DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE - X comme XENOPHANES
Photo de PAPAPOUSS
X comme XÉNOPHANES.
Bayle a pris le prétexte de l’article XÉNOPHANES pour faire le panégyrique du diable (1), comme autrefois Simonide, à l’occasion d’un lutteur qui avait remporté le prix à coups de poing aux jeux olympiques, chanta dans une belle ode les louanges de Castor et de Pollux. Mais, au fond, que nous importent les rêveries de Xénophanes ? que saurons-nous en apprenant qu’il regardait la nature comme un être infini, immobile, composé d’une infinité de petits corpuscules, de petites monades douées d’une force motrice, de petites molécules organiques ; qu’il pensait d’ailleurs à peu près comme pensa depuis Spinosa, ou que plutôt il cherchait à penser, et qu’il se contredit plusieurs fois, ce qui était le propre des anciens philosophes ?
Si Anaximène enseigna que l’atmosphère était Dieu ; si Thalès attribua à l’eau la formation de toutes choses, parce que l’Egypte était fécondée par ses inondations ; si Phérécide et Héraclite donnèrent au feu tout ce que Thalès donnait à l’eau, quel bien nous revient-il de toutes ces imaginations chimériques ?
Je veux que Pythagore ait exprimé par des nombres des rapports très mal connus, et qu’il ait cru que la nature avait bâti le monde par des règles d’arithmétique ; je consens qu’Ocellus Lucanus et Empédocle aient tout arrangé par des forces motrices antagonistes : quel fruit en recueillerai-je ? quelle notion claire sera entrée dans mon faible esprit ?
Venez, divin Platon, avec vos idées archétypes, vos androgynes, et votre verbe ; établissez ces belles connaissances en prose poétique dans votre république nouvelle, où je ne prétends pas plus avoir une maison que dans la Salente du Télémaque ; mais au lieu d’être un de vos citoyens, je vous enverrai, pour bâtir votre ville, toute la matière subtile de Descartes, toute sa matière globuleuse et toute sa rameuse, que je vous ferai porter par Cyrano de Bergerac (2).
Bayle a pourtant exercé toute la sagacité de sa dialectique sur vos antiques billevesées ; mais c’est qu’il en tirait toujours parti pour rire des sottises qui leur succédèrent.
Oh philosophes ! les expériences de physique bien constatées, les arts et métiers, voilà la vraie philosophie. Mon sage est le conducteur de mon moulin, lequel pince bien le vent, ramasse mon sac de blé, le verse dans la trémie, le moud également, et fournit à moi et aux miens une nourriture aisée. Mon sage est celui qui avec la navette couvre mes murs de tableaux de laine ou de soie, brillants des plus riches couleurs ; ou bien celui qui met dans ma poche la mesure du temps en cuivre et en or. Mon sage est l’investigateur de l’histoire naturelle. On apprend plus dans les seuls expériences de l’abbé Nollet que dans tous les livres de l’antiquité.
1 – A propos des idées du philosophe grec Xénophanes sur le bien et le mal, Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique, établit que, dans sa lutte contre le Ciel, l’Enfer est presque toujours vainqueur. « Les théologiens, dit-il, nous enseignent qu’un grand nombre d’anges ayant péché ont fait un parti contre Dieu dans l’univers. Afin d’abréger, on désigne ce parti sous le nom de diables ou de démons, et on le reconnaît pour la cause de la chute du premier homme et pour le tentateur et le séducteur du genre humain. »
Depuis ce temps, selon Bayle, « la guerre des deux partis est une suite continuelle, ou presque continuelle, de prospérités du côtés des diables ; et si ce parti rebelle faisait des annales de ses exploits, il n’y aurait point de jour qui n’y fût marqué d’une ample matière de feux de joie, de chants de triomphe. » Bayle montre, l’histoire en main, au bout de 1656 ans, tout le genre humain, à la réserve d’une famille de huit personnes, si engagé dans les intérêts du démon, qu’il fallut l’exterminer à cause de l’énormité de ses crimes. « Et ce déluge, monument formidable de la justice de Dieu, est un monument superbe des victoires du démon, d’autant plus que ce châtiment général ne lui ôta point sa proie ; les âmes de ceux qui périrent dans le déluge furent envoyées aux enfers ; c’est son but et son intention, et par conséquent son triomphe. »
Bayle continue ainsi, avec ce sérieux ironique et cette profondeur de persiflage qui lui sont propres, et conclut en ces termes :
« Ayant inspiré aux hommes infiniment plus de mauvaises actions que Jésus-Christ ne leur en a inspiré de bonnes, il (le diable) a été supérieur pendant le combat ; et comme il fait mourir dans l’impénitence finale presque tous les hommes, il conserve presque tout ce qu’il avait conquis. La mort met fin à la guerre. Jésus-Christ ne combat point pour lui arracher les morts ; il faut donc dire que cette guerre se termine à l’avantage du démon ; on lui cède, on lui abandonne ce qu’il prétendait.
Je sais bien qu’il sera puni de ses victoires éternellement ; mais cela, bien loin d’obscurcir ma thèse, savoir que le mal moral surpasse le bien ne sert qu’à la rendre plus incontestable ; car les démons, au milieu des flammes, maudiront et feront maudire par tous les damnés éternellement le nom de Dieu ; il y aura donc plus de créatures qui le haïront qu’il n’y en aura qui l’aimeront. »