EPITRE : A M. le cardinal Quirini

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A M. LE CARDINAL QUIRINI.

 

 

(1)

 

 

 

Berlin, 1751.

 

 

Quoi ! vous voulez donc que je chante

Ce temple orné par vos bienfaits,

Dont aujourd’hui Berlin se vante !

Je vous admire, et je me tais.

Comment sur les bords de la Sprée,

Dans cette infidèle contrée

Où de Rome on brave les lois,

Pourrai-je élever une voix

A des cardinaux consacrée ?

Eloigné des murs de Sion.

Je gémis en bon catholique.

Hélas ! mon prince est hérétique,

Et n’a point de dévotion.

Je vois avec componction

Que dans l’infernale séquelle

Il sera près de Cicéron,

Et d’Aristide et de Platon,

Ou vis-à-vis de Marc-Aurèle.

On sait que ces esprits fameux

Sont punis dans la nuit profonde ;

Il faut qu’il soit damné comme eux,

Puisqu’il vit comme eux dans ce monde.

Mais surtout que je suis fâché

De le voir toujours entiché

De l’énorme et cruel péché

Que l’on nomme la tolérance !

Pour moi, je frémis quand je pense

Que le musulman, le païen,

Le quakre et le luthérien,

L’enfant de Genève et de Rome,

Chez lui tout est reçu si bien,

Pourvu que l’on soit honnête homme.

Pour comble de méchanceté,

Il a su rendre ridicule

Cette sainte inhumanité,

Cette haine dont sans scrupule

S’arme le dévot entêté,

Et dont se raille l’incrédule.

Que ferai-je, grand cardinal,

Moi chambellan très inutile

D’un prince endurci dans le mal,

Et proscrit dans notre Evangile ?

 

Vous dont le front prédestiné

A nos yeux doublement éclate ;

Vous dont le chapeau d’écarlate

Des lauriers du Pinde est orné ;

Qui, marchant sur les pas d’Horace

Et sur ceux de saint Augustin,

Suivez le raboteux chemin

Du paradis et du Parnasse,

Convertissez ce rare esprit.

C’est à vous d’instruire et de plaire ;

Et la grâce de Jésus-Christ

Chez vous brille en plus d’un écrit,

Avec les trois Grâces d’Homère.

 AU CARDINAL QUIRINI

 

 

 

 

1 – C’est le cardinal bibliothécaire du Vatican, à qui Voltaire avait dédié Sémiramis. (G.A.)

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