FACETIE : Histoire du docteur AKAKIA - Partie 4

Publié le par loveVoltaire

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HISTOIRE DU DOCTEUR AKAKIA

 

 

ET DU NATIF DE SAINT-MALO.

 

 

 

 

 

  PARTIE 4 

 

 

______

 

 

 

 

 

 

LETTRE DE M. LE PRÉSIDENT A SON MÉDECIN AKAKIA  (1).

 

 

 

Je vous déclare que ma santé est assez bonne pour vous venir trouver partout où vous serez, pour tirer de vous la vengeance la plus complète. Rendez grâces au respect et à l’obéissance qui ont jusqu’ici retenu mon bras. Tremblez.

 

Signé : MAUPERTUIS (2).

 

 

 

Depuis feu M. de Pourceaugnac, qui voulait voir son médecin l’épée à la main, il ne s’était jamais trouvé de si méchant malade. Le docteur Akakia, tout épouvanté, eut recours à l’université de Leipsick, et lui présenta la requête ci-jointe

 

 

« Le docteur Akakia, réfugié dans l’université de Leipsick, où il a cherché un asile contre les attentats d’un Lapon natif de Saint-Malo, qui veut absolument le venir assassiner dans les bras de ladite université, supplie instamment messieurs les docteurs et écoliers de s’armer contre ce barbare de leurs écritoires et canifs. Il s’adresse particulièrement à ses confrères ; il espère qu’ils purgeront ledit sauvage dès qu’il paraîtra, qu’ils évacueront toutes ses humeurs peccantes, et qu’ils conserveront, par leur art, ce qui peut rester de raison à ce cruel Lapon, et de vie à leur confrère le bon Akakia, qui se recommande à leurs soins. Il prie messieurs les apothicaires de ne le pas oublier en cette occasion. »

 

 

 

En vertu de cette requête, l’université donna un décret, par lequel le natif de Saint-Malo devrait être arrêté aux portes de la ville, lorsqu’il viendrait pour exécuter son dessein parricide contre le bon Akakia, qui lui avait servi de père.

 

Voici les ordres précis de l’université, tels qu’on les trouvera dans les Acta eruditorum (3).

 

 

 

 

 

EXTRAIT DU JOURNAL DE LEIPSICK, INTITULÉ :

 

DER HOFMFISTER(4).

 

 

 

 

Un quidam ayant écrit une lettre à un habitant de Leipsick, par laquelle il menace ledit habitant de l’assassiner, et les assassinats étant visiblement contraires aux privilèges de la Foire, on prie tous et un chacun de donner connaissance dudit quidam, quand il se présentera aux portes de Leipsick. C’est un philosophe qui marche en raison composée de l’air distrait et de l’air précipité, l’œil rond et petit, et la perruque de même, le nez écrasé, la physionomie mauvaise, ayant le visage plein et l’esprit plein de lui-même, portant toujours scalpel en poche pour disséquer les gens de haute taille. Ceux qui en donneront connaissance auront mille ducats de récompense assignés sur les fonds de la ville latine que ledit quidam fait bâtir, ou sur la première comète d’or et de diamant qui doit tomber incessamment sur la terre, selon les prédictions dudit quidam philosophe et assassin.

 

Cependant le médecin Akakia ne différa pas à faire réponse à son malade, et il tâcha encore de lui remettre l’esprit par cette lettre aimable (5).

 

 

 

 

 

LETTRE DU DOCTEUR AKAKIA AU NATIF DE SAINT-MALO.

 

 

 

M. LE PRÉSIDENT,

 

 

J’ai reçu la lettre dont vous m’honorez. Vous m’apprenez que vous vous portez bien, que vos forces sont entièrement revenues, et vous me menacez de venir m’assassiner si je publie la lettre de La Beaumelle (6). Quelle ingratitude envers votre pauvre médecin Akakia ! Vous ne vous contentez pas d’ordonner qu’on ne paie point son médecin, vous voulez le tuer ! Ce procédé n’est ni d’un président d’académie ni d’un bon chrétien, tel que vous êtes. Je vous fais mon compliment sur votre bonne santé ; mais je n’ai pas tant de forces que vous. Je suis au lit depuis quinze jours, et je vous prie de différer la petite expérience de physique que vous voulez faire. Vous voulez peut-être me disséquer ; mais songez que je ne suis pas un géant des terres Australes, et que mon cerveau est si petit, que la découverte de ses fibres ne vous donnera aucune nouvelle notion de l’âme. De plus, si vous me tuez, ayez la bonté de vous souvenir que M. de La Beaumelle m’a promis de me poursuivre jusqu’aux enfers ; il ne manquera pas de m’y aller chercher : quoique le trou qu’on doit creuser par votre ordre jusqu’au centre de la terre, et qui doit mener tout droit en enfer, ne soit pas encore commencé, il y a d’autres moyens d’y aller, et il se trouvera que je serai malmené dans l’autre monde, comme vous m’avez persécuté dans celui-ci. Voudriez-vous, monsieur, pousser l’animosité si loin ?

 

Ayez encore la bonté de faire une petite attention : pour peu que vous vouliez exalter votre âme pour voir clairement l’avenir, vous verrez que si vous venez m’assassiner à Leipsick, où vous n’êtes pas plus aimé qu’ailleurs, et où votre lettre est déposée, vous courez quelque risque d’être pendu, ce qui avancerait trop le moment de votre maturité, et serait peu convenable à un président d’académie. Je vous conseille de faire d’abord déclarer la lettre de La Beaumelle forgée et attentatoire à votre gloire, dans une de vos assemblées ; après quoi il vous sera plus permis, peut-être, de me tuer comme perturbateur de votre amour-propre.

 

Au reste, je suis encore bien faible, vous me trouverez au lit, et je ne pourrai que vous jeter à la tête ma seringue et mon pot de chambre ; mais dès que j’aurai un peu de force, je ferai charger mes pistolets cum pulvere pyrio (7) ; et en multipliant la masse par le carré de la vitesse jusqu’à ce que l’action et vous soyez réduits à zéro, je vous mettrai du plomb dans la cervelle ; elle paraît en avoir besoin.

 

Il sera triste pour vous que les Allemands que vous avez tant vilipendés aient inventé la poudre, comme vous devez vous plaindre qu’ils aient inventé l’imprimerie.

 

Adieu, mon cher président.

 

 

AKAKIA.

 

 

 

 

 

POST-SCRIPTUM.

 

 

 

Comme il y a ici cinquante à soixante personnes qui ont pris la liberté de se moquer prodigieusement de vous, elles demandent quel jour vous prétendez les assassiner.

 

‒ On avait espéré que ce dernier cordial pourrait enfin opérer sur l’esprit revêche du natif de Saint-Malo ; qu’il se désisterait de ses expériences cruelles ; qu’il ne persécuterait plus les Suisses ni les Akakia ; qu’il laisserait les Allemands en repos, et qu’il pourrait même un jour, quand il serait parfaitement rétabli, rire des symptômes de sa maladie.

 

Mais le médecin Akakia, en homme prudent, voulut ménager encore la délicatesse du natif de Saint-Malo ; et en s’adressant humblement au secrétaire éternel de l’Académie dudit Malouin, il lui écrivit ainsi (8) :

 

 

 

 

M. LE SECRÉTAIRE ÉTERNEL (9),

 

 

Je vous envoie l’arrêt de mort que le président a prononcé contre moi, avec mon appel au public et les témoignages de protection que m’ont donnés tous les médecins et tous les apothicaires de Leipsick. Vous voyez que M. le président ne se borne pas aux expériences qu’il projette dans les terres Australes, et qu’il veut absolument séparer dans le Nord mon âme d’avec mon corps. C’est la première fois qu’un président a voulu tuer un de ses conseillers. Est-ce là « le principe de la moindre action ? » Quel terrible homme que ce président : Il déclare faussaire à gauche, il assassine à droite, et il prouve Dieu par A plus B, divisé par Z ; franchement on n’a rien vu de pareil. J’ai fait, monsieur, une petite réflexion ; c’est que, quand le président m’aura tué, disséqué et enterré, il faudra faire mon éloge à l’Académie, selon la louable coutume. Si c’est lui qui s’en charge, il ne sera pas peu embarrassé. On sait comme il l’a été avec feu M. le maréchal Schmettau, auquel il avait fait quelque peine pendant sa vie. Si c’est vous, monsieur, qui faites mon oraison funèbre, vous y serez tout aussi empêché qu’un autre. Vous êtes prêtre, et je suis profane ; vous êtes calviniste, et je suis papiste ; vous êtes auteur, et je le suis aussi ; vous vous portez bien, et je suis médecin. Ainsi, monsieur, pour esquiver l’oraison funèbre, et pour mettre tout le monde à son aise, laissez-moi mourir de la main cruelle du président, et rayez-moi du nombre de vos élus. Vous sentez bien d’ailleurs qu’étant condamné à mort par son arrêt, je dois être préalablement dégradé. Retranchez-moi donc, monsieur, de votre liste ; mettez-moi avec le faussaire Koenig, qui a eu le malheur d’avoir raison. J’attendrai patiemment la mort avec ce coupable.

 

 

.…….. Pariterque jacentes

Ignovere diis.(Phars. III.)

 

 

Je suis métaphysiquement, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

 

AKAKIA

 

 

 

  DOCTEUR AKAKIA - 4 

 

1 – Cette lettre et la réponse parurent sous le titre de : L’Art de bien argumenter en philosophie, réduit en pratique par un vieux capitaine de cavalerie travesti en philosophe, 1753 ; et avec cet avertissement : « Le public peut compter sur l’authenticité de ces lettres ; on est en état d’en produire les originaux. » (G.A.)

 

2 – Ce n’est là qu’un extrait de la lettre de Maupertuis. Le mot « tremblez » est ajouté. (G.A.)

 

3 – Célèbre publication scientifique. (G.A.)

 

4 – Le Gouverneur. (G.A.)

 

5 – Les cinq alinéas précédents furent ajoutés dans l’Histoire du docteur Akakia. (G.A.)

 

6 – Voyez, dans la CORRESPONDANCE, les lettres de Voltaire à Roques, en 1753. (G.A.)

 

7 – Poudre à canon. (G.A.)

 

8 – Soudure. (G.A.)

 

9 – Formey. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

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