L'ORPHELIN DE LA CHINE - Partie 11

Publié le par loveVoltaire

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L’ORPHELIN DE LA CHINE.

 

 

 

______

 

 

- Partie 2 -

 

 

 

 

 

SCÈNE V.

 

_______

 

ZAMTI, IDAMÉ.

 

 

 

 

IDAMÉ.

 

O toi qui me tiens lieu de ce ciel que j’implore,

Mortel plus respectable et plus grand à mes yeux

Que tous ces conquérants dont l’homme a fait des dieux !

L’horreur de nos destins ne t’est que trop connue ;

La mesure est comblée, et notre heure est venue.

 

ZAMTI.

 

Je le sais.

 

IDAMÉ.

 

C’est en vain que tu voulus deux fois

Sauver le rejeton de nos malheureux rois.

 

ZAMTI.

 

Il n’y faut plus penser, l’espérance est perdue ;

De tes devoirs sacrés tu remplis l’étendue :

Je mourrai consolé.

 

IDAMÉ.

 

Que deviendra mon fils ?

Pardonne encor ce mot à mes sens attendris,

Pardonne à ces soupirs ; ne vois que mon courage.

 

ZAMTI.

 

Nos rois sont au tombeau, tout est dans l’esclavage.

Va, crois-moi, ne plaignons que les infortunés

Qu’à respirer encor le ciel a condamnés.

 

IDAMÉ.

 

La mort la plus honteuse est ce qu’on te prépare.

 

ZAMTI.

 

Sans doute ; et j’attendais les ordres du barbare :

Ils ont tardé longtemps.

 

IDAMÉ.

 

Eh bien ! écoute-moi :

Ne saurons-nous mourir que par l’ordre d’un roi ?

Les taureaux aux autels tombent en sacrifice ;

Les criminels tremblants sont traînés au supplice ;

Les mortels généreux disposent de leur sort (1) :

Pourquoi des mains d’un maître attendre ici la mort ?

L’homme était-il donc né pour tant de dépendance ?

De nos voisins altiers imitons la constance ;

De la nature humaine ils soutiennent les droits,

Vivent libres chez eux, et meurent à leur choix ;

Un affront leur suffit pour sortir de la vie,

Et plus que le néant ils craignent l’infamie.

Le hardi Japonais n’attend pas qu’au cercueil

Un despote insolent le plonge d’un coup d’œil.

Nous avons enseigné ces braves insulaires ;

Apprenons d’eux enfin des vertus nécessaires ;

Sachons mourir comme eux.

 

ZAMTI.

 

Je t’approuve, et je crois

Que le malheur extrême est au-dessus des lois.

J’avais déjà conçu tes desseins magnanimes ;

Mais seuls et désarmés, esclaves et victimes,

Courbés sous nos tyrans, nous attendons leurs coups.

 

IDAMÉ, en tirant un poignard.

 

Tiens, sois libre avec moi ; frappe, et délivre-nous.

 

ZAMTI.

 

Ciel !

 

 

IDAMÉ.

 

Déchire ce sein, ce cœur qu’on déshonore.

J’ai tremblé que ma main, mal affermie encore,

Ne portât sur moi-même un coup mal assuré.

Enfonce dans ce cœur un bras moins égaré :

Immole avec courage une épouse fidèle ;

Tout couvert de mon sang, tombe et meurs auprès d’elle ;

Qu’à mes derniers moments j’embrasse mon époux ;

Que le tyran le voie, et qu’il en soit jaloux.

 

ZAMTI.

 

Grâce au ciel, jusqu’au bout ta vertu persévère ;

Voilà de ton amour la marque la plus chère.

Digne épouse, reçois mes éternels adieux ;

Donne ce glaive, donne, et détourne les yeux.

 

 

IDAMÉ, en lui donnant le poignard.

 

Tiens commence par moi ; tu le dois : tu balances !

 

ZAMTI.

 

Je ne puis.

 

IDAMÉ.

 

Je le veux.

 

ZAMTI.

 

Je frémis.

 

IDAMÉ.

 

Tu m’offenses.

Frappe, et tourne sur toi tes bras ensanglantés.

 

ZAMTI.

 

Eh bien ! imite-moi.

 

IDAMÉ, lui saisissant le bras.

 

Frappe, dis-je…

 

 

 

 

1 – Ce sont les vers que dit Clavières, ex-ministre des finances en 1793, avant de se suicider. (G.A.)

 

 

 

 

 

SCÈNE VI.

 

_______

 

GENGIS, OCTAR, IDAMÉ, ZAMTI, GARDES.

 

 

 

 

GENGIS, accompagné de ses gardes, et désarmant Zamti.

 

Arrêtez,  malheureux !

Ô ciel ! qu’alliez-vous faire ?

 

IDAMÉ.

 

Nous délivrer de toi, finir notre misère,

A tant d’atrocités dérober notre sort.

 

ZAMTI.

 

Veux-tu nous envier jusques à notre mort ?

 

GENGIS.

 

Oui… Dieu, maître des rois, à qui mon cœur s’adresse,

Témoin de mes affronts, témoin de ma faiblesse,

Toi qui a mis à mes pieds tant d’Etat, tant de rois,

Deviendrai-je à la fin digne de mes exploits ?

Tu m’outrages, Zamti ; tu l’emporte encore

Dans un cœur né pour moi, dans un cœur que j’adore,

Ton épouse à mes yeux, victime de sa foi,

Veut mourir de ta main, plutôt que d’être à moi.

Vous apprendrez tous deux à souffrir mon empire,

Peut-être à faire plus.

 

IDAMÉ.

 

Que prétends-tu nous dire ?

 

ZAMTI.

 

Quel est ce nouveau trait de l’inhumanité ?

 

IDAMÉ.

 

D’où vient que notre arrêté n’est pas encore porté ?

 

GENGIS.

 

Il va l’être, madame, et vous allez l’apprendre.

Vous me rendiez justice, et je vais vous la rendre.

A peine dans ces lieux je crois ce que j’ai vu :

Tous deux je vous admire, et vous m’avez vaincu.

Je rougis, sur le trône où m’a mis la victoire,

D’être au-dessous de vous au milieu de ma gloire.

En vain par mes exploits j’ai su me signaler ;

Vous m’avez avili je veux vous égaler.

J’ignorais qu’un mortel pût se dompter lui-même ;

Je l’apprends ; je vous dois cette gloire suprême :

Jouissez de l’honneur d’avoir pu me changer.

Je viens vous réunir ; je viens vous protéger.

Veillez, heureux époux, sur l’innocente vie

De l’enfant de vos rois, que ma main vous confie ;

Par le droit des combats j’en pouvais disposer ;

Je vous remets ce droit, dont j’allais abuser.

Croyez qu’à cet enfant, heureux dans sa misère,

Ainsi qu’à votre fils, je tiendrai lieu de père :

Vous verrez si l’on peut se fier à ma foi.

Je fus un conquérant, vous m’avez fait un roi (1).

 

(à Zamti.)

 

Soyez ici des lois l’interprète suprême,

Rendez leur ministère aussi saint que vous-même ;

Enseignez la raison, la justice et les mœurs.

Que les peuples vaincus gouvernent les vainqueurs,

Que la sagesse règne, et préside au courage ;

Triomphez de la force, elle vous doit hommage :

J’en donnerai l’exemple, et votre souverain

Se soumet à vos lois les armes à la main.

 

IDAMÉ.

 

Ciel ! que viens-je d’entendre ! Hélas ! puis-je vous croire ?

 

ZAMTI.

 

Etes-vous digne enfin, seigneur, de votre gloire ?

Ah ! vous ferez aimer votre joug aux vaincus.

 

IDAMÉ.

 

Qui peut vous inspirer ce dessein ?

 

GENGIS.

 

Vos vertus (2).

 

 

 

L'ORPHELIN DE LA CHINE - ACTE 5 - Partie 2

 

1 – « La conversion de Gengis-kan, imitée de la clémence d’Auguste dit M. Hippolyte Lucas, est malheureusement puérile. Nous croyons que Voltaire juge mieux lorsqu’il dit lui-même : « Gengis, c’est Arlequin poli par l’amour. » C’est plutôt le Cimon de Boccace et de La Fontaine :

 

Cimon aima, puis devint honnête homme. (G.A.)

 

 

2 – « Il m’est impossible de finir plus heureusement, écrivait Voltaire à d’Argental. Lekain aura assez d’esprit pour ne pas dire ce mot comme un compliment. Il le dira après un temps ; il le dira avec un enthousiasme d’attendrissement, et il fera cent fois plus d’effet qu’avec une péroraison inutile. (G.A.)

 

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