FACÉTIE - Petit avis à un jésuite
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PETIT AVIS A UN JÉSUITE.
– 1762 –
[ « Les jésuites, après s’être laissé chasser comme des capucins, disent les éditeurs de Kehl, écrivirent contre les parlements de gros volumes d’injures que personne ne put lire ; ensuite ils se mirent à prêcher contre les philosophes, à écrire contre eux des mandements, des dictionnaires, des brochures, ce qui leur valut un peu d’argent, et l’honneur de dîner à la table des valets de chambre de l’archevêque de Paris, Beaumont, qui, se souvenant qu’il était gentilhomme avant d’être prêtre, ne mangeait point avec des prêtres roturiers. ».] (G.A.)
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Il vient de paraître une petite brochure édifiante d’un frère de la troupe de Jésus, intitulée : Acceptation du défi hasardé par l’auteur des Répliques aux Apologie des jésuites. A Avignon, aux dépens des libraires.
Il traite le respectable et savant auteur de ces répliques (1) de faiseur de libelles. Le prétendu libelle que le frère de la troupe de Jésus attaque est un ouvrage très solide et très lumineux d’un conseiller au parlement de Paris, et ce prétendu libelle ne contient rien dont la substance ne se retrouve dans les arrêts des parlements qui ont condamné les jésuites. On cherche d’ordinaire à fléchir ses juges ; mais notre frère leur parle comme s’ils étaient sur la sellette, et lui sur le grand banc.
Notre frère (page 5), appelle le conseiller Médée, Don Quichotte, Goliath, Miphiboseth, Esope. Il est difficile qu’un conseiller au parlement soit tout cela ensemble ; notre frère prodigue un peu les épithètes.
Il dit (page 6) : Loin de moi ces grossièretés indécentes, ces injures audacieuses ! Notre frère n’a pas de mémoire.
Il prend (page 8) le parti de Suarez, de Vasquez, de Lessius, etc., etc. Notre frère n’est pas adroit.
Il prétend (page 15) que ceux qui condamnent les jésuites détestent le ciel : « Oui, le ciel, dit-il, qui a signalé par des miracles la sainteté de quelques jésuites. » Je voudrais bien, mon cher frère, que tu nous disses quels sont ces miracles. Jésus a nourri une fois cinq mille hommes avec cinq pains, etc., comme il est rapporté ; et frère La Valette (2) a ôté le pain à près de cinq mille personnes par sa banqueroute ; sont-ce là les miracles dont tu veux parler ?
Frère Bouhours, dans la première édition de la Vie du bon homme Ignace, écrit que ce grand homme, après s’être fait fesser au collège de Sainte-Barbe, alla se confesser à un habitué de paroisse. Le confesseur, émerveillé de la sainteté du personnage, s’écria : « O mon Dieu, que ne puis-je écrire la Vie de ce saint ! » Ignace, qui entendit ces paroles, et qui était fort malade, craignit qu’en effet son confesseur ne trahît sa modestie après sa mort ; il pria le bon Dieu de faire mourir l’habitué le plus tôt que faire se pourrait, et le pauvre diable mourut d’apoplexie.
Le même frère Bouhours assure, dans la Vie de frère François Xavier, qu’un jour son crucifix étant tombé dans la mer, un cancre vint le lui rapporter (3).
Le même Bouhours assure que frère Xavier était dans deux endroits à la fois : et comme cela n’appartient qu’à l’eucharistie, le trait m’a paru gaillard.
De quoi t’avises-tu, frère, de parler (page 57) de frère Malagrida, et de dire que la marquise de Tavora lui apparut plusieurs fois après son exécution ? Est-ce encore là un de tes miracles ?
Tu conviens (page 71) que plusieurs jésuites ont enseigné la doctrine du parricide, et, pour les disculper, tu prouves qu’ils ont pris cette doctrine dans saint Thomas d’Aquin, quoique grands ennemis de Thomas, et que plus de vingt jacobins ont précédé les jésuites dans cette charitable doctrine : que veux-tu inférer de là ; que la Somme de Thomas est un fort mauvais livre et qu’il faut chasser les jacobins comme les jésuites ? On pourra te répondre, Très volontiers : lis attentivement l’excellent discours de M. le procureur général de Rennes (4), tu verras à quoi sont bons la plupart des moines dans un Etat policé.
Tu ne passes pas Jacques Clément et Bourgoin aux jacobins ; mais songe que les jacobins ne te passeront pas frère Guignard, frère Varade, frère Garnet, frère Oldcor, frère Girard, frère Malagrida, etc., etc. On disait que les jésuites étaient de grands politiques ; mais tu ne me parais pas trop habile en attaquant à la fois les moines tes confrères, et les parlements tes juges.
Quand nous aurons le bonheur de voir en France quelque nouveau Letellier qui fera une constitution, qui l’enverra signer à Rome, qui trompera son pénitent, qui recevra les évêques dans son antichambre, qui prodiguera les lettres de cachet, tu pourras alors écrire hardiment, et te livrer à son beau génie : mais à présent les temps sont changés ; ce n’est pas le tout d’être chassé, mon frère, il faut encore être modeste.
1 – L’abbé Chauvelin, ami de Voltaire. (G.A.)
2 – Voyez le chapitre LXVIII de l’Histoire du Parlement. (G.A.)
3 – Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article XAVIER.
4 – La Chalotais. Voyez la CORRESPONDANCE à cette époque. (G.A.)