EPITRE : A M. de la Faluère de Génonville

Publié le par loveVoltaire

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A M. DE LA FALUÈRE DE GENONVILLE,

 

CONSEILLER AU PARLEMENT, ET INTIME AMI DE L’AUTEUR,

SUR UNE MALADIE

 

 

 

 

 

– 1719 –

 

 

 

 

 

 

 

Ne me soupçonne point de cette vanité

Qu’a notre ami Chaulieu de parler de lui-même,

Et laisse-moi jouir de la douceur extrême

De t’ouvrir avec liberté

Un cœur qui te plaît et qui t’aime.

De ma muse, en mes premiers ans,

Tu vis les tendres fruits imprudemment éclore ;

Tu vis la calomnie avec ses noirs serpents

Des plus beaux jours de mon printemps

Obscurcir la naissante aurore.

D’une injuste prison je subis la rigueur (1) :

Mais au moins de mon malheur

Je sus tirer quelque avantage :

J’appris à m’endurcir contre l’adversité,

Et je me vis un courage

Que je n’attendais pas de la légèreté

Et des erreurs de mon jeune âge.

Dieux ! que n’ai-je eu depuis la même fermeté !

Mais à de moindres alarmes

Mon cœur n’a point résisté.

Tu sais combien l’Amour m’a fait verser de larmes ;

Fripon, tu le sais trop bien,

Toi dont l’amoureuse adresse

M’ôta mon unique bien ;

Toi dont la délicatesse,

Par un sentiment fort humain,

Aima mieux ravir ma maîtresse (2),

Que de la tenir de ma main.

Tu me vis sans scrupule en proie à la tristesse :

Mais je t’aimai toujours tout ingrat et vaurien ;

Je te pardonnai tout avec un chœur chrétien,

Et ma facilité fit grâce à ta faiblesse.

Hélas ! Pourquoi parler encor de mes amours ?

Quelquefois ils ont fait le charme de ma vie :

Aujourd’hui la maladie

En éteint le flambeau peut-être pour toujours.

De mes ans passagers la trame est raccourcie ;

Mes organes lassés sont morts pour les plaisirs ;

Mon cœur est étonné de se voir sans désirs.

Dans cet état il ne me reste

Qu’un assemblage vain de sentiments confus,

Un présent douloureux, un avenir funeste,

Et l’affreux souvenir d’un bonheur qui n’est plus.

Pour comble de malheur, je sens de ma pensée

Se déranger les ressorts ;

Mon esprit m’abandonne, et mon âme éclipsée

Perd en moi de son être, et meurt avant mon corps.

Est-ce là ce rayon de l’essence suprême

Qu’on nous dépeint si lumineux ?

Est-ce là cet esprit survivant à nous-mêmes ?

Il naît avec nos sens, croît, s’affaiblit comme eux :

Hélas ! périrait-il de même ?

Je ne sais ; mais j’ose espérer

Que de la mort, du temps, et des destins le maître,

Dieu conserve pour lui le plus pur de notre être,

Et n’anéantit point ce qu’il daigne éclairer.

 

 

 

 

 

A M. DE LA FALUERE DE GENONVILLE

 

 

1 –Voyez la pièce intitulée la Bastille. (G.A.)

 

2 – Mademoiselle de Livry. (G.A.)

 

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