DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : P comme PROPHETIES
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P comme PROPHÉTIES.
SECTION PREMIÈRE.
Ce mot, dans son acception originaire, signifie prédiction de l’avenir. C’est en ce sens que Jésus disait à ses disciples : Il est nécessaire que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les Psaumes, soit accompli. Alors, ajoute l’évangéliste, il leur ouvrit l’esprit, afin qu’ils comprissent les Ecritures.
On sentira la nécessité indispensable d’avoir l’esprit ouvert pour comprendre les prophéties, si l’ont fait attention que les Juifs, qui en étaient les dépositaires, n’ont jamais pu reconnaître Jésus pour le Messie, et qu’il y a dix-huit siècles que nos théologiens disputent avec eux pour fixer le sens de quelques-unes qu’ils tâchent d’appliquer à Jésus. Telles sont, celle de Jacob : Le sceptre ne sera point ôté de Juda, et le chef de sa cuisse, jusqu’à ce que celui qui doit être envoyé vienne. Celle de Moïse : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète comme moi, de votre nation et d’entre vos frères ; c’est lui que vous écouterez. Celle d’Isaïe : Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils qui sera nommé Emmanuel. Celle de Daniel : Soixante et dix semaines ont été abrégés en faveur de votre peuple, etc. Notre objet n’est point d’entrer ici dans ce détail théologique.
Observons seulement qu’il est dit dans les Actes des apôtres, qu’en donnant un successeur à Judas, et dans d’autres occasions, ils se proposaient expressément d’accomplir les prophéties ; mais les apôtres mêmes en citaient quelquefois qui ne se trouvent point dans l’écriture des Juifs ; telle est celle-ci, alléguée par saint Matthieu : Jésus vint demeurer dans une ville appelée Nazareth, afin que cette prédiction des prophètes fût accomplie : Il sera appelé Nazaréen.
Saint Jude, dans son épître, cite aussi une prophétie du livre d’Hénoch qui est apocryphe ; et l’auteur de l’ouvrage imparfait sur saint Matthieu, parlant de l’étoile vue en Orient par les mages, s’exprime en ces termes : On m’a raconté, dit-il, sur le témoignage de je ne sais quelle écriture, qui n’est pas à la vérité authentique, mais qui réjouit la foi bien loin de la détruire, qu’il y a aux bords de l’Océan oriental une nation qui possédait un livre qui porte le nom de Seth, et dans lequel il est parlé de l’étoile qui devait apparaître aux mages, et des présents que les mages devaient offrir au fils de Dieu. Cette nation, instruite par ce livre, choisit douze personnes des plus religieuses d’entre elles, et les chargea du soin d’observer quand l’étoile apparaîtrait. Lorsque quelqu’un d’eux venait à mourir, on lui substituait un de ses fils ou de ses proches. Ils s’appelaient mages dans leur langue, parce qu’ils servaient Dieu dans le silence et à voix basse.
Ces mages allaient donc tous les ans, après la récolte des blés, sur une montagne qui est dans leur pays, qu’ils nomment le mont de la Victoire, et qui est très agréable, à cause des fontaines qui l’arrosent et des arbres qui le couvrent. Il y a aussi un antre creusé dans le roc, et c’est là qu’après s’être lavés et purifiés, ils offraient des sacrifices, et priaient Dieu en silence pendant trois jours.
Ils n’avaient point discontinué cette pieuse pratique depuis un grand nombre de générations, lorsque enfin l’heureuse étoile vint descendre sur leur montagne. On voyait en elle la figure d’un petit enfant, sur lequel il y avait celle d’une croix. Elle leur parla, et leur dit d’aller en Judée. Ils partirent à l’instant, l’étoile marchant toujours devant eux, et ils furent deux années en chemin.
Cette prophétie du livre de Seth ressemble à celle de Zorodascht ou Zoroastre, excepté que la figure que l’on devait voir dans l’étoile était celle d’une jeune fille vierge ; aussi Zoroastre ne dit pas qu’elle aurait une croix sur elle. Cette prophétie, citée dans l’Evangile de l’enfance est rapportée ainsi par Abulpharage : Zoroastre, le maître des Maguséens, instruisit les Perses de la manifestation future de notre Seigneur Jésus-Christ, et leur commanda de lui offrir des présents lorsqu’il serait né. Il les avertit que dans les derniers temps une vierge concevrait sans l’opération d’aucun homme ; et que, lorsqu’elle mettrait au monde son fils, il apparaîtrait une étoile qui luirait en plein jour, au milieu de laquelle ils verraient la figure d’une jeune fille vierge. Ce sera vous, mes enfants, ajouta Zoroastre, qui l’apercevrez avant toutes les nations. Lors donc que vous verrez paraître cette étoile, allez où elle vous conduira. Adorez cet enfant naissant ; offrez-lui vos présents : car c’est le Verbe qui a créé le ciel.
L’accomplissement de cette prophétie est rapporté dans l’Histoire naturelle de Pline ; mais outre que l’apparition de l’étoile aurait précédé la naissance de Jésus d’environ quarante ans, ce passage semble fort suspect aux savants ; et ce ne serait pas le premier ni le seul qui aurait été interpolé en faveur du christianisme. En voici le précis : « Il parut à Rome, pendant sept jours, une comète si brillante, qu’à peine en pouvait-on supporter la vue ; on apercevait au milieu d’elle un dieu sous la forme humaine ; on la prit pour l’âme de Jésus-César qui venait de mourir, et on l’adora dans un temple particulier. »
M. Assemani, dans sa Bibliothèque orientale, parle aussi d’un livre de Salomon, métropolitain de Bassora, intitulé l’Abeille, dans lequel il y a un chapitre sur cette prédiction de Zoroastre. Hornius, qui ne doutait pas de son authenticité, a prétendu que Zoroastre était Balaam, et cela vraisemblablement parce qu’Origène, dans son premier Livre contre Celse, dit que les mages avaient sans doute les prophéties de Balaam, dont on trouve ces paroles dans les Nombres : Une étoile se lèvera de Jacob, et un homme sortira d’Israël. Mais Balaam, n’était pas plus Juif que Zoroastre, puisqu’il dit lui-même qu’il était venu d’Aram, des montagnes d’Orient.
D’ailleurs saint Paul parle expressément à Tite d’un prophète crétois ; et saint Clément d’Alexandrie reconnaît que comme Dieu voulant sauver les Juifs leur donna des prophètes, il suscita de même les plus excellents hommes d’entre les Grecs, ceux qui étaient les plus propres à recevoir ses grâces ; il les sépara des hommes du vulgaire, afin d’être les prophètes des Grecs, et de les instruire dans leur propre langue. Platon, dit-il encore, n’a-t-il pas prédit en quelque manière l’économie salutaire, lorsque, dans son second Livre de la République, il a imité cette parole de l’Ecriture : Défaisons-nous du juste, car il nous incommode, et s’est exprimé en ces termes : Le juste sera battu de verges ; il sera tourmenté ; on lui crèvera les yeux ; et, après avoir souffert toutes sortes de maux, il sera enfin crucifié ?
Saint-Clément aurait pu ajouter que si l’on ne creva pas les yeux à Jésus, malgré cette prophétie de Platon, on ne lui brisa pas non plus les os, quoiqu’il soit dit dans un psaume : Pendant qu’on brise mes os, mes ennemis, qui me persécutent, m’accablent par leurs reproches. Au contraire, saint Jean dit positivement que les soldats rompirent les jambes aux deux autres qui étaient crucifiés avec lui, mais qu’ils ne rompirent point celles de Jésus, afin que cette parole de l’Ecriture fût accomplie : Vous ne briserez aucun de ses os.
Cette écriture, citée par saint Jean, s’entendait à la lettre de l’agneau pascal que devaient manger les Israélites ; mais Jean-Baptiste ayant appelé Jésus l’agneau de Dieu, non-seulement on lui en fit depuis l’application, mais on prétendit même que sa mort avait été prédite par Confucius. Spizeli cite l’Histoire de la Chine par Martini, dans laquelle il est rapporté que l’an 39 du règne de Kingi, des chasseurs tuèrent hors des portes de la ville un animal rare que les Chinois, appellent Kilin, c’est-à-dire agneau de Dieu. A cette nouvelle Confucius frappa sa poitrine, jeta de profonds soupirs, et s’écria plus d’une fois : Kilin, qui est-ce qui a dit que vous étiez venu ? Il ajouta : Ma doctrine tend à sa fin, elle ne sera plus d’aucun usage dès que vous paraîtrez.
On trouve encore une autre prophétie du même Confucius dans son second Livre, laquelle on applique également à Jésus, quoiqu’il n’y soit pas désigné sous le nom d’agneau de Dieu. La voici : On ne doit pas craindre que lorsque le Saint, l’attendu des nations sera venu, on ne rende pas à sa vertu tout l’honneur qui lui est dû. Ses œuvres seront conformes aux lois du ciel et de la terre.
Ces prophéties contradictoires, prises dans les livres des Juifs, semblent excuser leur obstination et peuvent rendre raison de l’embarras de nos théologiens dans leur controverse avec eux. De plus, celles que nous venons de rapporter des autres peuples prouvent que l’auteur des Nombres, les apôtres et les Pères reconnaissent des prophètes chez toutes les nations. C’est ce que prétendent aussi les Arabes, qui comptent cent vingt-quatre mille prophètes depuis la création du monde jusqu’à Mahomet et croient que chacun d’eux a été envoyé à une nation particulière.
Nous parlerons des prophétesses à l’article SIBYLLES.
SECTION II.
Il est encore des prophètes : nous en avions deux à Bicêtre en 1723 ; l’un et l’autre se disaient Elie. On les fouetta, et il n’en fut plus question.
Avant les prophètes des Cévennes, qui tiraient des coups de fusil derrière les haies au nom du Seigneur, en 1704, la Hollande eut le fameux Pierre Jurieu qui publia l’Accomplissement des prophéties. Mais que la Hollande n’en soit pas trop fière. Il était né en France dans une petite ville appelée Mer, de la généralité d’Orléans. Cependant il faut avouer que ce ne fut qu’à Rotterdam que Dieu l’appela à la prophétie.
Ce Jurieu vit clairement, comme bien d’autres, dans l’Apocalypse, que le pape était la bête ; qu’elle tenait poculum aureum plenum abominationum, la coupe d’or pleine d’abominations ; que les quatre premières lettres de ces quatre mots latins formaient le mot papa ; que par conséquent son règne allait finir ; que les Juifs rentreraient dans Jérusalem, qu’ils domineraient sur le monde entier pendant mille ans, après quoi viendrait l’antéchrist ; puis Jésus assis sur une nuée jugerait les vivants et les morts.
Jurieu prophétise expressément que le temps de la grande révolution et de la chute entière du papisme « tombera justement sur l’an 1689, que j’estime, dit-il, être le temps de la vendange apocalyptique ; car les deux témoins ressusciteront en ce temps-là. Après quoi la France doit rompre avec le pape avant la fin du siècle ou au commencement de l’autre, et le reste de l’empire antichrétien s’abolira partout. »
Cette particule disjonctive ou, ce signe du doute n’était pas d’un homme adroit. Il ne faut pas qu’un prophète hésite. Il peut être obscur ; mais il doit être sûr de son fait.
La révolution du papisme n’étant point arrivée en 1689, comme Pierre Jurieu l’avait prédit, il fit faire au plus vite une nouvelle édition où il assura que c’était pour 1690. Et ce qui est étonnant, c’est que cette édition fut suivie immédiatement d’une autre. Il s’en est fallu beaucoup que le Dictionnaire de Bayle ait eu une pareille vogue ; mais l’ouvrage de Bayle est resté, et Pierre Jurieu n’est pas même demeuré dans la Bibliothèque bleue avec Nostradamus.
On n’avait pas alors pour un seul prophète. Un presbytérien anglais, qui étudiait à Utrecht, combattit tout ce que disait Jurieu sur les sept fioles et les sept trompettes de l’Apocalypse, sur le règne de mille ans, sur la conversion des Juifs et même sur l’antéchrist. Chacun s’appuyait de l’autorité de Cocceïus, de Coterus, de Dravicius, de Comenius, grands prophètes précédents, et de la prophétesse Christine. Les deux champions se bornèrent à écrire ; on espérait qu’ils se donneraient des soufflets, comme Sédékia en appliqua un à Michée, en lui disant : « Devine comment l’esprit divin a passé de ma main sur ta joue. » Mot à mot, « comment l’esprit a-t-il passé de moi à toi ? » Le public n’eut pas cette satisfaction, et c’est bien dommage.
SECTION III.
Il n’appartient qu’à l’Eglise infaillible de fixer le véritable sens des prophéties ; car les Juifs ont toujours soutenu avec leur opiniâtreté ordinaire qu’aucune prophétie ne pouvait regarder Jésus-Christ ; et les Pères de l’Eglise ne pouvaient disputer contre eux avec avantage, puisque, hors saint Ephrem, le grand Origène et saint Jérôme, il n’y eut jamais aucun Père de l’Eglise qui sût un mot d’hébreu.
Ce ne fut qu’au neuvième siècle que Raban-le-Maure, depuis évêque de Mayence, apprit la langue juive. Son exemple fut suivi de quelques autres, et alors on commença à disputer avec les rabbins sur le sens des prophéties.
Raban fut étonné des blasphèmes qu’ils prononçaient contre notre Sauveur, l’appelant bâtard, impie, fils de Panther, et disant qu’il n’était pas permis de prier Dieu sans le maudire : « Quod nulla oratio posset apud Deum accpeta esse nisi in ea Dominum nostrum Jesum-Christum maledicant. Confidentes eum esse impium et filium impii, id est, nescio cujus æthnici quem nominant Panthera, a quo dicunt matrem Domini adulteratam. »
Ces horribles profanations se trouvent en plusieurs endroits dans le Talmud, dans les livres du Nizzachon, dans la dispute de Rittangel, dans celles de Jechiel et de Nachmanides, intitulées le Rempart de la Foi, et surtout dans l’abominable ouvrage du Toldos Jeschut.
C’est particulièrement dans le prétendu Rempart de la Foi du rabbin Isaac, que l’on interprète toutes les prophéties qui annoncent Jésus-Christ, en les appliquant à d’autres personnes.
C’est là qu’on assure que la Trinité n’est figurée dans aucun livre hébreu, et qu’on n’y trouve pas la plus légère trace de notre sainte religion. Au contraire, ils allèguent cent endroits qui, selon eux, disent que la loi mosaïque doit durer éternellement.
Le fameux passage qui doit confondre les Juifs et faire triompher la religion chrétienne, de l’aveu de tous nos grands théologiens, est celui d’Isaïe : « Voici : une vierge sera enceinte, elle enfantera un fils, et son nom sera Emmanuel ; il mangera du beurre et du miel jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien … Et avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, la terre que tu as en détestation sera abandonnée de ses deux rois … Et l’Eternel sifflera aux mouches des ruisseaux d’Egypte, et aux abeilles qui sont au pays d’Assur… Et en ce jour-là, la tête et le poil des génitoires, et il achèvera aussi la barbe… Et l’Eternel me dit : Prends un grand rouleau, et y écris avec une touche en gros caractère, qu’on se dépêche de butiner, prenez vite les dépouilles… Donc je pris avec moi de fidèles témoins, savoir Urie le sacrificateur, et Zacharie fils de Jeberecia… Et je couchai avec la prophétesse ; elle conçut et enfanta un enfant mâle ; et l’Eternel me dit : Appelle l’enfant Maher-salal-has-bas. Car avant que l’enfant sache crier mon père et ma mère, on enlèvera la puissance de Damas et le butin de Samarie devant le roi d’Assur. »
Le rabbin Isaac affirme, après tous les autres docteurs de sa loi, que le mot hébreu alma signifie tantôt une vierge, tantôt une femme mariée ; que Ruth est appelée alma lorsqu’elle était mère ; qu’une femme adultère est quelquefois même nommée alma ; qu’il ne s’agit ici que de la femme du prophète Isaïe ; que son fils ne s’appelle point Emmanuel, mais Maher-salal-has-bas ; que quand ce fils mangera du beurre et du miel, les deux rois qui assiègent Jérusalem seront chassés du pays, etc. (1).
Ainsi ces interprètes aveugles de leur propre religion et de leur propre langue combattent contre l’Eglise et disent obstinément que cette prophétie ne peut regarder Jésus-Christ en aucune manière.
On a mille fois réfuté leur explication dans nos langues modernes. On a employé la force, les gibets, les routes, les flammes ; cependant ils ne se rendent pas encore.
« Il a porté nos maladies et il a soutenu nos douleurs, et nous l’avons cru affligé de plaies, frappé de Dieu et affligé. »
Quelque frappante que cette prédiction puisse nous paraître, ces Juifs obstinés disent qu’elle n’a nul rapport avec Jésus-Christ et qu’elle ne peut regarder que les prophètes qui étaient persécutés pour les péchés du peuple.
« Et voilà que mon serviteur prospérera, sera honoré et élevé très haut. »
Ils disent encore que cela ne regarde pas Jésus-Christ, mais David ; que ce roi en effet prospéra, mais que Jésus, qu’ils méconnurent ne prospéra pas.
« Voici que je ferai un nouveau pacte avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda. »
Ils disent que ce passage ne signifie, selon le sens, autre chose sinon, je renouvellerai mon pacte avec Juda et avec Israël. Cependant leur pacte n’a pas été renouvelé ; on ne peut faire un plus mauvais marché que celui qu’ils ont fait. N’importe, ils sont obstinés.
« Et toi, Bethléem d’Ephrata, qui es petite dans les milliers de Juda, il sortira pour toi un dominateur en Israël et sa sortie est depuis le commencement jusqu’au jour d’à jamais. »
Ils osent nier encore que cette prophétie soit pour Jésus-Christ. Ils disent qu’il est évident que Michée parle de quelque capitaine natif de Bethléem, qui remportera quelque avantage à la guerre contre les Babyloniens ; car il parle le moment d’après de l’histoire de Babylone et des sept capitaines qui élurent Darius. Et si on démontre qu’il s’agit du Messie, ils n’en veulent pas convenir.
Ces Juifs se trompent grossièrement sur Juda qui devait être comme un lion, et qui n’a été que comme un âne sous les Perses, sous Alexandre, sous les Séleucides, sous les Ptolémées, sous les Romains, sous les Arabes et sous les Turcs.
Ils ne savent ce qu’ils entendent par le Shilo, et par la verge, et par la cuisse de Juda. La verge n’a été dans Juda qu’un temps très court ; ils disent des pauvretés ; mais l’abbé Houteville n’en dit-il pas beaucoup davantage avec ses phrases, son néologisme et son éloquence de rhéteur, qui met toujours des mots à la place des choses, et qui se propose des objections très difficiles pour n’y répondre que par du verbiage ?
Tout cela est donc peine perdue ; et quand l’abbé François ferait encore un livre plus gros, quand il le joindrait aux cinq ou six mille volumes que nous avons sur cette matière, nous en serions plus fatigués sans avoir avancé d’un seul pas.
On se trouve donc plongé dans un chaos qu’il est impossible à la faiblesse de l’esprit humain de débrouiller jamais. On a besoin, encore une fois, d’une Eglise infaillible qui juge sans appel. Car enfin, si un Chinois, un Tartare, un Africain, réduit au malheur de n’avoir que du bon sens, lisait toutes ces prophéties, il lui serait impossible d’en faire l’application ni à Jésus-Christ, ni aux Juifs, ni à personne. Il serait dans l’étonnement, dans l’incertitude, ne concevrait rien, n’aurait pas une seule idée distincte. Il ne pourrait pas faire un pas dans cet abîme ; il lui faut un guide. Prenons dont l’Eglise pour notre guide, c’est le moyen de cheminer. On arrive avec ce guide non-seulement au sanctuaire de la vérité, mais à de bons canonicats, à de grosses commanderies, à de très opulentes abbayes crossées et mitrées, dont l’abbé est appelé monseigneur par ses moines et par ses paysans, à des évêchés qui vous donnent le titre de prince ; on jouit de la terre, et on est sûr de posséder le ciel en propre.
1 – Voici comment S. Munk traduit et interprète le même passage : Isaïe va trouver Achaz et montre au roi que Pékah et Résin, ses ennemis, ne peuvent inspirer aucune crainte. Il propose à Achaz de demander un signe à Jéhova ; mais Achaz répond avec ironie qu’il ne veut pas éprouver Jéhovah. Et pourtant, réplique alors le prophète irrité, le Seigneur vous donne un signe. Voici, la jeune femme (celle du prophète) est enceinte ; elle enfantera un fils qu’elle appellera Immanouel (Dieu avec nous). On mangera encore de la crème et du miel (dans les pays d’Israël et de Syrie), jusqu’à ce que cet enfant sache repousser ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon ; mais à peine le saura-t-il, que déjà la terre dont tu crains les deux rois sera abandonnée. » Le prophète finit par menacer Achaz d’une invasion des Assyriens et des Egyptiens. ‒ Plus tard, Isaïe, prenant pour témoin le prêtre Uria et un autre personnage appelé Zaccharie, fils de Jéberechia, déclara qu’il nommerait un autre fils que sa femme lui donnerait, Maher-Schalal-Haschbaz hâte-butin, presse-pillage) ; car avant que l’enfant pût dire mon père et ma mère, on aurait emporté devant le roi d’Assyrie la richesse de Damas et le butin de Samarie. (G.A.)