L'ORPHELIN DE LA CHINE - Partie 4

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L’ORPHELIN DE LA CHINE.

 

 

 

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ACTE DEUXIÈME.

 

 

SCÈNE I.

 

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ZAMTI.

 

 

 

 

ZAMTI.

 

Etan auprès de moi tarde trop à se rendre :

Il faut que je lui parle, et je crains de l’entendre.

Je tremble malgré moi de son fatal retour.

Ô mon fils ! mon cher fils ! as-tu perdu le jour ?

Aura-t-on consommé ce fatal sacrifice ?

Je n’ai pu de ma main te conduire au supplice ;

Je n’en eus pas la force ; en ai-je assez au moins

Pour apprendre l’effet de mes funestes soins ?

En ai-je encore assez pour cacher mes alarmes ?

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

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ZAMTI, ÉTAN.

 

 

 

 

 

ZAMTI.

 

Viens, ami… je t’entends… je sais tout par tes larmes.

 

ÉTAN.

 

Votre malheureux fils…

 

ZAMTI.

 

Arrête, parle-moi

De l’espoir de l’empire, et du fils de mon roi ;

Est-il en sûreté ?

 

ÉTAN.

 

Les tombeaux de ses pères

Cachent à nos tyrans sa vie et ses misères.

Il vous devra des jours pour souffrir commencés ;

Présent fatal, peut-être !

 

ZAMTI.

 

Il vit : c’en est assez.

Ô vous, à qui je rends ces services fidèles,

Ô mes rois ! pardonnez mes larmes paternelles. ;

 

ÉTAN.

 

Osez-vous en ces lieux gémir en liberté ?

 

ZAMTI.

 

Où porter ma douleur et ma calamité ?

Et comment désormais soutenir les approches,

Le désespoir, les cris, les éternels reproches,

Les imprécations d’une mère en fureur ?

Encor, si nous pouvions prolonger son erreur !

 

ÉTAN.

 

On a ravi son fils dans sa fatale absence ;

A nos cruels vainqueurs on conduit son enfance ;

Et soudain j’ai volé pour donner mes secours

Au royal orphelin dont on poursuit les jours.

 

ZAMTI.

 

Ah ! du moins, cher Etan, si tu pouvais lui dire

Que nous avons livré l’héritier de l’empire,

Que j’ai caché mon fils, qu’il est en sûreté !

Imposons quelque temps à sa crédulité.

Hélas ! la vérité si souvent est cruelle !

On l’aime ; et les humains sont malheureux par elle (1).

Allons … Ciel ! elle-même approche de ces lieux ;

La douleur et la mort sont peintes dans ses yeux.

 

 

 

1 – L’abbé Mongault était très vaporeux. Employé dans l’éducation du duc d’Orléans, fils du régent, comme l’abbé Dubois l’avait été dans celle du régent, il n’avait eu qu’une abbaye, et Dubois était devenu cardinal, premier ministre, quoique l’abbé Mongault lui fût supérieur en naissance, en esprit, en lumières et en probité. Il eut la faiblesse d’être malheureux de la destinée du cardinal, et il n’aurait pas voulu, sans doute, l’acheter au même prix. Un jour, on lui demandait ce que c’était que les vapeurs dont il se plaignait : « C’est une terrible maladie, répondit-il, elle fait voir les choses telles qu’elles sont. » C’est dans ce même sens que ces vers de Zamti sont vrais. (K.)

 

 

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

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ZAMTI, IDAMÉ.

 

 

 

 

 

IDAMÉ.

 

Qu’ai-je vu ? Qu’a-t-on f ait ? barbare, est-il possible ?

L’avez-vous commandé ce sacrifice horrible ?

Non, je ne puis le croire ; et le ciel irrité

N’a pas dans votre sein mis tant de cruauté.

Non, vous ne serez point plus dur et plus barbare

Que la li du vainqueur, et le fer du Tartare.

Vous pleurez, malheureux ?

 

ZAMTI.

 

Ah ! pleurez avec moi ;

Mais avec moi songez à sauver votre roi.

 

IDAMÉ.

 

Que j’immole mon fils !

 

ZAMTI.

 

Telle est notre misère :

Vous êtes citoyenne avant que d’être mère.

 

IDAMÉ.

 

Quoi ! sur toi la nature a si peu de pouvoir !

 

ZAMTI.

 

Elle n’en a que trop, mais moins que mon devoir ;

Et je dois plus au sang de mon malheureux maître,

Qu’à cet enfant obscur à qui j’ai donné l’être.

 

IDAMÉ.

 

Non, je ne connais pas cette horrible vertu.

J’ai vu nos murs en cendre, et ce trône abattu ;

J’ai pleuré de nos rois les disgrâces affreuses ;

Mais par quelles fureurs, encor plus douloureuses,

Veux-tu, de ton épouse avançant le trépas,

Livrer le sang d’un fils qu’on ne le demande pas ?

Ces rois ensevelis, disparus dans la poudre,

Sont-ils pour toi des dieux dont tu craignes la foudre ?

A ces dieux impuissants, dans la tombe endormis,

As-tu fait le serment d’assassiner ton fils ?

Hélas ! grands et petits, et sujets et monarques,

Distingués un moment par de frivoles marques,

Egaux par la nature, égaux par le malheur,

Tout mortel est chargé de sa propre douleur ;

Sa peine lui suffit, et, dans ce grand naufrage,

Rassembler nos débris, voilà notre partage.

Où serais-je, grand dieu ! si ma crédulité

Eût tombé dans le piège à mes pas présenté ?

Auprès du fils des rois si j’étais demeurée,

La victime aux bourreaux allait être livrée,

Je cessais d’être mère, et le même couteau

Sur le corps de mon fils me plongeait au tombeau.

Grâces à mon amour, inquiète, troublée,

A ce fatal berceau l’instinct m’a rappelée.

J’ai vu porter mon fils à nos cruels vainqueurs ;

Mes mains l’ont arraché des mains des ravisseurs.

Barbare, ils n’ont point eu ta fermeté cruelle ;

J’en ai chargé soudain cette esclave fidèle

Qui soutient de son lait ses misérables jours,

Ces jours qui périssaient sans moi, sans mon secours ;

J’ai conservé le sang du fils et de la mère,

Et j’ose dire encor de son malheureux père.

 

ZAMTI.

 

Quoi ! mon fils est vivant !

 

IDAMÉ.

 

Oui ? rendez grâces au ciel,

Malgré toi favorable à ton cœur paternel.

Repens-toi.

 

ZAMTI.

 

Dieu des cieux, pardonnez cette joie

Qui se mêle un moment aux pleurs où je me noie !

O ma chère Idamé ! ces moments seront courts :

Vainement de mon fils vous prolongiez les jours ;

Vainement vous cachiez cette fatale offrande :

Si nous ne donnons pas le sang qu’on nous demande,

Nos tyrans soupçonneux seront bientôt vengés ;

Nos citoyens tremblants, avec nous égorgés,

Vont payer de vos soins les efforts inutiles ;

De soldats entourés, nous n’avons plus d’asiles ;

Et mon fils qu’au trépas vous croyez arracher,

A l’œil qui le poursuit ne peut plus se cacher.

Il faut subir son sort.

 

IDAMÉ.

 

Ah ! cher époux, demeure :

Ecoute-moi du moins.

 

ZAMTI.

 

Hélas ! il faut qu’il meure.

 

IDAMÉ.

 

Qu’il meure ! arrête, tremble, et crains mon désespoir ;

Crains sa mère.

 

ZAMTI.

 

Je crains de trahir mon devoir.

Abandonnez le vôtre, abandonnez ma vie

Aux détestables mains d’un conquérant impie.

C’est mon sang qu’à Gengis il vous faut demander.

Allez, il n’aura pas de peine à l’accorder.

Dans le sang d’un époux trempez vos mains perfides ;

Allez : ce jour n’est fait que pour des parricides.

Rendez vains mes serments, sacrifiez nos lois,

Immolez votre époux, et le sang de vos rois.

 

IDAMÉ.

 

De mes rois ! Va ? te dis-je ; ils n’ont rien à prétendre ;

Je ne dois pas mon sang en tribut à leur cendre :

Va, le nom de sujet n’est pas plus saint pour nous

Que ces noms si sacrés et de père et d’époux.

La nature et l’hymen, voilà les lois premières,

Les devoirs, les liens des nations entières ;

Ces lois viennent des dieux ; le reste est des humains (1).

Ne me fais point haïr le sang des souverains :

Oui, sauvons l’orphelin d’un vainqueur homicide ;

Mais ne le sauvons pas au prix d’un parricide ;

Que les jours de mon fils n’achètent point ses jours :

Loin de l’abandonner, je vole à son secours

Je prends pitié de lui ; prends pitié de toi-même,

Je ne menace plus, je tombe à tes genoux.

Ô père infortuné ! cher et cruel époux !

Pour qui j’ai méprisé, tu t’en souviens peut-être,

Ce mortel qu’aujourd’hui le sort a fait ton maître ;

Accorde-moi mon fils, accorde-moi ce sang

Que le plus pur amour a formé dans mon flanc,

Et ne résiste point au cri terrible et tendre

Qu’à tes sens désolés l’amour a fait entendre.

 

ZAMTI.

 

Ah ! c’est trop abuser du charme et du pouvoir

Dont la nature et vous combattez mon devoir.

Trop faible épouse, hélas ! si vous pouviez connaître…

 

IDAMÉ.

 

Je suis faible, oui, pardonne ; une mère doit l’être.

Je n’aurai point de toi ce reproche à souffrir,

Quand il faudra te suivre, et qu’il faudra mourir.

Cher époux, si tu peux au vainqueur sanguinaire,

A la place du fils, sacrifier la mère,

Je suis prête : Idamé ne se plaindra de rien ;

Et mon cœur est encore aussi grand que le tien.

 

ZAMTI.

 

Oui, j’en crois ta vertu.

 

 

 

L'ORPHELIN - ACTE II -Partie 1

 

 

 

1 – On était accoutumé sur notre théâtre à voir des sujets immolés leurs enfants pour sauver ceux de leurs rois, et l’on fut étonné d’entendre dans l’Orphelin le cri de la nature. Zamti ne devait pas sacrifier son fils pour le fils de l’empereur. Un particulier, une nation même n’a pas le droit de livrer un innocent à la mort pour des vues d’utilité politique. Mais Zamti, en immolant son fils unique, faisait, à ce qu’il regardait comme son devoir, le sacrifice le plus grand qu’un homme puisse faire. En sacrifiant un étranger, il n’eût été qu’odieux ; en sacrifiant son fils, il est intéressant quoique injuste. (K.)

 

 

 

 

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