L'ORPHELIN DE LA CHINE - Partie 2

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L’ORPHELIN DE LA CHINE.

 

 

 

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PERSONNAGES.

 

 

 

-    GENGIS-KAN                  empereur tartare.

-    OCTAR                             guerrier tartare.

-    OSMAN                            guerrier tartare.

-    ZAMTI                              mandarin lettré.

-    IDAMÉ                             femme de Zamti.

-    ASSÉLI                            attachée à Idamé.

-    ETAN                               attaché à Zamti.

 

 

 

La scène est dans un palais des mandarins, qui tient au palais impérial, dans la ville de Cambalu, aujourd’hui Pékin.

 

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ACTE PREMIER.

 

 

SCÈNE I.

 

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IDAMÉ, ASSÉLI.

 

 

 

 

IDAMÉ.

 

Se peut-il qu’en ce temps de désolation,

En ce jour de carnage et de destruction,

Quand ce palais sanglant, ouvert à des Tartares,

Tombe avec l’univers sous ces peuples barbares,

Dans cet amas affreux de publiques horreurs,

Il soit encor pour moi de nouvelles douleurs ?

 

ASSÉLI.

 

Eh ! qui n’éprouve, hélas ! dans la perte commune,

Les tristes sentiments de sa propre infortune ?

Qui de nous vers le ciel n’élève pas ses cris

Pour les jours d’un époux, ou d’un père, ou d’un fils ?

Dans cette vaste enceinte, au Tartare inconnue,

Où le roi dérobait à la publique vue

Ce peuple désarmé de paisibles mortels,

Interprètes des lois, ministres des autels,

Vieillards, femmes, enfants, troupeau faible et timide,

Dont n’a point approché cette guerre homicide,

Nous ignorons encore à quelle atrocité

Le vainqueur insolent porte sa cruauté.

Nous entendons gronder la foudre et les tempêtes.

Le dernier coup approche, et vient frapper nos têtes.

 

IDAMÉ.

 

Ô fortune ! ô pouvoir au-dessus de l’humain !

Chère et triste Asséli, sais-tu quelle est la main

Qui du Catai sanglant presse le vaste empire,

Et qui s’appesantit sur tout ce qui respire ?

 

ASSÉLI.

 

On nomme ce tyran du nom de roi des rois.

C’est ce fier Gengis-Kan, dont les affreux exploits

Font un vaste tombeau de la superbe Asie.

Octar, son lieutenant, déjà dans sa furie,

Porte au palais, dit-on, le fer et les flambeaux.

Le Catai passe enfin sous des maîtres nouveaux :

Cette ville, autrefois souveraine du monde,

Nage de tous côtés dans le sang qui l’inonde ;

Voilà ce que cent voix, en sanglots superflus,

Ont appris dans ces lieux à mes sens éperdus (1).

 

IDAMÉ.

 

Sais-tu que ce tyran de la terre interdite,

Sous qui de cet Etat la fin se précipite,

Ce destructeur des rois, de leur sang abreuvé,

Est un Scythe, un soldat dans la poudre élevé,

Un guerrier vagabond de ces déserts sauvages,

Climat qu’un ciel épais ne couvre que d’orages ?

C’est lui qui, sur les siens, briguant l’autorité,

Tantôt fort et puissant, tantôt persécuté,

Vint jadis à tes yeux, dans cette auguste ville,

Aux portes du palais demander un asile.

Son nom est Témugin ; c’est t’en apprendre assez.

 

ASSÉLI.

 

Quoi ! c’est lui dont les vœux vous furent adressés !

Quoi ! c’est ce fugitif, dont l’amour et l’hommage

A vos parents surpris parurent un outrage !

Lui qui traîne après soi tant de roi ses suivants,

Dont le nom seul impose au reste des vivants !

 

IDAMÉ.

 

C’est lui-même, Asséli : son superbe courage,

Sa future grandeur, brillaient sur son visage ;

Tout semblait, je l’avoue, esclave auprès de lui ;

Et lorsque de la cour il mendiait l’appui,

Inconnu, fugitif, il ne parlait qu’en maître.

Il m’aimait ; et mon cœur s’en applaudit peut-être :

Peut-être qu’en secret je tirais vanité

D’adoucir ce lion dans mes fers arrêté,

De plier à nos mœurs cette grandeur sauvage,

D’instruire à nos vertus son féroce courage,

Et de le rendre enfin, grâces à ces liens,

Digne un jour d’être admis parmi nos citoyens.

Il eût servi l’Etat, qu’il détruit par la guerre :

Un refus a produit les malheurs de la terre.

De nos peuples jaloux tu connais la fierté.

De nos arts, de nos lois l’auguste antiquité,

Une religion de tout temps épurée,

De cent siècles de gloire une suite avérée,

Tout nous interdisait, dans nos préventions,

Une indigne alliance avec les nations.

Enfin un autre hymen, un plus saint nœud m’engage ;

Le vertueux Zamti mérita mon suffrage.

Qui l’eût cru, dans ces temps de paix et de bonheur,

Qu’un Scythe méprisé serait notre vainqueur ?

Voilà ce qui m’alarme, et qui me désespère.

J’ai refusé sa main ; je suis épouse et mère :

Il ne pardonne pas : il se vit outrager,

Et l’univers sait trop s’il aime à se venger.

Etrange destinée, et revers incroyable :

Est-il possible, ô dieu ! que ce peuple innombrable

Sous le glaive du Scythe expire sans combats,

Comme de vils troupeaux que l’on mène au trépas ?

 

ASSÉLI.

 

Les Coréens, dit-on, rassemblaient une armée ;

Mais nous ne savons rien que par la renommée,

Et tout nous abandonne aux mains des destructeurs.

 

IDAMÉ.

 

Que cette incertitude augmente mes douleurs !

J’ignore à quel excès parviennent nos misères,

Si l’empereur encore au palais de ses pères

A trouvé quelque asile, ou quelque défenseur ;

Si la reine est tombée aux mains de l’oppresseur ;

Si l’un et l’autre touche à son heure fatale.

Hélas ! ce dernier fruit de leur foi conjugale,

Ce malheureux enfant, à nos soins confié,

Excite encor ma crainte, ainsi que ma pitié.

Mon époux au palais porte un pied téméraire ;

Une ombre de respect pour son saint ministère

Peut-être adoucira ces vainqueurs forcenés.

On dit que ces brigands aux meurtres acharnés,

Qui remplissent de sang la terre intimidée,

Ont d’un dieu cependant conservé quelque idée ;

Tant la nature même, en toute nation,

Grava l’Etre suprême et la religion,

Mais je me flatte en vain qu’aucun respect les touche ;

La crainte est dans mon cœur, et l’espoir dans ma bouche.

Je me meurs…

 

 

1 – Mademoiselle Clairon ayant supprimé ces deux vers, « Vous pouvez être très sûre, lui écrivit Voltaire, que les sanglots n’ont pas d’autre passage que celui de la voix, et si on n’est pas accoutumé à cette expression, il faudra bien qu’on s’y accoutume. » (G.A.)

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

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IDAMÉ, ZAMTI, ASSÉLI.

 

 

 

 

IDAMÉ.

 

Est-ce vous, époux infortuné ?

Notre sort sans retour est-il déterminé ?

Hélas, qu’avez-vous vu ?

 

ZAMTI.

 

Ce que je tremble à dire.

Le malheur est au comble ; il n’est plus cet empire :

Sous le glaive étranger j’ai vu tout abattu.

De quoi nous a servi d’adorer la vertu ?

Nous étions vainement dans une paix profonde,

Et les législateurs et l’exemple du monde ;

Vainement par nos lois l’univers fut instruit :

La sagesse n’est rien ; la force a tout détruit.

J’ai vu de ces brigands la horde hyperborée,

Par des fleuves de sang se frayant une entrée

Sur les corps entassés de nos frères mourants,

Portant partout le glaive et les feux dévorants.

Ils pénètrent en foule à la demeure auguste

Où de tous les humains le plus grand, le plus juste,

D’un front majestueux attendait le trépas.

La reine évanouie était entre ses bras.

De leurs nombreux enfants ceux en qui le courage

Commençait vainement à croître avec leur âge,

Et qui pouvaient mourir les armes à la main,

Etaient déjà tombés sous le fer inhumain.

Il restait près de lui ceux dont la tendre enfance

N’avait que la faiblesse et des pleurs pour défense ;

On les voyait encore autour de lui pressés,

Tremblants à ses genoux qu’ils tenaient embrassés.

J’entre par des détours inconnus au vulgaire ;

J’approche en frémissant de ce malheureux père ;

Je vois ces vils humains, ces monstres des déserts,

A notre auguste maître osant donner des fers,

Traîner dans son palais, d’une main sanguinaire,

Le père, les enfants, et leur mourante mère.

 

IDAMÉ.

 

C’est donc là leur destin ! Quel changement, ô cieux !

 

ZAMTI.

 

Ce prince infortuné tourne vers moi les yeux ;

Il m’appelle, il me dit, dans la langue sacrée,

Du conquérant tartare et du peuple ignorée :

« Conserve au moins le jour au dernier de mes fils ! »

Jugez si mes serments et mon cœur l’ont promis ;

Jugez de mon devoir quelle est la voix pressante.

J’ai senti ranimer ma force languissante ;

J’ai revolé vers vous. Les ravisseurs sanglants

Ont laissé le passage à mes pas chancelants ;

Soit que dans les fureurs de leur horrible joie,

Au pillage acharnés, occupés de leur proie,

Leur superbe mépris ait détourné les yeux ;

Soit que cet ornement d’un ministre des cieux,

Ce symbole sacré du grand dieu que j’adore,

A la férocité puisse imposer encore ;

Soit qu’enfin ce grand dieu, dans ses profonds desseins,

Pour sauver cet enfant qu’il a mis dans mes mains,

Sur leurs yeux vigilants répandant un nuage,

Ait égaré leur vue ou suspendu leur rage.

 

IDAMÉ.

 

Seigneur, il serait temps encor de le sauver :

Qu’il parte avec mon fils ; je les puis enlever :

Ne désespérons point, et préparons leur fuite ;

De notre prompt départ qu’Etan ait la conduite.

Allons vers la Corée, au rivage des mers,

Aux lieux où l’Océan ceint ce triste univers.

La terre a des déserts et des antres sauvages ;

Portons-y ces enfants, tandis que les ravages

N’inondent point encor ces asiles sacrés,

Eloignés du vainqueur et peut-être ignorés.

Allons ; le temps est cher, et la plainte inutile.

 

ZAMTI.

 

Hélas ! le fils des rois n’a pas même un asile !

J’attends les Coréens ; ils viendront, mais trop tard :

Cependant la mort vole au pied de ce rempart.

Saisissons, s’il se peut, le moment favorable

De mettre en sûreté ce gage inviolable.

 

L'ORPHELIN - ACTE I - Partie 1

 

 

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