EPITRE : à M. Pigal

Publié le par loveVoltaire


    A M. PIGAL

 

 

  1770 –

 

 

 

 

 

 

Cher Phidias, votre statue (1)

Me fait mille fois trop d’honneur ;

Mais quand votre main s’évertue

A sculpter votre serviteur,

Vous agacez l’esprit railleur

De certain peuple rimailleur,

Qui depuis si longtemps me hue.

L’ami Fréron, ce barbouilleur

D’écrits qu’on jette dans la rue,

Sourdement de sa main crochue

Mutilera votre labeur.

Attendez que le destructeur

Qui nous consume et qui nous tue,

Le Temps, aidé de mon pasteur,

Ait d'un bras exterminateur

Enterré ma tête chenue.

Que ferez-vous d’un pauvre auteur

Dont la taille et le cou de grue,

Et la mine très peu joufflue,

Feront rire le connaisseur ?

Sculptez-nous quelque beauté nue

De qui la chair blanche et dodue

Séduise l’œil du spectateur,

Et qui dans son âme insinue

Ces doux désirs et cette ardeur

Dont Pygmalion le sculpteur,

Votre digne prédécesseur ;

Brûla, si la fable en est crue,

Au marbre il sut donner un cœur,

Cinq sens, instruments du bonheur,

Une âme en ces sens répandue ;

Et, soudain fille devenue,

Cette fille resta pourvue

De doux appas que sa pudeur

Ne dérobait point à la vue :

Même elle fut plus dissolue

Que son père et son créateur,

Que cet exemple si flatteur

Par vos beaux soins se perpétue !

 

 


 

1 – C’est celle qui se trouve aujourd’hui dans la bibliothèque de l’Institut. (G.A.)

Publié dans Epîtres

Commenter cet article