EPITRE : Au roi de Prusse - 1756
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AU ROI DE PRUSSE.
(1)
− 1756 −
Ô Salomon du Nord, ô philosophe roi,
Dont l’univers entier contemplait la sagesse !
Les sages, empressés de vivre sous ta loi,
Retrouvaient dans ta cour l’oracle de la Grèce :
La terre en t’admirant se baissait devant toi ;
Et Berlin, à ta voix sortant de la poussière,
A l’égal de Paris levait sa tête altière,
A l’ombre des lauriers moissonnés à Molvitz.
Appelés sur tes bords des rives de la Seine,
Les arts encouragés défrichaient ton pays ;
Transplantés par leurs soins, cultivés et nourris,
Le palmier du Parnasse et l’olive d’Athène
S’élevaient sous tes yeux enfantés et surpris ;
La Chicane à tes pieds avait mordu l’arène,
Et ce monstre, chassé du palais de Thémis,
Du timide orphelin n’excitait plus les cris.
Ton bras avait dompté le démon de la guerre ;
Son temple était fermé, tes Etats agrandis,
Et tu mettais Bourbon au rang de tes amis.
Mais parjure à la France, ami de l’Angleterre,
Que deviendront les fruits de tes nobles travaux ?
L’Europe retentit du bruit de ton tonnerre ;
Ta main de la Discorde allume les flambeaux ;
Les champs sont hérissés de tes fières cohortes,
Et déjà de Leipsick tu vas briser les portes (2).
Malheureux ! sous tes pas tu creuses des tombeaux.
Tu viens de provoquer deux terribles rivaux.
Le fer est aiguisé, la flamme est toute prête,
Et la foudre en éclats va tomber sur la tête.
Tu vécus trop d’un jour, monarque infortuné !
Tu perds en un instant ta fortune et ta gloire ;
Tu n’es plus ce héros, ce sage couronné,
Entouré des beaux-arts, suivi de la victoire !
Je ne vois plus en toi qu’un guerrier effréné,
Qui, la flamme à la main, se frayant un passage,
Désole les cités, les pille, les ravage,
Foule les droits sacrés des peuples et des rois,
Offense la nature, et fait taire les lois.
[On trouvera les vers sur le portrait de dom Calmet dans la lettre à dom Fangé, du 20 novembre 1757 ; ceux que Voltaire fit pour le portrait du duc de Rohan sont dans la lettre au baron de Zurlauben du mois de mars 1758 et ceux qui furent adressés à la duchesse d’Orléans, sur une énigme inintelligible figurent dans une lettre à Thieriot, du 8 mai 1758.] (G.A.)
1 – Ils étaient encore brouillés. (G.A.)
2 – Il s’en empara soudain le 29 Août 1756. (G.A.)