L'ORPHELIN DE LA CHINE - Partie 6

Publié le par loveVoltaire

                       L-ORPHELIN---ACTE-3---Partie-1.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ORPHELIN DE LA CHINE.

 

 

 

______

 

 

 

 

ACTE TROISIÈME.

 

 

SCÈNE I.

 

_______

 

GENGIS, OSMAN, TROUPES DE GUERRIERS.

 

 

 

 

GENGIS.

 

A-t-on de ces captifs éclairci l’imposture ?

A-t-on connu leur crime et vengé mon injure ?

Ce rejeton des rois, à leur garde commis,

Entre les mains d’Octar est-il enfin remis ?

 

OSMAN.

 

Il cherche à pénétrer dans ce sombre mystère.

A l’aspect des tourments, ce mandarin sévère

Persiste en sa réponse avec tranquillité ;

Il semble sur son front porter la vérité :

Son épouse en tremblant nous répond par des larmes ;

Sa plainte, sa douleur, augmente encor ses charmes.

De pitié malgré nous nos cœurs étaient surpris,

Et nous nous étonnions de nous voir attendris :

Jamais rien de si beau ne frappa notre vue.

Seigneur, le croiriez-vous ? cette femme éperdue

A vos sacrés genoux demande à se jeter.

«Que le vainqueur des rois daigne enfin m’écouter.

Il pourra d’un enfant protéger l’innocence ;

Malgré ses cruautés j’espère en sa clémence :

Puisqu’il est tout-puissant, il sera généreux ;

Pourrait-il rebuter les pleurs des malheureux ? »

C’est ainsi qu’elle parle, et j’ai dû lui promettre

Qu’à vos pieds en ces lieux vous daigneriez l’admettre.

 

GENGIS.

 

De ce mystère enfin je dois être éclairci.

 

(A sa suite.)

 

Oui, qu’elle vienne : allez, et qu’on l’amène ici.

Qu’elle ne pense pas que, par de vaines plaintes,

Des soupirs affectés, et quelques larmes feintes,

Aux yeux d’un conquérant on puisse en imposer

Les femmes de ces lieux ne peuvent m’abuser ;

Je n’ai que trop connu leurs larmes infidèles (1) ;

Et mon cœur dès longtemps s’est affermi contre elles.

Elle cherche un honneur dont dépendra son sort ;

Et vouloir me tromper, c’est demander la mort.

 

OSMAN.

 

Voilà cette captive à vos pieds amenée.

 

GENGIS.

 

Que vois-je ? est-il possible ? ô ciel ! ô destinée !

Ne me trompé-je point ? est-ce un songe ? une erreur ?

C’est Idamé  ! C’est elle ! et mes sens (2)…

 

 

 

 

1 – « Je vous demande grâce aussi pour ces deux vers, écrivait Voltaire aux comédiens. Le parterre ne hait pas ces petites excursions sur vous autres, mesdames. » (G.A.)

 

2 – On avait encore retranché ces vers à la première représentation, Voltaire les fit rétablir. (G.A.)

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

_______

 

GENGIS, IDAMÉ, OCTAR, OSMAN, GARDES.

 

 

 

 

IDAMÉ.

 

Ah ! seigneur,

Tranchez les tristes jours d’une femme éperdue.

Vous devez vous venger, je m’y suis attendue.

Mais, seigneur, épargnez un enfant innocent.

 

GENGIS.

 

Rassurez-vous ; sortez de cet effroi pressant …

Ma surprise, madame, est égale à la vôtre …

Le destin qui fait tout nous trompa l’un et l’autre.

Les temps sont bien changés : mais si l’ordre des cieux

D’un habitant du Nord, méprisable à vos yeux,

A fait un conquérant sous qui tremble l’Asie,

Ne craignez rien pour vous, votre empereur oublie

Les affronts qu’en ces lieux essuya Témugin.

J’immole à ma victoire, à mon trône, au destin,

Le dernier rejeton d’une race ennemie :

Le repos de l’Etat me demande sa vie ;

Il faut qu’entre mes mains ce dépôt soit livré.

Votre cœur sur un fils doit être rassuré ;

Je le prends sous ma garde.

 

IDAMÉ.

 

A peine je respire.

 

GENGIS.

 

Mais de la vérité, madame, il faut m’instruire :

Quel indigne artifice ose-t-on m’opposer ?

De vous, de votre époux, qui prétend m’imposer ?

 

IDAMÉ.

 

Ah ! des infortunés épargnez la misère.

 

GENGIS.

 

Vous savez si je dois haïr ce téméraire.

 

IDAMÉ.

 

Vous, seigneur !

 

GENGIS.

 

J’en dis trop, et plus que je ne veux.

 

IDAMÉ.

 

Ah ! rendez-moi, seigneur, un enfant malheureux :

Vous me l’avez promis ; sa grâce est prononcée.

 

GENGIS.

 

Sa grâce est dans vos mains : ma gloire est offensée,

Mes ordres méprisés, mon pouvoir avili ;

En un mot, vous savez jusqu’où je suis trahi.

C’est peu de m’enlever le sang que je demande

De me désobéir alors que je commande ;

Vous êtes dès longtemps instruite à m’outrager :

Ce n’est pas d’aujourd’hui que je dois me venger.

Votre époux !... ce seul nom le rend assez coupable.

Quel est donc ce mortel , pour vous si respectable,

Qui sous ses lois, madame, a pu vous captiver ?

Quel est cet insolent qui pense me braver ?

Qu’il vienne.

 

IDAMÉ.

 

Mon époux, vertueux et fidèle,

Objet infortuné de ma douleur mortelle,

Servit son dieu, son roi, rendit mes jours heureux.

 

GENGIS.

 

Qui !... lui ? Mais depuis quand formâtes-vous ces nœuds ?

 

IDAMÉ.

 

Depuis que loin de nous le sort, qui vous seconde,

Eût entraîné vos pas pour le malheur du monde.

 

GENGIS.

 

J’entends ; depuis le jour que je fus outragé,

Depuis que de vous deux je dus être vengé,

Depuis que vos climats ont mérité ma haine.

 

 

L'ORPHELIN - ACTE 3 - Partie 1

 

 

 

 

 

 

Publié dans Théâtre

Commenter cet article