DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : O comme ORACLES

Publié le par loveVoltaire

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O comme ORACLES.

 

 

 

 

SECTION PREMIÈRE.

 

 

 

 

Depuis que la section des pharisiens, chez le peuple juif eut fait connaissance avec le diable, quelques raisonneurs d’entre eux commencèrent à croire que ce diable et ses compagnons inspiraient chez toutes les autres nations les prêtres et les statues qui rendaient des oracles. Les saducéens n’en croyaient rien ; ils n’admettaient ni anges ni démons. Il paraît qu’ils étaient plus philosophes que les pharisiens, par conséquent moins faits pour avoir du crédit sur le peuple.

 

Le diable faisait tout parmi la populace juive du temps de Gamaliel, de Jean le baptiseur, de Jacques Oblia, et de Jésus son frère, qui fut notre sauveur Jésus-Christ Aussi vous voyez que le diable transporte Jésus tantôt dans le désert, tantôt sur le faîte du temple, tantôt sur une colline voisine dont on découvre tous les royaumes de la terre ; le diable entre dans le corps des garçons et des filles, et des animaux.

 

Les chrétiens, quoique ennemis mortels des pharisiens, adoptèrent tout ce que les pharisiens avaient imaginé du diable, ainsi que les Juifs avaient autrefois introduit chez eux les coutumes et les cérémonies des Egyptiens. Rien n’est si ordinaire que d’imiter ses ennemis et d’employer leurs armes.

 

Bientôt les Pères de l’Eglise attribuèrent au diable toutes les religions qui partageaient la terre, tous les prétendus prodiges, tous les grands événements, les comètes, les pestes, le mal caduc, les écrouelles, etc. Ce pauvre diable, qu’on disait rôti dans un trou sous la terre, fut tout étonné de se trouver le maître du monde. Son pouvoir s’accrut ensuite merveilleusement par l’institution des moines.

 

Un nommé Baltus, jésuite, né dans le pays Messin, l’un de ces savants qui savent consulter de vieux livres, les falsifier, et les citer mal à propos, prit le parti du diable contre Van-Dale et Fontenelle. Le diable ne pouvait choisir un avocat plus ennuyeux : son nom n’est aujourd’hui connu que par l’honneur qu’il eut d’écrire contre deux hommes célèbres qui avaient raison.

 

Baltus, en qualité de jésuite, cabala auprès de ses confrères, qui étaient alors autant élevés en crédit qu’ils sont depuis tombés dans l’opprobre. Les jansénistes, de leur côté, plus énergumènes que les jésuites, crièrent encore plus haut qu’eux. Enfin tous les fanatiques furent persuadés que la religion chrétienne était perdue si le diable n’était conservé dans ses droits.

 

Peu à peu les livres des jansénistes et des jésuites sont tombés dans l’oubli. Le livre de Vandale est resté pour les savants, et celui de Fontenelle pour les gens d’esprit.

 

A l’égard du diable, il est comme les jésuites et les jansénistes, il perd son crédit de plus en plus.

 

 

 

 

 

SECTION II.

 

 

 

Quelques histoires surprenantes d’oracle, qu’on croyait ne pouvoir attribuer qu’à des génies, ont fait penser aux chrétiens qu’ils étaient rendus par les démons, et qu’ils avaient cessé à la venue de Jésus-Christ : on se dispensait par là d’entrer dans la discussion des faits, qui eût été longue et difficile ; et il semblait qu’on confirmât la religion qui nous apprend l’existence des démons, en leur rapportant ces événements.

 

Cependant les histoires qu’on débitait sur les oracles doivent être fort suspectes (1). Celle de Thamus, à laquelle Eusèbe donne sa croyance, et que Plutarque seul rapporte, est suivie dans le même historien d’un autre conte si ridicule qu’il suffirait pour la décréditer  mais de plus elle ne peut recevoir un sens raisonnable. Si ce grand Pan était un démon, les démons ne pouvaient-ils pas se faire savoir sa mort les uns aux autres, sans y employer Thamus ? Si ce grand Pan était Jésus-Christ, comment personne ne fut-il désabusé dans le paganisme, et ne vint-il à penser que le grand Pan fût Jésus-Christ mort en Judée, si c’était Dieu lui-même qui forçait les démons à annoncer cette mort aux païens ?

 

L’histoire de Thulis, dont l’oracle est positif sur la Trinité, n’est rapportée que par Suidas. Ce Thulis, roi d’Egypte, n’était pas assurément un des Ptolémées. Que deviendra tout l’oracle de Sérapis, étant certain qu’Hérodote ne parle point de ce dieu, tandis que Tacite conte tout au long comment et pourquoi un des Ptolémées fit venir de Pont le dieu Sérapis, qui n’était alors connu que là ?

 

L’oracle rendu à Auguste sur l’enfant hébreu à qui tous les dieux obéissent n’est point du tout recevable. Cedrenus le cite d’Eusèbe, et aujourd’hui il ne s’y trouve plus. Il ne serait pas impossible que Cedrenus citât à faux ou citât quelque ouvrage faussement attribué à Eusèbe ; mais comment les premiers apologistes du christianisme ont-ils tous gardé le silence sur un oracle si favorable à leur religion.

 

Les oracles qu’Eusèbe rapporte de Porphyre, attaché au paganisme, ne sont pas plus embarrassants que les autres. Il nous les donne dépouillés de tout ce qui les accompagnait dans les écrits de Porphyre. Que savons-nous si ce païen ne les réfutait pas ? Selon l’intérêt de sa cause il devait le faire ; et, s’il ne l’a pas fait, assurément il avait quelque intention cachée, comme de les présenter aux chrétiens à dessein de se moquer de leur crédulité, s’ils les recevaient pour vrais et s’ils appuyaient leur religion sur de pareils fondements.

 

D’ailleurs quelques anciens chrétiens ont reproché aux païens qu’ils étaient joués par leurs prêtres. Voici comme en parle Clément d’Alexandrie : Vante-nous, dit-il, si tu veux, ces oracles pleins de folie et d’impertinence, ceux de Claros, d’Apollon Pythien, de Didyme, d’Amphilochus ; tu peux y ajouter les augures et les interprètes des songes et des prodiges. Fais-nous paraître aussi devant l’Apollon Pythien ces gens qui devinent par la farine ou par l’orge, et ceux qui ont été si estimés parce qu’ils parlaient du ventre. Que les secrets des temples des Egyptiens et que la nécromancie des Etrusque demeurent dans les ténèbres ; toutes ces choses ne sont certainement que des impostures extravagantes et de pures tromperies pareilles à celles des jeux de dés. Les chèvres qu’on a dressées à la divination, les corbeaux qu’on a instruits à rendre des oracles, ne sont pour ainsi dire que les associés des charlatans qui fourbent tous les hommes.

 

Eusèbe étale à son tour d’excellentes raisons pour prouver que les oracles ont pu n’être que des impostures ; et, s’il les attribue aux démons, c’est par l’effet d’un préjugé pitoyable et par un respect forcé pour l’opinion commune. Les païens n’avaient garde de consentir que leurs oracles ne fussent qu’un artifice de leurs prêtres ; on crut donc, par une mauvaise manière de raisonner, gagner quelque chose dans la dispute, en leur accordant que, quand même il y aurait eu du surnaturel dans leurs oracles, cet ouvrage n’était pas celui de la Divinité, mais des démons.

 

Il n’est plus question de deviner les finesses des prêtres par des moyens qui pourraient eux-mêmes paraître trop fins. Un temps a été qu’on les a découvertes de toutes parts aux yeux de toute la terre ; ce fut quand la religion chrétienne triompha hautement du paganisme sous les empereurs chrétiens.

 

Théodoret dit que Théophile, évêque d’Alexandrie, fit voir à ceux de cette ville les statues creuses où les prêtres entraient par des chemins cachés pour y rendre les oracles. Lorsque par l’ordre de Constantin on abattit le temple d’Esculape à Egès en Cilicie, on chassa, dit Eusèbe dans la Vie de cet empereur, non pas un dieu, ni un démon, mais le fourbe qui avait si longtemps imposé à la crédulité des peuples. A cela il ajoute en général que dans les simulacres des dieux abattus, on n’y trouvait rien moins que des dieux ou des démons, non pas même quelques malheureux spectres obscurs et ténébreux, mais seulement du foin, de la paille, ou des os de morts.

 

La plus grande difficulté qui regarde les oracles est surmontée depuis que nous avons reconnu que les démons n’ont point dû y avoir de part. On n’a plus aucun intérêt à les faire finir précisément à la venue de Jésus-Christ. Voici d’ailleurs plusieurs preuves que les oracles ont duré plus de quatre cents ans après Jésus-Christ, et qu’ils ne sont devenus tout à fait muets que lors de l’entière destruction du paganisme.

 

Suétone, dans la Vie de Néron, dit que l’oracle de Delphes l’avertit qu’il se donnât de garde des soixante et treize ans ; que Néron crut qu’il ne devait mourir qu’à cet âge-là, et ne songea point au vieux Galba qui, étant âgé de soixante et treize ans lui ôta l’empire.

 

Philostrate, dans la Vie d’Apollonius de Tyane, qui a vu Domitien, nous apprend qu’Apollonius visita tous les oracles de la Grèce, et celui de Dodone, et celui de Delphes, et celui d’Amphiaraüs.

 

Plutarque, qui vivait sous Trajan, nous dit que l’oracle de Delphes était encore sur pied, quoique réduit à une seule prêtresse après en avoir eu deux ou trois.

 

Sous Adrien, Dion Chrysostôme raconte qu’il consulta l’oracle de Delphes  et il en rapporta une réponse qui lui parut assez embarrassée, et qui l’est effectivement.

 

Sous les Antonins, Lucien assure qu’un prêtre de Tyane alla demander à ce faux prophète Alexandre si les oracles qui se rendaient alors à Didyme, à Claros, et à Delphes, étaient véritablement des réponses d’Apollon, ou des impostures. Alexandre eut des égards pour ces oracles qui étaient de la nature du sien, et répondit au prêtre qu’il n’était pas permis de savoir cela. Mais quand cet habile prêtre demanda ce qu’il serait après sa mort, on lui répondit hardiment : Tu seras chameau, puis cheval, puis philosophe, puis prophète aussi grand qu’Alexandre.

 

Après les Antonins, trois empereurs se disputèrent l’empire. On consulta Delphes, dit Spartien, pour savoir lequel des trois la république devait souhaiter. Et l’oracle répondit en un vers : Le noir est le meilleur ; l’Africain est le bon ; le blanc est le pire. Par le noir on entendait Pescennius Niger : par l’Africain, Severus Septimus qui était d’Afrique ; et par le blanc, Claudius Albinus.

 

Dion, qui ne finit son Histoire qu’à la huitième année d’Alexandre Sévère, c’est-à-dire l’an 230, rapporte que de son temps Amphilochus rendait encore des oracles en songe. Il nous apprend aussi qu’il y avait dans la ville d’Apollonie un oracle où l’avenir se déclarait par la manière dont le feu prenait à l’encens qu’on jetait sur un autel.

 

Sous Aurélien, vers l’an 272, les Palmyréniens révoltés consultèrent un oracle d’Apollon Sarpédonien en Cilicie ; ils consultèrent encore celui de Vénus Aphacite.

 

Licinius, au rapport de Sozomène, ayant dessein de recommencer la guerre contre Constantin, consulta l’oracle d’Apollon de Didyme, et en eut pour réponse deux vers d’Homère dont le sens est : Malheureux vieillard, ce n’est point à toi à combattre contre les jeunes gens ; tu n’as point de force, et ton âge t’accable.

 

Un dieu assez inconnu nommé Besa, selon Ammien Marcellin, rendait encore des oracles sur des billets à Abyde, dans l’extrémité de la Thébaïde, sous l’empire de Constantius.

 

Enfin Macrobe, qui vivait sous Arcadius et Honorius fils de Théodose, parle du dieu d’Héliopolis de Syrie et de son oracle, et des Fortunes d’Antium, en des termes qui marquent positivement que tout cela subsistait encore de son temps.

 

Remarquons qu’il n’importe que toutes ces histoires soient vraies, ni que ces oracles aient affectivement rendu les réponses qu’on leur attribue. Il suffit qu’on n’a pu attribuer de fausses réponses qu’à des oracles que l’on savait qui subsistaient encore effectivement ; et les histoire que tant d’auteurs en ont débitées prouvent assez qu’ils n’avaient pas cessé, non plus que le paganisme.

 

Constantin abattit peu de temples ; encore n’osa-t-il les abattre qu’en prenant le prétexte des crimes qui s’y commettaient. C’est ainsi qu’il fit renverser celui de Vénus Aphacite, et celui d’Esculape qui était à Egès en Cilicie, tous deux temples à oracles ; mais il défendit que l’on sacrifiât aux dieux, et commença à rendre par cet édit les temples inutiles.

 

Il restait encore beaucoup d’oracles lorsque Julien parvint à l’empire ; il en rétablit quelques-uns qui étaient ruinés, et il voulut même être prophète de celui de Didyme. Jovien, son successeur, commençait à se porter avec zèle à la destruction du paganisme ; mais en sept mois qu’il régna, il ne put faire de grands progrès. Théodose, pour y parvenir, ordonna de fermer tous les temples des païens. Enfin l’exercice de cette religion fut défendu sous peine de la vie par une constitution des empereurs Valentinien et Marcien, l’an 451 de l’ère vulgaire, et le paganisme enveloppa nécessairement les oracles dans sa ruine.

 

Cette manière de finir n’a rien de surprenant ; elle était la suite naturelle de l’établissement d’un nouveau culte. Les faits miraculeux, ou plutôt qu’on veut donner pour tels, diminuent dans une fausse religion, ou à mesure qu’elle s’établit, parce qu’elle n’en a plus besoin, ou à mesure qu’elle s’établit, parce qu’ils n’obtiennent plus de croyance. Le désir si vif et si inutile de connaître l’avenir donna naissance aux oracles ; l’imposture les accrédita, et le fanatisme y mit le sceau : car un moyen infaillible de faire des fanatiques, c’est de persuader avant que d’instruire. La pauvreté des peuples qui n’avaient plus rien à donner, la fourberie découverte dans plusieurs oracles, et conclue dans les autres, enfin les édits des empereurs chrétiens, voilà les causes véritables de l’établissement et de la cessation de ce genre d’imposture : des circonstances contraires l’ont fait disparaître ; ainsi les oracles ont été soumis à la vicissitude des choses humaines.

 

On se retranche à dire que la naissance de Jésus-Christ est la première époque de leur cessation ; mais pourquoi certains démons ont-ils fui tandis que les autres restaient ? D’ailleurs l’histoire ancienne prouve invinciblement que plusieurs oracles brillants de la Grèce n’existaient plus, ou presque plus, et quelquefois l’oracle se trouvait interrompu par le silence d’un honnête prêtre qui ne voulait pas tromper le peuple. L’oracle de Delphes, dit Lucain, est demeuré muet depuis que les princes craignent l’avenir ; ils ont défendu aux dieux de parler, et les dieux ont obéi.

 

 

O comme ORACLES

 

 

1 – Voyez pour les citations l’ouvrage latin du docte Antoine Van-Dale, d’où cet extrait est tiré. – De oraclis Ethnicorum. Amst. 1700, in-4°. (G.A.)

 

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