DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : J comme JUIF - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

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SECTION IV.

 

 

reponse a quelques objections.

 



 

PREMIERE LETTRE.

 

 

 

 

 

 

 

A MM. Joseph Ben Jonathan, Aaron Mathataï, et David Wincker (1).

 

 

 

 

         Messieurs,

 

         Lorsque M. Medina, votre compatriote me fit à Londres une banqueroute de vingt mille francs, il y a quarante-quatre ans, il me dit  « que ce n’était pas sa faute, qu’il était malheureux, qu’il n’avait jamais été enfant de Bélial, qu’il avait toujours tâché de vivre en fils de Dieu, c’est-à-dire en honnête homme, en bon israélite. » Il m’attendrit, je l’embrassai ; nous louâmes Dieu ensemble, et je perdis quatre-vingts pour cent.

 

         Vous devez savoir que je n’ai jamais haï votre nation. Je ne hais personne, pas même Fréron.

 

         Loin de vous haïr, je vous ai toujours plaints. Si j’ai été quelquefois un peu goguenard, comme l’était le bon pape Lambertini, mon protecteur, je n’en suis pas moins sensible. Je pleurais à l’âge de seize ans quand on me disait qu’on avait brûlé à Lisbonne une mère et une fille pour avoir mangé debout un peu d’agneau cuit avec des laitues le quatorzième jour de la lune rousse ; et je puis vous assurer que l’extrême beauté qu’on vantait dans cette fille n’entra point dans la source de mes larmes, quoiqu’elle dût augmenter dans les spectateurs l’horreur pour les assassins, et la pitié pour la victime.

 

         Je ne sais comment je m’avisai de faire un poème épique à l’âge de vingt ans. (Savez-vous ce que c’est qu’un poème épique ? Pour moi, je n’en savais rien alors.) Le législateur Montesquieu n’avait point encore écrit ses Lettres persanes, que vous me reprochez d’avoir commentées, et j’avais déjà dit tout seul, en parlant d’un monstre que vos ancêtres ont bien connu, et qui a même encore aujourd’hui quelques dévots :

 

Il vient ; le Fanatisme est son horrible nom,

Enfant dénaturé de la Religion ;

Armé pour la défendre, il cherche à la détruire ;

Et, reçu dans son sein, l’embrasse et le déchire.

 

C’est lui qui dans Raba, sur les bords de l’Arnon,

Guidait les descendants du malheureux Ammon,

Quand à Moloch, leur dieu, des mères gémissantes

Offraient de leurs enfants les entrailles fumantes.

Il dicta de Jephté le serment inhumain ;

Dans le cœur de sa fille il conduisit sa main :

C’est lui qui, de Calchas ouvrant la bouche impie,

Demanda par sa voix la mort d’Iphigénie.

France, dans tes forêts il habita longtemps

A l’affreux Teutatès il offrit ton encens.

Tu n’as point oublié ces sacrés homicides,

Qu’à tes indignes dieux présentaient tes druides.

Du haut du Capitole il criait aux païens :

Frappez, exterminez, déchirez les chrétiens.

Mais lorsqu’au fils de Dieu Rome enfin fut soumise,

Du Capitole en cendre il passa dans l’Eglise ;

Et dans les cœurs chrétiens inspirant ses fureurs,

De martyrs qu’ils étaient, les fit persécuteurs.

Dans Londres il a formé la secte turbulente

Qui sur un roi trop faible a mis sa main sanglante ;

Dans Madrid, dans Lisbonne, il allume ses feux,

Ces bûchers solennels où des Juifs malheureux

Sont tous les ans en pompe envoyés par des prêtres

Pour n’avoir point quitté la foi de leurs ancêtres.

 

                                                                                     Henriade, chant V.

 

 

 

         Vous voyez bien que j’étais dès lors votre serviteur, votre ami, votre frère, quoique mon père et ma mère m’eussent conservé mon prépuce.

 

         Je sais que l’instrument ou prépucé, ou déprépucé, a causé des querelles bien funestes. Je sais ce qu’il en a coûté à Pâris, fils de Priam, et à Ménélas, frère d’Agamemnon. J’ai assez lu vos livres pour ne pas ignorer que Sichem, fils d’Hémor, viola Dina, fille de Lia, laquelle n’avait que cinq ans tout au plus, mais qui était fort avancée pour son âge. Il voulut l’épouser ; les enfants de Jacob, frères de la violée, la lui donnèrent en mariage, à condition qu’il se ferait circoncire, lui et tout son peuple. Quand l’opération fut faite, et que tous les Sichemistes, ou Sichimites, étaient au lit, dans les douleurs de cette besogne, les saints patriarches Simon et Lévi les égorgèrent tous l’un après l’autre. Mais après tout, je ne crois pas qu’aujourd’hui le prépuce doive produire de si abominables horreurs ; je ne pense pas surtout que les hommes doivent se haïr, se détester, s’anathématiser, se damner réciproquement le samedi et le dimanche pour un petit bout de chair de plus ou de moins.

 

         Si j’ai dit que quelques déprépucés ont rogné les espèces à Metz, à Francfort sur l’Oder et à Varsovie (ce dont je ne me souviens pas), je leur en demande pardon ; car, étant près de finir mon pèlerinage, je ne veux point me brouiller avec Israël.

 

         J’ai l’honneur d’être, comme on dit,

 

                                                                           Votre, etc.

 

 

1 – C’est sous ces trois noms que l’abbé Guénée donna le Petit commentaire qui suit ses Lettres de quelques juifs portugais et allemands, publiées contre Voltaire en 1769. (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

SECONDE LETTRE.

 

 

DE L’antiquité des Juifs.

 

 

 

 

         Messieurs,

 

 

         Je suis toujours convenu, à mesure que j’ai lu quelques livres d’histoire, pour m’amuser, que vous êtes une nation assez ancienne, et que vous date de plus loin que les Teutons, les Celtes, les Welches, les Sicambres, les Bretons, les Slavons, les Anglais et les Hurons. Je vous vois rassemblés en corps de peuple dans une capitale nommée tantôt Hershalaïm, tantôt Shaheb, sur la montagne Moriah, et sur la montagne Sion, auprès d’un désert, dans un terrain pierreux, près d’un petit torrent qui est à sec six mois de l’année.

 

         Lorsque vous commençâtes à vous affermir dans ce coin (je ne dirai pas de terre, mais de cailloux), il y avait environ deux siècles que Troie était détruite par les Grecs :

 

         Médon était archonte d’Athènes ;

         Ekestrates régnait dans Lacédémone ;

         Latinus Silvius régnait dans le Latium ;

         Osochor, en Egypte.

 

         Les Indes étaient florissantes depuis une longue suite de siècles.

 

         C’était le temps le plus illustre de la Chine, l’empereur Tchinvang régnait avec gloire sur ce vaste empire, toutes les sciences y étaient cultivées ; et les annales publiques portent que le roi de la Cochinchine étant venu saluer cet empereur Tchinvang, il en reçut en présent une boussole. Cette boussole aurait bien servi à votre Salomon pour les flottes qu’il envoyait au beau pays d’Ophir, que personne n’a jamais connu.

 

         Ainsi, après les Chaldéens, les Syriens, les Perses, les Phéniciens, les Egyptiens, les Grecs, les Indiens, les Chinois, les Latins, les Toscans, vous êtes le premier peuple de la terre qui ait eu quelque forme de gouvernement connu.

 

         Les Banians, les Guèbres, sont avec vous les seuls peuples qui, dispersés hors de leur patrie, ont conservé leurs anciens rites ; car je ne compte pas les petites troupes égyptiennes qu’on appelait Zingari en Italie, Gipsies en Angleterre, Bohèmes en France, lesquelles avaient conservé les antiques cérémonies du culte d’Isis, le cistre, les cymbales, les crotales, la danse d’Isis, la prophétie, et l’art de voler les poules dans les basses-cours. Ces troupes sacrées commencent à disparaître de la face de la terre, tandis que leurs pyramides appartiennent encore aux Turcs qui n’en seront pas peut-être toujours les maîtres (1) non plus que d’Hershalaïm, tant la figure de ce monde passe !

 

         Vous dites que vous êtes établis en Espagne dès le temps de Salomon. Je le crois ; et même j’oserais penser que les Phéniciens purent y conduire quelques Juifs longtemps auparavant, lorsque vous fûtes esclaves en Phénicie après les horribles massacres que vous dites avoir commis par Cartouche Josué, et par Cartouche Caleb.

 

         Vos livres disent en effet, (2) que vous fûtes réduits en servitude sous Chusan Rasathaïm, roi d’Aram-Naharaïm, pendant huit ans, et sous Eglon (3), roi de Moab, pendant dix-huit ans ; puis sous Jabin (4), roi de Canaan, pendant vingt ans ; puis dans le petit canton de Madian, dont vous étiez venus, et où vous vécûtes dans des cavernes pendant sept ans.

 

         Puis en Galaad pendant dix-huit ans (5), quoique Jaïr votre prince eût trente fils, montés chacun sur un bel ânon.

 

         Puis sous les Phéniciens, nommés par vous Philistins, pendant quarante ans, jusqu’à ce qu’enfin le Seigneur Adonaï envoya Samson, qui attacha trois cents renards l’un à l’autre par la queue et tua mille Phéniciens avec une mâchoire d’âne, de laquelle il sortit une belle fontaine d’eau pure, qui a été très bien représentée à la comédie italienne (6).

 

         Voilà, de votre aveu, quatre-vingt-seize ans de captivité dans la terre promise. Or il est très probable que les Tyriens, qui étaient les facteurs de toutes les nations, et qui naviguaient jusque sur l’Océan, achetèrent plusieurs esclaves juifs et les menèrent à Cadix qu’ils fondèrent. Vous voyez que vous êtes bien plus anciens que vous ne pensiez. Il est très probable en effet que vous avez habité l’Espagne plusieurs siècles avant les Romains, les Goths, les Vandales et les Maures.

 

         Non-seulement je suis votre ami, votre frère, mais de plus votre généalogiste.

 

         Je vous supplie, messieurs, d’avoir la bonté de croire que je n’ai jamais cru, que je ne crois point, et que je ne croirai jamais que vous soyez descendus de ces voleurs de grand chemin à qui le roi Actisanès fit couper le nez et les oreilles, et qu’il envoya, selon le rapport de Diodore de Sicile (7), dans le désert qui est entre le lac Sirbon et le mont Sinaï, désert affreux où l’on manque d’eau et de toutes les choses nécessaires à la vie. Ils firent des filets pour prendre des cailles, qui les nourrirent pendant quelques semaines, dans le temps du passage des oiseaux.

 

         Des savants ont prétendu que cette origine s’accorde parfaitement avec votre histoire. Vous dites vous-mêmes que vous habitâtes ce désert, que vous manquâtes d’eau, que vous y vécûtes de cailles, qui en effet y sont très abondantes. Le fond de vos récits semble confirmer celui de Diodore de Sicile ; mais je n’en crois que le Pentateuque. L’auteur ne dit point qu’on vous ait coupé le nez et les oreilles. Il me semble même (autant qu’il m’en peut souvenir, car je n’ai pas Diodore sous ma main) qu’on ne vous coupa pas le nez. Je ne me souviens plus où j’ai lu que les oreilles furent de la partie ; je ne sais point si c’est dans quelques fragments de Manéthon, cité par saint Ephrem.

 

         Le secrétaire qui m’a fait l’honneur de m’écrire en votre nom a beau m’assurer que vous volâtes pour plus de neuf millions d’effets en or monnayé ou orfévri, pour aller faire votre tabernacle dans le désert ; je soutiens que vous n’emportâtes que ce qui vous appartenait légitimement, en comptant les intérêts à quarante pour cent, ce qui était le taux légitime.

 

         Quoiqu’il en soit, je certifie que vous êtes d’une très bonne noblesse, et que vous étiez seigneurs d’Hershalaïm longtemps avant qu’il fût question dans le monde de la maison de Souabe, de celles d’Anhalt, de Saxe et de Bavière.

 

         Il se peut que les nègres d’Angola et ceux de Guinée soient beaucoup plus anciens que vous et qu’ils aient adoré un beau serpent avant que les Egyptiens aient connu leur Isis et que vous ayez habité auprès du lac Sirbon ; mais les nègres ne nous ont pas encore communiqué leurs livres.

 

 

1 – Allusion aux conquêtes récentes de Catherine II. (G.A.)

 

2 – Juges, ch. III.

 

3 – C’est ce même Eglon, roi de Moab, qui fut si saintement assassiné au nom du Seigneur par Aod l’ambidextre, lequel lui avait fait serment de fidélité ; et c’est ce même Aod qui fut si souvent réclamé à Paris par les prédicateurs de la Ligue. Il nous faut un Aod, il nous faut un Aod; ils crièrent tant qu’ils en trouvèrent un.

 

4 – C’est sous ce Jabin que la bonne femme Jahel assassina le capitaine Sisara, en lui enfonçant un clou dans la cervelle, lequel clou le cloua fort avant dans la terre. Quel maître clou et quelle maîtresse femme que cette Jahel ! On ne lui peu comparer que Judith ; mais Judith a paru bien supérieure ; car elle coupa la tête à son amant, dans son lit, après lui avoir donné ses tendres faveurs. Rien n’est plus héroïque et plus édifiant.

 

5 – Juges, ch. X.

 

6 – Voltaire avait fait, en 1732, l’opéra de Samson, dont on empêcha la représentation « tandis qu’on permettait que ce sujet parût sur le théâtre de la comédie italienne et que Samson y fît des miracles conjointement avec Arlequin. » (G.A.)

 

7 – Diodore de Sicile, liv. I, sect. II, ch. XIII.

 

 

 

 

Troisième LETTRE.

 

 

Sur quelques chagrins arrives au peuple de Dieu.

 

 

 

 

         Loin de vous accuser, messieurs, je vous ai toujours regardés avec compassion. Permettez-moi de vous rappelez ici ce que j’ai lu dans le discours préliminaire de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations et sur l’Histoire générale. On y trouve deux cent trente-neuf mille vingt juifs égorgés les uns par les autres, depuis l’adoration du veau d’or jusqu’à la prise de l’arche par les Philistins, laquelle coûta la vie à cinquante mille soixante et dix Juifs pour avoir osé regarder l’arche ; tandis que ceux qui l’avaient prise si insolemment à la guerre en furent quittes pour des hémorroïdes et pour offrir à vos prêtres cinq rats d’or et cinq anus d’or (1). Vous m’avouerez que deux cent trente-neuf mille vingt hommes massacrés par vos compatriotes, sans compter tout ce que vous perdîtes dans vos alternatives de guerre et de servitude, devaient faire un grand tort à une colonie naissante.

 

         Comment puis-je ne vous pas plaindre en voyant dix de vos tribus absolument anéanties, ou peut-être réduites à deux cents familles, qu’on retrouve, dit-on, à la Chine et dans la Tartarie ?

 

         Pour les deux autres tribus, vous savez ce qui leur est arrivé. Souffrez donc ma compassion, et ne m’imputez pas de mauvaise volonté.

 

 

1 – Plusieurs théologiens, qui sont la lumière du monde, ont fait des commentaires sur ces rats d’or et sur ces anus d’or. Ils disaient que les metteurs en œuvre philistins étaient bien adroits ; qu’il est très difficile de sculpter en or un trou du cul bien reconnaissable sans y joindre deux fesses, et que c’était une étrange offrande au Seigneur qu’un trou du cul. D’autres théologiens disent que c’était aux Sodomites à présenter cette offrande. Mais enfin ils ont abandonné cette dispute. Ils s’occupent aujourd’hui de convulsions, de billets de confession, et d’extrême onction donnée la baïonnette au bout du fusil.

 

 

 

 

Quatrième LETTRE.

 

 

Sur la femme à Michas.

 

 

 

 

         Trouvez bon que je vous demande ici quelques éclaircissements sur un fait singulier de votre histoire ; il est peu connu des dames de Paris et des personnes du bon ton.

 

         Il n’y avait pas trente-huit ans que votre Moïse était mort lorsque la femme à Michas, de la tribu de Benjamin, perdit onze cents sicles, qui valent, dit-on, environ six cents livres de notre monnaie. Son fils les lui rendit (1), sans que le texte nous apprenne s’il ne les avait pas volés. Aussitôt la bonne Juive en fait faire des idoles, et leur construit une petite chapelle ambulante selon l’usage. Un lévite de Bethléem s’offrit pour la desservir moyennant dix francs par an, deux tuniques, et bouche à cour, comme on disait autrefois.

 

         Une tribu alors, qu’on appela depuis la tribu de Dan, passa auprès de la maison de la Michas en cherchant s’il n’y avait rien à piller dans le voisinage. Les gens de Dan sachant que la Michas avait chez elle un prêtre, un voyant, un devin, un rhoé, s’enquirent de lui si leur voyage serait heureux, s’il y aurait quelque bon coup à faire. Le lévite leur promit un plein succès. Ils commencèrent par voler la chapelle de la Michas, et lui prirent jusqu’à son lévite. La Michas et son mari eurent beau crier : Vous emportez mes dieux, et vous me voler mon prêtre, on les fit taire, et on alla mettre tout à feu et à sang, par dévotion, dans la petite bourgade de Dan, dont la tribu prit le nom.

 

         Ces flibustiers conservèrent une grande reconnaissance pour les dieux de la Michas, qui les avaient si bien servis. Ces idoles furent placées dans un beau tabernacle. La foule des dévots augmenta, il fallut un nouveau prêtre ; il s’en présenta un.

 

         Ceux qui ne connaissaient pas votre histoire ne devineront jamais qui fut ce chapelain. Vous le savez, messieurs, c’était le propre petit-fils de Moïse, un nommé Jonathan, fils de Gerson, fils de Moïse et de la fille à Jéthro.

 

         Vous conviendrez avec moi que la famille de Moïse était un peu singulière. Son frère, à l’âge de cent ans, jette un veau d’or en fonte et l’adore ; son petit-fils se fait aumônier des idoles pour de l’argent. Cela ne prouverait-il pas que votre religion n’était pas encore faite, et que vous tâtonnâtes longtemps avant d’être de parfaits Israélites tels que vous l’êtes aujourd’hui ?

 

         Vous répondez à ma question que notre saint Pierre, Simon Barjone, en a fait autant, et qu’il commença son apostolat par renier son maître. Je n’ai rien à répliquer, sinon qu’il faut toujours se défier de soi. Et je me défie si fort de moi-même, que je finis ma lettre en vous assurant de toute mon indulgence, et en vous demandant la vôtre.

 

 

1 – Juges, ch. XVII.

 

 

 

 

Cinquième LETTRE.

 

 

 

 

 

Assassinats Juifs.

Les Juifs ont-ils été anthropophages ?

Leurs mère ont-elles couché avec des boucs ?

Les peres et meres ont-ils immole leurs enfants ?

Et de quelques autres belles actions du peuple de Dieu.






 

         Messieurs,

 

         J’ai un peu gourmandé votre secrétaire : il n’est pas dans la civilité de gronder les valets d’autrui devant leurs maîtres ; mais l’ignorance orgueilleuse révolte dans un chrétien qui se fait valet d’un Juif. Je m’adresse directement à vous pour n’avoir plus affaire à votre livrée.

 

 

 

 

Calamites juives et grands assassinats.

 




 

 

         Permettez-moi d’abord de m’attendrir sur toutes vos calamités ; car, outre les deux cent trente-neuf mille vingt Israélites tués par l’ordre du Seigneur, je vois la fille de Jephté immolée par son père. Il lui fit comme il avait voué. Tournez-vous de tous les sens ; tordez le texte, disputez contre les Pères de l’Eglise : il lui fit comme il avait voué ; et il avait voué d’égorger sa fille pour remercier le Seigneur. Belle action de grâces !

 

         Oui, vous avez immolé des victimes humaines au Seigneur ; mais consolez-vous ; je vous ai souvent dit que nos Welches et toutes les nations en firent autant autrefois. Voilà M. de Bougainville qui revient de l’île de Tahiti, de cette île de Cythère dont les habitants paisibles, doux, humains, hospitaliers, offrent aux voyageurs tout ce qui est en leur pouvoir, les fruits les plus délicieux, et les filles les plus belles, les plus faciles de la terre. Mais ces peuples ont leurs jongleurs, et ces jongleurs les forcent à sacrifier leurs enfants à des magots qu’ils appellent leurs dieux.

 

         Je vois soixante et dix frères d’Abimélech, écrasés sur une même pierre par cet Abimélech, fils de Gédéon et d’une coureuse. Ce fils de Gédéon était mauvais parent ; et ce Gédéon, l’ami de Dieu, était bien débauché.

 

         Votre lévite qui vient sur son âne à Gabaa, les Gabaonites qui veulent le violer, sa pauvre femme qui est violée à sa place et qui meurt à la peine, la guerre civile qui en est la suite, toute votre tribu de Benjamin exterminée, à six cents hommes près, me font une peine que je ne puis vous exprimer.

 

         Vous perdez tout d’un coup cinq belles villes que le Seigneur vous destinait au bout du lac de Sodome, et cela pour un attentat inconcevable contre la pudeur de deux anges. En vérité, c’est bien pis que ce dont on accuse vos mères avec les boucs. Comment n’aurais-je pas la plus grande pitié pour vous quand je vois le meurtre, la sodomie, la bestialité, constatés chez vos ancêtres, qui sont nos premiers pères spirituels et nos proches parents selon la chair ? Car enfin, si vous descendez de Sem, nous descendons de son frère Japhet : nous sommes évidemment cousins.

 

 

 

 

Roitelets ou melchim Juifs.

 

 

 

         Votre Samuel avait bien raison de ne pas vouloir que vous eussiez des roitelets ; car presque tous vos roitelets sont des assassins, à commencer par David qui assassine Miphiboseth, fils de Jonathas, son tendre ami, « qu’il aimait d’un amour plus grand que l’amour des femmes ; » qui assassine Uriah, le mari de sa Bethsabée ; qui assassine jusqu’aux enfants qui tète, dans les villages alliés de son protecteur Achis ; qui commande en mourant qu’on assassine Joab, son général, et Séméi, son conseiller ; à commencer, dis-je, par ce David et par Salomon qui assassine son propre frère Adonias, embrassant en vain l’autel ; et à finir par Hérode-le-Grand qui assassine son beau-frère, sa femme, tous ses parents, et ses enfants mêmes.

 

         Je ne vous parle pas des quatorze mille petits garçons que votre roitelet, ce grand Hérode, fit égorger dans le village de Bethléem ; ils sont enterrés, comme vous savez, à Cologne avec nos onze mille vierges ; et on voit encore un de ces enfants tout entier.  Vous ne croyez pas à cette histoire authentique, parce qu’elle n’est pas dans votre canon, et que votre Flavius Josèphe n’en a rien dit. Je ne vous parle pas des onze cent mille hommes tués dans la seule ville de Jérusalem pendant le siège qu’en fit Titus.

 

         Par ma foi, la nation chérie est une nation bien malheureuse.

 

 

 

 

 

Si les juifs ont mange de la chair humaine.

 

 



 

 

         Parmi vos calamités, qui m’ont fait tant de fois frémir, j’ai toujours compté le malheur que vous avez eu de manger de la chair humaine. Vous dites que cela n’est arrivé que dans les grandes occasions, que ce n’est pas vous que le Seigneur invitait à sa table pour manger le cheval et le cavalier, que c’étaient les oiseaux qui étaient les convives ; je le veux croire. (1)

 

 

1– Voyez l’article Anthropophages. (K)

 

 

 



 

 

Si les dames juives coucherent avec des boucs.

 

 

         Vous prétendez que vos mères n’ont pas couché avec des boucs, ni vos pères avec des chèvres. Mais dites-moi, messieurs, pourquoi vous êtes le seul peuple de la terre à qui les lois aient jamais fait une pareille défense ? Un législateur se serait-il jamais avisé de promulguer cette loi bizarre, si le délit n’avait pas été commun ?

 





 

 

 

 

Si les juifs immolèrent des hommes

 




 

 

 

         Vous osez assurer que vous n’immoliez pas des victimes humaines au Seigneur : et qu’est-ce donc que le meurtre de la fille de Jephté, réellement immolée, comme nous l’avons déjà prouvé par vos propres livres ?

 

         Comment expliquerez-vous l’anathème des trente-deux pucelles qui furent le partage du Seigneur quand vous prîtes chez les Madianites trente deux mille pucelles et soixante et un mille ânes ? Je ne vous dirai pas ici qu’à ce compte il n’y avait pas deux ânes par pucelle ; mais je vous demanderai ce que c’était que cette part du Seigneur. Il y eut, selon votre livre des Nombres, seize mille filles pour vos soldats on préleva trente-deux filles pour le Seigneur. Qu’en fit-on ? Vous n’aviez point de religieuses. Qu’est-ce que la part du Seigneur dans toutes vos guerres, sinon du sang ?

 

         Le prêtre Samuel ne hacha-t-il pas en morceaux le roitelet Agag, à qui le roitelet Saül avait sauvé la vie ? Ne le sacrifia-t-il pas comme la part du Seigneur ?

 

         Ou renoncez à vos livres auxquels je crois fermement, selon la décision de l’Eglise, ou avouez que vos pères ont offert à Dieu des fleuves de sang humain, plus que n’a jamais fait aucun peuple du monde.

 





 

 

 

 

Des trente-deux mille pucelles, des soixante et quinze mille bœufs et du fertile desert de Madian.

 

 

 

 

         Que votre secrétaire cesse de tergiverser, d’équivoquer, sur le camp des Madianites et sur les villages. Je me soucie bien que ce soit dans un camp ou dans un village de cette petite contrée misérable et déserte que votre prêtre-boucher Eléazar, général des armées juives, ait trouvé soixante et douze mille bœufs, soixante et un mille ânes, six cent soixante et quinze mille brebis, sans compter les béliers et les agneaux !

 

         Or, si vous prîtes trente-deux mille petites filles, il y avait apparemment autant de petits garçons, autant de pères et de mères. Cela irait probablement à cent vingt-huit mille captifs, dans un désert où l’on ne boit que de l’eau saumâtre, ou l’on manque de vivres, et qui n’est habité que par quelques Arabes vagabonds, au nombre de deux ou trois mille tout au plus. Vous remarquerez d’ailleurs que ce pays affreux n’a pas plus de huit lieues de long et de large sur toutes les cartes.

 

         Mais qu’il soit aussi grand, aussi fertile, aussi peuplé que la Normandie  ou le Milanais, cela ne m’importe : je m’en tiens au texte, qui dit que la part du Seigneur fut de trente-deux filles. Confondez tant qu’il vous plaira le Madian près de la mer Rouge avec le Madian près de Sodome, je vous demanderai toujours compte de mes trente-deux pucelles.

 

         Votre secrétaire a-t-il été chargé par vous de supputer combien de bœufs et de filles peut nourrir le beau pays de Madian ?

 

         J’habite un canton, messieurs, qui n’est pas la terre promise ; mais nous avons un lac beaucoup plus beau que celui de Sodome. Notre sol est d’une bonté très médiocre. Votre secrétaire me dit qu’un arpent de Madian peut nourrir trois bœufs ; je vous assure, messieurs, que chez moi un arpent ne nourrit qu’un bœuf. Si votre secrétaire veut tripler le revenu de mes terres, je lui donnerai de bons gages, et je ne le payerai pas en rescriptions sur les receveurs-généraux. Il ne trouvera pas dans tout le pays de Madian une meilleure condition que chez moi. Mais malheureusement cet homme ne s’entend pas mieux en bœufs qu’en veaux d’or.

 

         A l’égard des trente-deux mille pucelages, je lui en souhaite. Notre petit pays est de l’étendue de Madian ; il contient environ quatre mille ivrognes, une douzaine de procureurs, deux hommes d’esprit, et quatre mille personnes du beau sexe, qui ne sont pas toutes jolies. Tout cela monte à environ huit mille personnes, supposé que le greffier qui m’a produit ce compte n’ait pas exagéré de moitié, selon la coutume. Vos prêtres et les nôtres auraient peine à trouver dans mon pays trente-deux mille pucelles pour leur usage. C’est ce qui me donne de grands scrupules sur les dénombrements du peuple romain, du temps que son empire s’étendait à quatre lieues du mont Tarpéien, et que les Romains avaient une poignée de foin au haut d’une perche pour enseigne. Peut-être ne savez-vous pas que les Romains passèrent cinq cents années à piller leurs voisins avant que d’avoir aucun historien, et que leurs dénombrements sont fort suspects ainsi que leurs miracles.

 

         A l’égard des soixante et un mille ânes qui furent le prix de vos conquêtes en Madian, c’est assez parler d’ânes.

 



 

 

Des enfants juifs immoles par leurs meres.



 

 

 

         Je vous dis que vos pères ont immolé leurs enfants, et j’appelle en témoignage vos prophètes. Isaïe leur reproche ce crime de cannibales (a) : « Vous immolez aux dieux vos enfants dans des torrents, sous des pierres. »

 

         Vous m’allez dire que ce n’était pas au Seigneur Adonaï que les femmes sacrifiaient les fruits de leurs entrailles, que c’était à quelque autre dieu. Il importe bien vraiment que vous ayez appelé Melkom, ou Sadaï, ou Baal, ou Anodaï, celui à qui vous immoliez vos enfants ; ce qui importe, c’est que vous ayez été des parricides. C’était, dites-vous, à des idôles étrangères que vos pères faisaient ces offrandes : eh bien ! Je vous plains encore davantage de descendre d’aïeux parricides et idolâtres. Je gémirai avec vous de ce que vos pères furent toujours idolâtres pendant quarante ans dans le désert de Sinaï, comme le disent expressément Jérémie, Amos et saint Etienne.

 

         Vous étiez idolâtres sous vos rois ; vous n’avez été fidèles à un seul Dieu qu’après qu’Esdras eut restauré vos livres. C’est là que votre véritable culte non interrompu commence. Et, par une providence incompréhensible de l’Etre suprême, vous avez été les plus malheureux de tous les hommes depuis que vous avez été les plus fidèles, sous les rois de Syrie, sous les rois d’Egypte, sous Hérode l’Iduméen, sous les Romains, sous les Persans, sous les Arabes, sous les Turcs, jusqu’au temps où vous me faites l’honneur de m’écrire, et où j’ai celui de vous répondre.

 

 

1 – Isaïe, ch. LVII, V.5

 

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