L'ORPHELIN DE LA CHINE - Partie 10

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L’ORPHELIN DE LA CHINE.

 

 

 

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ACTE CINQUIÈME.

 

 

SCÈNE I.

 

_______

 

IDAMÉ, ASSÉLI.

 

 

 

 

ASSÉLI.

 

Quoi ! rien n’a résisté : tout a fui sans retour !

Quoi ! je vous vois deux fois sa captive en un jour !

Fallait-il affronter ce conquérant sauvage ?

Sur les faibles mortels il a trop d’avantage.

Une femme, un enfant, des guerriers sans vertu !

Que pouviez-vous, hélas !

 

 

IDAMÉ

 

J’ai fait ce que j’ai dû.

Tremblante pour mon fils, sans force, inanimée,

J’ai porté dans mes bras l’empereur à l’armée.

Son aspect a d’abord animé les soldats :

Mais Gengis a marché ; la mort suivait ses pas (1) :

Et des enfants du Nord la horde ensanglantée

Aux fers dont je sortais m’a soudain rejetée.

C’en est fait.

 

ASSÉLI.

 

Ainsi donc ce malheureux enfant

Retombe entre ses mains, et meurt presque en naissant !

Votre époux avec lui termine sa carrière.

 

IDAMÉ

 

L’un et l’autre bientôt voit son heure dernière.

Si l’arrêt de la mort n’est point porté contre eux,

C’est pour leur préparer des tourments plus affreux.

Mon fils, ce fils si cher, va les suivre peut-être.

Devant ce fier vainqueur il m’a fallu paraître ;

Tout fumant de carnage, il m’a fait appeler,

Pour jouir de mon trouble, et pour mieux m’accabler.

Ses regards inspiraient l’horreur et l’épouvante

Vingt fois il a levé sa main toute sanglante

Sur le fils de mes rois, sur mon fils malheureux.

Je me suis en tremblant jetée au-devant d’eux ;

Toute en pleurs, à ses pieds je me suis prosternée ;

Mais lui me repoussant d’une main forcenée,

La menace à la bouche, et détournant les yeux,

Il est sorti pensif, et rentré furieux ;

Et s’adressant aux siens d’une voix oppressée,

Il leur criait vengeance et changeait de pensée,

Tandis qu’autour de  qui ses barbares soldats

Semblaient lui demander l’ordre de mon trépas.

 

ASSÉLI.

 

Pensez-vous qu’il donnât un ordre si funeste ?

Il laisse vivre encor votre époux qu’il déteste ;

L’orphelin aux bourreaux n’est point abandonné.

Daignez demander grâce, et tout est pardonné.

 

IDAMÉ

 

Non, ce féroce amour est tourné tout en rage.

Ah ! si tu l’avais vu redoubler mon outrage,

M’assurer de sa haine, insulter à mes pleurs !

 

ASSÉLI.

 

Et vous doutez encor d’asservir ses fureurs ?

Ce lion subjugué qui rugit dans sa chaîne,

S’il ne vous aimait pas, parlerait moins de haine.

 

IDAMÉ

 

Qu’il m’aime ou me haïsse, il est temps d’achever

Des jours que sans horreur je ne puis conserver.

 

ASSÉLI.

 

Ah ! que résolvez-vous ?

 

IDAMÉ

 

Quand le ciel en colère

De ceux qu’il persécute a comblé la misère,

Il les soutient souvent dans le sein des douleurs,

Et leur donne un courage égal à leurs malheurs.

J’ai pris, dans l’horreur même où je suis parvenue

Une force nouvelle, à mon cœur inconnue.

Va, je ne craindrai plus ce vainqueur des humains ;

Je dépendrai de moi : mon sort est dans mes mains.

 

ASSÉLI.

 

Mais ce fils, cet objet de crainte et de tendresse,

L’abandonnerez-vous ?

 

IDAMÉ

 

Tu me rends ma faiblesse,

Tu me perces le cœur. Ah ! sacrifice affreux !

Que n’avais-je point fait pour ce fils malheureux !

Mais Gengis, après tout, dans sa grandeur altière,

Environné de rois couchés dans la poussière,

Ne recherchera point un enfant ignoré,

Parmi les malheureux dans la foule égaré ;

Ou peut être il verra d’un regard moins sévère

Cet enfant innocent dont il aima la mère :

A cet espoir au moins mon triste cœur se rend ;

C’est une illusion que j’embrasse en mourant.

Haïr-t-il ma cendre, après m’avoir aimée ?

Dans la nuit de la tombe en serai-je opprimée ?

Poursuivra-t-il mon fils ?

 

 

1 – « Mes Tartares tuent tout, écrivait Voltaire, et j’ai bien peur qu’ils ne fassent pleurer personne. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

SCÈNE II.

 

_______

 

IDAMÉ, ASSÉLI, OCTAR.

 

 

 

 

OCTAR.

 

Idamé, demeurez :

Attendez l’empereur en ces lieux retirés.

 

(à sa suite.)

 

Veillez sur ces enfants ; et vous à cette porte,

Tartares, empêchez qu’aucun n’entre et ne sorte.

 

(A Asséli.)

 

Eloignez-vous.

 

IDAMÉ.

 

Seigneur, il veut encor me voir !

J’obéis, il le faut, je cède à son pouvoir.

Si j’obtenais du moins, avant de voir un maître,

Qu’un moment à mes yeux mon époux pût paraître,

Peut-être du vainqueur les esprits ramenés

Rendraient enfin justice à deux infortunés.

Je sens que je hasarde une prière vaine :

La victoire est chez vous implacable, inhumaine ;

Mais enfin la pitié, seigneur, en vos climats,

Est-elle un sentiment qu’on ne connaisse pas ?

Et ne puis-je implorer votre voix favorable ?

 

OCTAR.

 

Quand l’arrêt est porté, qui conseille est coupable.

Vous n’êtes plus ici sous vos antiques rois,

Qui laissaient désarmer la rigueur de leurs lois.

D’autres temps, d’autres mœurs : ici règnent les armes ;

Nous ne connaissons point les prières, les larmes.

On commande, et la terre écoute avec terreur.

Demeurez, attendez, l’ordre de l’empereur.

 

 

 

 

 

SCÈNE III.

 

_______

 

IDAMÉ.

 

 

 

 

IDAMÉ.

 

Dieu des infortunés, qui voyez mon outrage,

Dans ces extrémités soutenez mon courage ;

Versez du haut des cieux, dans ce cœur consterné,

Les vertus de l’époux que vous m’avez donné.

 

 

 

 

 

SCÈNE IV.

 

_______

 

GENGIS,IDAMÉ.

 

 

 

 

GENGIS.

 

Non, je n’ai point assez déployé ma colère,

Assez humilié votre orgueil téméraire,

Assez fait de reproche aux infidélités

Dont votre ingratitude a payé mes bontés.

Vous n’avez pas conçu l’excès de votre crime,

Ni tout votre danger, ni l’horreur qui m’anime,

Vous, que j’avais aimée, et que je dus haïr ;

Vous, qui me trahissiez, et que je dois punir.

 

IDAMÉ.

 

Ne punissez que moi, c’est la grâce dernière

Que j’ose demander à la main meurtrière

Dont j’espérais en vain fléchir la cruauté.

Eteignez dans mon sang votre inhumanité.

Vengez-vous d’une femme à son devoir fidèle,

Finissez ses tourments.

 

GENGIS.

 

Je ne le puis, cruelle ;

Les miens sont plus affreux, je les veux terminer.

Je viens pour vous punir, je puis tout pardonner.

Moi, pardonner ! à vous ! non, craignez ma vengeance :

Je tiens le fils des rois, le vôtre, en ma puissance.

De votre indigne époux je ne vous parle pas ;

Depuis que vous l’aimez, je lui dois le trépas :

Il me trahit, me brave, il ose être rebelle.

Mille morts punissaient sa fraude criminelle :

Vous retenez mon bras, et j’en suis indigné ;

Oui, jusqu’à ce moment, le traître est épargné.

Mais je ne prétends plus supplier ma captive.

Il le faut oublier, si vous voulez qu’il vive.

Rien n’excuse à présent votre cœur obstiné :

Il n’est plus votre époux, puisqu’il est condamné ;

Il a péri pour vous : votre chaîne odieuse

 

Va se rompre à jamais par une mort honteuse.

C’est vous qui m’y forcez ; et je ne conçois pas

Le scrupule insensé qui le livre au trépas.

Tout couvert de son sang, je devais, sur sa cendre,

A mes vœux absolus vous forcer de vous rendre ;

Mais sachez qu’un Barbare ; un Scythe ? un destructeur,

A quelques sentiments dignes de votre cœur.

Le destin, croyez-moi, nous devait l’un à l’autre ;

Et mon âme à l’orgueil de régner sur la vôtre.

Abjurez votre hymen, et, dans le même temps,

Je place votre fils au rang de mes enfants.

Vous tenez dans vos mains plus d’une destinée ;

Du rejeton des rois l’enfance condamnée,

Votre époux qu’à la mort un mot peut arracher,

Les honneurs les plus hauts tout prêts à le chercher,

Le destin de son fils, le votre, le mien même,

Tout dépendra de vous, puisque enfin je vous aime.

Oui, je vous aime encor ; mais ne présumez pas

D’armer contre mes vœux l’orgueil de vos appas ;

Gardez-vous d’insulter à l’excès de faiblesse

Que déjà mon courroux reproche à ma tendresse.

C’est un danger pour vous que l’aveu que je fais

Tremblez de mon amour, tremblez de mes bienfaits.

Mon âme à la vengeance est trop accoutumée ;

Et je vous punirais de vous avoir aimée.

Pardonnez : je menace encore en soupirant ;

Achevez d’adoucir ce courroux qui se rend :

Vous ferez d’un seul mot le sort de cet empire ;

Mais ce mot important, madame, il faut le dire :

Prononcez sans tarder, sans feinte, sans détour,

Si je vous dois enfin ma haine ou mon amour.

 

IDAMÉ.

 

L’une et l’autre aujourd’hui serait trop condamnable ;

Votre haine est injuste, et votre amour coupable ;

Cet amour est indigne et de vous et de moi :

Vous me devez justice ; et si vous êtes roi,

Je la veux, je l’attends pour moi contre vous-même.

Je suis loin de braver votre grandeur suprême ;

Je la rappelle en vous, lorsque vous l’oubliez ;

Et vous-même en secret vous me justifiez.

 

GENGIS.

 

Eh bien ! vous le voulez ; vous choisissez ma haine ;

Vous l’aurez ; et déjà je la retiens à peine :

Je ne vous connais plus ; et mon juste courroux

Me rend la cruauté que j’oubliais pour vous.

Votre époux, votre prince, et votre fils, cruelle,

Vont payer de leur sang votre fierté rebelle.

Ce mot que je voulais les a tous condamnés ;

C’en est fait, et c’est vous qui les assassinez.

 

IDAMÉ.

 

Barbare !

 

 

GENGIS.

 

Je le suis ; j’allais cesser de l’être :

Vous aviez un amant, vous n’avez plus qu’un maître,

Un ennemi sanglant, féroce, sans pitié,

Dont la haine est égale à votre inimitié.

 

IDAMÉ.

 

Eh bien ! je tombe aux pieds de ce maître sévère :

Le ciel l’a fait mon roi ; seigneur, je le révère :

Je demande à genoux une grâce de lui.

 

GENGIS.

 

Inhumaine, est-ce à vous d’en attendre aujourd’hui ?

Levez-vous : je suis prêt encore à vous entendre.

Pourrai-je me flatter d’un sentiment plus tendre ?

Que voulez-vous ? Parlez.

 

 

IDAMÉ.

 

Seigneur ? qu’il soit permis

Qu’en secret mon époux près de moi soit admis,

Que je lui parle.

 

GENGIS.

 

Vous !

 

IDAMÉ.

 

Ecoutez ma prière,

Cet entretien sera ma ressource dernière ;

Vous jugerez après si j’ai dû résister.

 

GENGIS.

 

Non, ce n’était pas lui qu’il fallait consulter :

Mais je veux bien encor souffrir cette entrevue.

Je crois qu’à la raison son âme enfin rendue

N’osera plus prétendre à cet honneur fatal

De me désobéir, et d’être mon rival.

Il m’enleva son prince, il vous a possédée.

Que de crimes ! Sa grâce est encore accordée :

Qu’il la tienne de vous, qu’il vous doive son sort ;

Présentez à ses yeux le divorce ou la mort :

Oui, j’y consens. Octar, veillez à cette porte.

Vous, suivez-moi. Quel soin m’abaisse et me transporte !

Faut-il encore aimer ? est-ce là mon destin ?

 

(Il sort.)

 

 

IDAMÉ.

 

Je renais, et je sens s’affermir dans mon sein

Cette intrépidité dont je doutais encore.

 

 

 

 

L'ORPHELIN DE LA CHINE - ACTE 5 - Partie 1

 

 

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