EPITRE : Portrait de la Marquise du Châtelet

Publié le par loveVoltaire


    

PORTRAIT

DE LA MARQUISE DU CHATELET

 

 

1735

 

 

 

 

 

Vous voulez de notre Emilie

Que je fasse un portrait charmant :

Est-ce la nature embellie

Par l’art, l’esprit ou l’agrément ?

La ressemblance est impossible,

La belle change à tout moment ;

De peur de paraître sensible,

Elle raille le sentiment

Avec la beauté  de Lesbie,

Avec la grâce de Ninon,

On pourrait faire une Emilie :

Il faudrait l’âme de Newton.

C’est Pallas traversant Cythère

Avec la majesté des dieux ;

Elle a des appas pour la terre,

Elle a des ailes pour les cieux.

Sachez que cette âme rebelle

Mesure le ciel au compas,

Et parcourt mieux que Fontenelle

Les mondes qu’on ne connaît pas.

Cette belle âme est une étoffe

Qu’elle brode en mille façons ;

Son esprit est un philosophe,

Mais elle aime un peu les pompons.

Quiconque est dans sa comédie

Y perd son grec et son latin ;

Elle étudie, elle étudie,

L’amour n’est qu’un entracte vain.

L’aurore à l’étude l’appelle,

Déjà son creuset est au feu.

Mais le soir on revoit la belle

Qui se prend de fureur au jeu.

Elle a de beaux yeux d’où s’élance

Un regard profond ou moqueur ;

Une bouche dont le silence

Est éloquent et parle au cœur.

Un bouquet orne son corsage.

Ici ce qu’on montre est divin ;

Ce qu’on cache… je suis un sage…

Le pinceau me brûle la main.

Je ne peins pas la beauté nue,

De peur, nouveau Pygmalion,

D’être amoureux de ma statue

Et de tourner comme Ixion.

L’amour ! J’ai vu de près la Parque,

Et je n’aime plus qu’à moitié,

Je n’aventure plus ma barque

Qu’au rivage de l’amitié. (1)

 

 

 

 

1 - Il y a une variante pour la douzième strophe, qui semble d’une autre écriture : 


L’amour, hélas ! C’est un beau thème

Que je ne fais plus qu’à moitié.

Je ne traduis aujourd’hui  j’aime

Que par ce seul mot : amitié.

 

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