EPITRE : A Madame la duchesse du Maine

Publié le par loveVoltaire

A-MME-LA-DUCHESSE-DU-MAINE---1747.jpg

 

Photo de PAPAPOUSS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A S.S. MADAME LA DUCHESSE DU MAINE,

 

SUR LA VICTOIRE REMPORTÉE PAR LE ROI A LAWFELT.

 

 

 

 

(1)

 

 

 

  1747 

 

 

 

Auguste fille et mère de héros,

Vous ranimez ma voix faible et cassée,

Et vous voulez que ma muse lassée

Comme Louis ignore le repos.

D’un crayon vrai vous m’ordonnez de peindre

Son cœur modeste et ses brillants exploits,

Et Cumberland, que l’on a vu deux fois

Chercher ce roi, l’admirer, et le craindre.

Mais des bons vers l’heureux temps est passé :

L’art des combats est l’art où l’on excelle.

Notre Alexandre en vain cherche un Apelle :

Louis s’élève, et le siècle est baissé.

De Fontenoy le nom plein d’harmonie

Pouvait au moins seconder le génie.

Boileau pâlit au seul nom de Voërden (2).

Que dirait-il si, non loin d’Helderen,

Il eût fallut suivre entre les deux Nèthes

Bathiany, si savant en retraites,

Avec d’Estrées à Rosmal s’avancer ?

La Gloire parle, et Louis me réveille ;

Le nom du roi charme toujours l’oreille ;

Mais que Lawfelt est rude à prononcer !

Et quel besoin de nos panégyriques,

Discours en vers, épîtres héroïques,

Enregistrés, visés par Crébillon (3),

Signés Marville (4), et jamais Apollon ?

 

De votre fils je connais l’indulgence ;

Il recevra sans courroux mon encens ;

Car la Bonté, la sœur de la Vaillance,

De vos aïeux passa dans vos enfants.

Mais tout lecteur n’est pas si débonnaire ;

Et si j’avais, peut-être téméraire,

Représenté vos fiers carabiniers

Donnant l’exemple aux plus braves guerriers ;

Si je peignais ce soutien de nos armes,

Ce petit-fils, ce rival de Condé ;

Du dieu des vers si j’étais secondé,

Comme il le fut par le dieu des alarmes,

Plus d’un censeur, encore avec dépit,

M’accuserait d’en avoir trop peu dit.

Très peu de gré, mille traits de satire,

Sont le loyer de quiconque ose écrire :

Mais pour son prince il faut savoir souffrir ;

Il est pourtant des risques à courir :

Et la censure, avec plus d’injustice,

Va tous les jours acharner sa malice

Sur des héros dont la fidélité

L’a mieux servi que je ne l’ai chanté.

 

         Allons, parlez, ma noble Académie :

Sur vos lauriers êtes-vous endormie ?

Représentez ce conquérant humain

Offrant la paix, le tonnerre à la main.

Ne louez point, auteurs, rendez justice ;

Et, comparant aux siècles reculés

Le siècle heureux, les jours dont vous parlez,

Lisez César, vous connaîtrez Maurice (5).

 

Si de l’Etat vous aimez les vengeurs,

Si la patrie est vivante en vos cœurs,

Voyez ce chef dont l’active prudence

Venge à la fois Gênes, Parme, et la France.

Chantez Belle-Isle : élevez dans vos vers

Un monument au généreux Boufflers ;

Il est du sang qui fut l’appui du trône :

Il eût pu l’être ; et la faux du trépas

Tranche ses jours, échappés à Bellone,

Au sein des murs délivrés par son bras (6).

Mais quelle voix assez forte, assez tendre,

Saura gémir sur l’honorable cendre

De ces héros que Mars priva du jour,

Aux yeux d’un roi, leur père et leur amour ?

O vous surtout, infortuné Bavière,

Jeune Froulay, si digne de nos pleurs,

Qui chantera votre vertu guerrière ?

Sur vos tombeaux qui répandra des fleurs ?

 

Anges des cieux, puissances immortelles,

Qui présidez à nos jours passagers,

Sauvez Lautrec au milieu des dangers :

Mettez Ségur à l’ombre de vos ailes ;

Déjà Rocoux vit déchirer son flanc.

Ayez pitié de cet âge si tendre ;

Ne versez pas le reste de ce sang

Que pour Louis il brûle de répandre (7).

De cent guerriers couronnez les beaux jours :

Ne frappez pas Bonac et d’Aubeterre,

Plus accablés sous de cruels secours

Que sous les coups des foudres de la guerre.

 

Mais, me dit-on, faut-il à tout propos

Donner en vers des listes de héros ?

Sachez qu’en vain l’amour de la patrie

Dicte vos vers au vrai seul consacrés :

On flatte peu ceux qu’on a célébrés ;

On déplaît fort à tous ceux qu’on oublie.

Ainsi toujours le danger suit mes pas ;

Il faut livrer presque autant de combats

Qu’en a causé sur l’onde et sur la terre

Cette balance utile à l’Angleterre.

 

Cessez, cessez, digne sang de Bourbon,

De ranimer mon timide Apollon,

Et laissez-moi tout entier à l’histoire ;

C’est là qu’on peut, sans génie et sans art,

Suivre Louis de l’Escaut jusqu’au Jart.

Je dirai tout, car tout est à sa gloire.

Il fait la mienne, et je me garde bien

De ressembler à ce grand satirique (8),

De son héros discret historien,

Qui, pour écrire un beau panégyrique,

Fut bien payé, mais qui n’écrivit rien.

 

 

A MME LA DUCHESSE DU MAINE - 1747

 

 

 

 

1 – Voyez, pour cette épître, le chapitre XXVI du Précis du Siècle de Louis XV. (G.A.)

 

2 – Voyez l’épître IV de Boileau. (G.A.)

 

3 – M. Crébillon, de l’Académie française, examinateur des écrits en une feuille présentés à la police. (1756.) (Voltaire.)

 

4 – M. Feydeau de Marville, alors lieutenant de police. (1756.) (Voltaire.)

 

5 – Maurice, comte de Saxe. (1756.) (Voltaire.)

 

6 – Il mourut à Gênes de la petite-vérole. (G.A.)

 

7 – M. le marquis de Ségur, ministre de la guerre en 1780 : il avait été dangereusement blessé à Rocoux, et perdit un bras à la bataille de Lawfelt. (K.)

 

8 – Boileau. (1756.) (Voltaire.)

 

 

 

 

Publié dans Epîtres

Commenter cet article