l’inceste et l’adultère ;

Et Rome, qu’opprimait leur empire odieux,

Sous ces tyrans sacrés regretta ses faux dieux.

On écouta depuis de plus sages maximes ;

On sut ou s’épargner ou mieux voiler les crimes (3).

(4).De l’Eglise et du peuple on régla mieux les droits ;

Rome devint l’arbitre et non l’effroi des rois ;

Sous l’orgueil imposant du triple diadème,

La modeste vertu reparut elle-même.

Mais l’art de ménager le reste des humains

Est, surtout aujourd’hui, la vertu des Romains.

 

 

 LA HENRIADE - CHANT 4 - Partie 1

 

 

 

 

 

 

1 – Vers emprunté à Godeau, évêque deVence, qui, dans son Epître à sa Bibliothèque, a dit :

 

Rome, dont le destin, soit en paix, soit en guerre,

Est de se voir toujours la reine de la terre.

 

2 – Henri, comte de Bouchage, frère puîné du duc de Joyeuse tué à Coutras.

 

Un jour qu’il passait à Paris à quatre heures du matin près du couvent des Capucins, après avoir passé la nuit en débauche, il s’imagina que les anges chantaient les matines dans le couvent. Frappé de cette idée, il se fit capucin, sous le nom de frère Ange. Depuis il quitta  son froc, et prit les armes contre Henri IV. Le duc de Mayenne le fit gouverneur du Languedoc, duc et pair, et maréchal de France. Enfin il fit son accommodement avec le roi ; mais un jour ce prince étant avec lui sur un balcon au-dessous duquel beaucoup de peuple était assemblé : « Mon cousin, lui dit Henri IV, ces gens-ci me paraissent fort aises de voir ensemble un apostat et un renégat. » Cette parole du roi fit rentrer Joyeuse dans son couvent, où il mourut. (1730.)

 

3 – On lisait dans l’édition de Londres :

 

Sous des dehors plus doux la cour cacha ses crimes ;

La décence y régna, le conclave eut ses lois ;

La vertu la plus pure y régna quelquefois ;

Des Ursens dans nos jours a mérité des temples ;

Mais d’un tel souverain la terre a peu d’exemples,

Et l’Eglise a compté depuis plus de mille ans

Peu de pasteurs sans tâche et beaucoup de tyrans.

Sixte alors était roi… (G.A.)

 

 

4 – Voyez l’Histoire des Papes. (G.A.)

 

 

 

 

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