DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : P comme PAUL

Publié le par loveVoltaire

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P comme PAUL.

 

 

 

 

 

 

SECTION PREMIÈRE.

 

 

Question sur Paul.

 

 

 

 

          Paul était-il citoyen romain, comme il s’en vante ? S’il était de Tarsis en Cilicie, Tarsis ne fut colonie romaine que cent ans après lui ; tous les antiquaires en sont d’accord. S’il était de la petite ville ou bourgade de Giscale, comme saint Jérôme l’a cru, cette ville était dans la Galilée ; et certainement les Galiléens n’étaient pas citoyens romains.

 

          Est-il vrai que Paul n’entra dans la société naissante des chrétiens, qui étaient alors demi-juifs, que parce que Gamaliel, dont il avait été le disciple, lui refusa sa fille en mariage ? Il me semble que cette accusation ne se trouve que dans les Actes des apôtres reçus par les ébionites, actes rapportés et réfutés par l’évêque Epiphane, dans son XXXe chapitre.

 

          Est-il vrai que sainte Thècle vint trouver saint Paul déguisée en homme ? et les Actes de sainte Thècle sont-ils recevables ? Tertullien, dans son livre du baptême, chapitre XVII, tient que cette histoire fut écrite par un prêtre attaché à Paul. Jérôme, Cyprien, en réfutant la fable du lion baptisé par sainte Thècle, affirment la vérité de ces Actes. C’est là que se trouve un portrait de saint Paul qui est assez singulier : « Il était gros, court, large d’épaules ; ses sourcils noirs se joignaient sur son nez aquilin, ses jambes étaient crochues, sa tête chauve, et il était rempli de la grâce du Seigneur. »

 

          C’est à peu près ainsi qu’il est dépeint dans le Philopatris de Lucien, à la grâce du Seigneur près, dont Lucien n’avait malheureusement aucune connaissance.

 

          Peut-on excuser Paul d’avoir repris Pierre qui judaïsait, quand lui-même allait judaïser huit jours dans le temple de Jérusalem ?

 

          Lorsque Paul fut traduit devant le gouverneur de Judée par les Juifs, pour avoir introduit des étrangers dans le temple, fit-il bien de dire à ce gouverneur que c’était « pour la résurrection des morts qu’on lui faisait son procès, » tandis qu’il ne s’agissait point de la résurrection des morts ?

 

          Paul fit-il bien de circoncire son disciple Timothée, après avoir écrit aux Galates : « Si vous vous faites circoncire, Jésus ne vous servira de rien ? »

 

          Fit-il bien d’écrire aux Corinthiens, chapitre IX : « N’avons-nous pas le droit de vivre à vos dépens et de mener avec nous une femme ? » Fit-il bien d’écrire aux Corinthiens, dans sa seconde Epître : « Je ne pardonnerai à aucun de ceux qui ont péché, ni aux autres ? » Que penserait-on aujourd’hui d’un homme qui prétendrait vivre à nos dépens lui et sa femme, nous juger, nous punir, et confondre le coupable et l’innocent ?

 

          Qu’entend-on par le ravissement de Paul au troisième ciel ? Qu’est-ce qu’un troisième ciel ?

 

          Quel est enfin le plus vraisemblable (humainement parlant), ou que Paul se soit fait chrétien pour avoir été renversé de son cheval par une grande lumière en plein midi, et qu’une voix céleste lui ait crié : « Saul, saul, pourquoi me persécutes-tu ? » ou bien que Paul ait été irrité contre les pharisiens, soit pour le refus de Gamaliel de lui donner sa fille, soit par quelque autre cause ?

 

          Dans toute autre histoire le refus de Gamaliel ne semblerait-il pas plus naturel qu’une voix céleste, si d’ailleurs nous n’étions pas obligés de croire ce miracle ?

 

          Je ne fais aucune de ces questions que pour m’instruire ; et j’exige de quiconque voudra m’instruire, qu’il parle raisonnablement.

 

 

 

 

 

SECTION II.

 

 

 

          Les Epîtres de saint Paul sont si sublimes, qu’il est souvent difficile d’y atteindre.

 

          Plusieurs jeunes bacheliers demandent ce que signifient précisément ces paroles : « Tout homme qui prie et qui prophétise avec un voile sur sa tête souille sa tête. »

 

          Que veulent dire celles-ci : « J’ai appris du Seigneur que la nuit même qu’il fut saisi, il prit du pain ? »

 

          Comment peut-il avoir appris cela de Jésus-Christ, auquel il n’avait jamais parlé, et dont il avait été le plus cruel ennemi, sans l’avoir jamais vu ? Est-ce par inspiration ? est-ce par le récit de ses disciples ? est-ce lorsqu’une lumière céleste le fit tomber de cheval ? Il ne nous en instruit pas.

 

          Et celles-ci encore : « La femme sera sauvée si elle fait des enfants ? »

 

          C’est assurément encourager la population ; il ne paraît pas que Paul ait fondé des couvents de filles.

 

          Il traite d’impies, d’imposteurs, de diaboliques, de consciences gangrenées, ceux qui prêchent le célibat et l’abstinence des viandes.

 

          Ceci est bien plus fort. Il semble qu’il proscrive moines, nonnes, jours de jeûne. Expliquez-moi cela, tirez-moi d’embarras.

 

          Que dire sur les passages où il recommande aux évêques de n’avoir qu’une femme ? Unius uxoris virum.

 

          Cela est positif. Jamais il n’a permis qu’un évêque eût deux femmes, lorsque les grands pontifes juifs pouvaient en avoir plusieurs.

 

          Il dit positivement « que le jugement dernier se fera de son temps, que Jésus descendra dans les nuées comme il est annoncé dans saint Luc, que lui Paul montera dans l’air pour aller au devant de lui avec les habitants de Thessalonique. »

 

          La chose est-elle arrivée ? est-ce une allégorie, une figure ? croyait-il en effet qu’il ferait ce voyage ? croyait-il avoir fait celui du troisième ciel ? qu’est-ce que ce troisième ciel ? comment ira-t-il dans l’air ? y a-t-il été ?

 

          « Que le Dieu de nos Seigneur Jésus-Christ, le père de gloire, vous donne l’esprit de sagesse. »

 

          Est-ce là reconnaître Jésus pour le même Dieu que le Père ?

 

          « Il a opéré sa puissance sur Jésus en le ressuscitant et le mettant à sa droite. »

 

          Est-ce là constater la divinité de Jésus ?

 

          « Vous avez rendu Jésus de peu inférieur aux anges en le couronnant de gloire. »

 

          S’il est inférieur aux anges, est-il Dieu ?

 

          « Si par le délit d’un seul plusieurs sont morts, la grâce et le don de Dieu ont plus abondé par la grâce d’un seul homme qui est Jésus-Christ. »

 

          Toujours homme, jamais Dieu, excepté un seul endroit contesté par Erasme, par Grotius, par Leclerc, etc.

 

          « Nous sommes enfants de Dieu, et cohéritiers de Jésus-Christ. »

 

          N’est-ce pas toujours regarder Jésus comme l’un de nous, quoique supérieur à nous par les grâces de Dieu ?

 

          «  Dieu seul sage, honneur et gloire par Jésus-Christ. »

 

          Ce mot Dieu seul ne semble-t-il pas exclure Jésus de la divinité ?

 

          Comment entendre tous ces passages à la lettre sans craindre d’offenser Jésus-Christ ? comment les entendre dans un sens plus relevé sans craindre d’offenser Dieu le père ?

 

          Il y en a plusieurs de cette espèce qui ont exercé l’esprit des savants. Les commentateurs se sont combattus ; et nous ne prétendons pas porter la lumière où ils ont laissé l’obscurité. Nous nous soumettons toujours de cœur et de bouche à la décision de l’Eglise.

 

          Nous avons eu aussi quelque peine à bien pénétrer les passages suivants :

 

 

« Votre circoncision profite si vous observez la loi juive (1) ; mais si vous êtes prévaricateurs de la loi, votre circoncision devient prépuce.

 

Or, nous savons que tout ce que la loi dit à ceux qui sont dans la loi, elle le dit afin que toute bouche soit obstruée, et que tout le monde soit soumis à Dieu, parce que toute chair ne sera pas justifiée devant lui par les œuvres de la loi, car par la loi vient la connaissance du péché. Car un seul Dieu justifie la circoncision par la foi, et le prépuce par la foi. Détruisons-nous donc la loi par la foi ? A Dieu ne plaise !

 

Car si Abraham a été justifié par ses œuvres, il en a la gloire, mais non chez Dieu. »

 

 

          Nous osons dire que l’ingénieux et profond dom Calmet lui-même ne nous a pas donné, sur ces endroits un peu obscurs, une lumière qui dissipât toutes nos ténèbres. C’est sans doute notre faute de n’avoir pas entendu les commentateurs, et d’avoir été privés de l’intelligence entière du texte, qui n’est donnée qu’aux âmes privilégiées  mais dès que l’explication viendra de la chaire de vérité, nous entendrons tout parfaitement.

 

 

 

 

 

SECTION III.

 

 

 

          Ajoutons ce petit supplément à l’article PAUL. Il vaut mieux s’édifier dans les lettres de cet apôtre, que de dessécher sa piété à calculer le temps où elles furent écrites. Les savants recherchent en vain l’an et jour auxquels saint Paul servit à lapider saint Etienne, et à garder les manteaux des bourreaux.

 

          Ils disputent sur l’année où il fut renversé de cheval par une lumière éclatante en plein midi, et sur l’époque de son ravissement au troisième ciel.

 

          Ils ne conviennent ni de l’année où il fut conduit prisonnier à Rome, ni de celle où il mourut.

 

          On ne connaît la date d’aucune de ses lettres.

 

          On croit que l’Epître aux Hébreux n’est point de lui. On rejette celle aux Laodicéens, quoique cette épître ait été reçue sur les mêmes fondements que les autres.

 

          On ne sait pourquoi il changea son nom de Saul en celui de Paul (2), ni ce que signifiait ce nom.

 

          Saint Jérôme, dans son commentaire sur l’Epître à Philémon, dit que Paul signifiait l’embouchure d’une flûte.

 

          Les lettres de saint Paul à Sénèque, et de Sénèque à Paul, passèrent, dans la primitive Eglise, pour aussi authentiques que tous les autres écrits chrétiens. Saint Jérôme l’assure, et cite des passages de ces lettres dans son catalogue. Saint Augustin n’en doute pas dans sa cent cinquante-troisième lettre à Macédonius. Nous avons treize lettres de ces deux grands hommes, Paul et Sénèque, qu’on prétend avoir été liés d’une étroite amitié à la cour de Néron. La septième lettre de Sénèque à Paul est très curieuse. Il lui dit que les Juifs et les chrétiens sont souvent condamnés au supplice comme incendiaires de Rome. « Christiani et Judæi, tanquam machinatores incendii, supplicio affici solent. » Il est vraisemblable en effet que les Juifs et les chrétiens, qui se haïssaient avec fureur, s’accusèrent réciproquement d’avoir mis le feu à la ville ; et que le mépris et l’horreur qu’on avait pour les Juifs, dont on ne distinguait point les chrétiens, les livrèrent également les uns et les autres à la vengeance publique.

 

          Nous sommes forcés d’avouer que le commerce épistolaire de Sénèque et de Paul est dans un latin ridicule et barbare ; que les sujets de ces lettres paraissent aussi impertinents que le style ; qu’on les regarde aujourd’hui comme des actes de faussaires. Mais aussi comment ose-t-on contredire le témoignage de saint Jérôme et de saint Augustin ? Si ces monuments attestés par eux ne sont que de viles impostures, quelle sûreté aurons-nous pour les autres écrits plus respectables ? C’est la grande objection de plusieurs savants personnages. Si on nous a trompés indignement, disent-ils, sur les lettres de Paul et de Sénèque, sur les constitutions apostoliques, et sur les Actes de saint Pierre, pourquoi ne nous aura-t-on pas trompés de même sur les Actes des apôtres ? Le jugement de l’Eglise et la foi sont les réponses péremptoires à toutes ces recherches de la science, et à tous les raisonnements de l’esprit.

 

          On ne sait pas sur quel fondement Abdias, premier évêque de Babylone, dit, dans son Histoire des apôtres, que saint Paul fit lapider saint-Jacques-le-Mineur par le peuple. Mais avant qu’il se fût converti, il se peut très facilement qu’il eût persécuté saint Jacques aussi bien que saint Etienne. Il était très violent ; il est dit dans les Actes des apôtres qu’il respirait le sang et le carnage. Aussi Abdias a soin d’observer « que l’auteur de la sédition dans laquelle saint Jacques fut si cruellement traité, était ce même Paul que Dieu appela depuis au ministère de l’apostolat. »

 

          Ce livre attribué à l’évêque Abdias n’est point admis dans le canon ; cependant Jules Africain, qui l’a traduit en latin, le croit authentique. Dès que l’Eglise ne l’a pas reçu, il ne faut pas le recevoir. Bornons-nous à bénir la Providence, et à souhaiter que tous les persécuteurs soient changés en apôtres charitables et compatissants.

 

 

 

P comme PAUL

 

 

 

1 – Epître aux Juifs de Rome, appelés les Romains, ch. II. (Voltaire.)

 

2 – « Selon la mode du temps, dit M. Renan, on avait latinisé son nom en celui de « Paul » de la même manière que les « Jésus » se faisaient appeler « Jason » ; » les « Joseph » « Hégésippe » ; » les « Eliacim, » « Alcimé, » etc. (G.A.)

 

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