DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : I comme INQUISITION - Partie 2

Publié le par loveVoltaire

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I comme INQUISITION.

 

 

(Partie 2)

 

 

 

 

Voici l’éloge qu’en fait cet éditeur dans son épître dédicatoire au pape Grégoire XIII :

 

« Tandis que les princes chrétiens s’occupent de toutes parts à combattre par les armes les ennemis de la religion catholique, et prodiguent le sang de leurs soldats pour soutenir l’unité de l’Eglise et l’autorité du siège apostolique, il est aussi des écrivains zélés qui travaillent dans l’obscurité, ou à réfuter les opinions des novateurs, ou à armer et à diriger la puissance des lois contre leurs personnes, afin que la sévérité des peines et la grandeur des supplices, les contenant dans les bornes du devoir, fassent sur eux ce que n’a pu faire l’amour de la vertu.

 

       Quoique j’occupe la dernière place parmi ces défenseurs de la religion, je suis cependant animé du même zèle pour réprimer l’audace impie des novateurs et leur horrible méchanceté. Le travail que je vous présente ici sur le Directoire des inquisiteurs en sera la preuve. Cet ouvrage de Nicolas Eymeric, respectable par son antiquité, contient un abrégé des principaux dogmes de la foi, et une instruction très suivie et très méthodique, aux tribunaux de la sainte inquisition, sur les moyens qu’ils doivent employer pour contenir et extirper les hérétiques. C’est pourquoi j’ai cru devoir en faire un hommage à votre sainteté, comme au chef de la république chrétienne. »

 

          Il déclare ailleurs qu’il le fait réimprimer pour l’instruction des inquisiteurs, que cet ouvrage est aussi admirable que respectable, et qu’on y enseigne avec autant de piété que d’érudition les moyens de contenir et d’extirper les hérétiques. Il avoue cependant qu’il y a beaucoup d’autres pratiques utiles et sages pour lesquelles il renvoie à l’usage, qui instruira mieux que les leçons, d’autant plus qu’il y a en ce genre certaines choses qu’il est important de ne point divulguer, et qui sont assez connues des inquisiteurs. Il cite çà et là une infinité d’écrivains qui tous ont suivi la doctrine du Directoire ; il se plaint même que plusieurs en ont profité sans faire honneur à Eymeric des belles choses qu’ils lui dérobaient.

 

          Mettons-nous à l’abri d’un pareil reproche en indiquant exactement ce que nous emprunterons de l’auteur et de l’éditeur. Eymeric dit :

 

Page 58 : La commisération pour les enfants du coupable qu’on réduit à la mendicité ne doit point adoucir cette sévérité, puisque par les lois divines et humaines, les enfants sont punis pour les fautes de leurs pères.

 

 

Page 123 : Si une accusation intentée était dépourvue de toute apparence de vérité, il ne faut pas pour cela que l’inquisiteur l’efface de son livre, parce que ce qu’on ne découvre pas dans un temps se découvre dans un autre.

 

 

Page 291 : Il faut que l’inquisiteur oppose des ruses à celles des hérétiques, afin de river leur clou par un autre, et de pouvoir leur dire ensuite avec l’Apôtre : Comme j’étais fin, je vous ai pris par finesse.

 

 

Page 296 : Il pourra lire le procès-verbal à l’accusé en supprimant absolument les noms des dénonciateurs ; et alors c’est à l’accusé à conjecturer qui sont ceux qui ont formé contre lui telles et telles accusations, à les récuser, ou à infirmer leur témoignages ; c’est la méthode que l’on observe communément. Il ne faut pas que les accusés s’imaginent qu’on admettra facilement la récusation des témoins en matière d’hérésie : car il n’importe que les témoins soient gens de bien ou infâmes, complices du même crime excommuniés, hérétiques ou coupables en quelque manière que ce soit, ou parjures, etc. C’est ce qui a été réglé en faveur de la foi.

 

Page 302 : L’appel qu’un accusé fait de l’inquisiteur n’empêche pas celui-ci de demeurer juge contre lui sur d’autres chefs d’accusation.

 

Page 313 : Quoiqu’on ait supposé dans la formule de la sentence de torture qu’il y avait variation dans les réponses de l’accusé, et d’autre part indices suffisants pour l’appliquer à la question, ces deux questions ensemble ne sont pas nécessaires ; elles suffisent réciproquement l’une sans l’autre.

 

 

Pegna nous apprend, scolie 118, livre III, que les inquisiteurs n’emploient ordinairement que cinq espèces de tourments dans la question, quoique Marsilius fasse mention de quatorze espèces, et qu’il ajoute même qu’il en a imaginé d’autres, comme la soustraction du sommeil, en quoi il est approuvé par Grillandus et par Locatus.

 

Eymeric continue :

 

 

Page 319 : Il faut bien prendre garde d’insérer dans la formule d’absolution que l’accusé est innocent, mais seulement qu’il n’y a pas de preuves suffisantes contre lui ; précaution qu’on prend afin que si dans la suite l’accusé qu’on absout était remis en cause, l’absolution qu’il reçoit ne puisse pas lui servir de défense.

 

 

Page 324 : On prescrit quelquefois ensemble l’abjuration et la purgation canonique. C’est ce qu’on fait lorsqu’à la mauvaise réputation d’un homme en matière de doctrine il se joint des indices considérables, qui, s’ils étaient un peu plus forts, tendraient à la convaincre d’avoir effectivement dit ou fait quelque chose contre la foi. L’accusé qui est dans ce cas est obligé d’abjurer toute hérésie en général ; et alors, s’il retombe dans quelque hérésie que ce soit, même distinguée de celles sur lesquelles il avait été suspect, il est puni comme relaps, et livré au bras séculier.

 

 

Page 331 : Les relaps, lorsque la rechute est bien constatée, doivent être livrés à la justice séculière, quelque protestation qu’ils fassent pour l’avenir, et quelque repentir qu’ils témoignent. L’inquisiteur fera donc avertir la justice séculière qu’un tel jour, à telle heure, et dans un tel lieu, on lui livrera un hérétique ; et l’on fera annoncer au peuple qu’il ait à se trouver à la cérémonie, parce que l’inquisiteur fera un sermon sur la foi, et que les assistants y gagneront les indulgences accoutumées.

 

 

          Ces indulgences sont ainsi énoncées après la formule de sentence contre l’hérétique : l’inquisiteur accordera quarante jours d’indulgence à tous les assistants, trois ans à ceux qui ont contribué à la capture, à l’abjuration, à la condamnation, etc. , de l’hérétique ; et enfin trois ans aussi, de la part de notre saint père le pape, à tous ceux qui dénonceront quelque autre hérétique.

 

 

Page 332 : Lorsque le coupable aura été livré à la justice séculière, celle-ci prononcera sa sentence, et le criminel sera conduit au lieu du supplice : des personnes pieuses l’accompagneront, l’associeront à leurs prières, prieront avec lui, et ne le quitteront point qu’il n’ait rendu son âme à son Créateur. Mais elles doivent bien prendre garde de rien dire ou de rien faire qui puisse hâter le moment de sa mort, de peur de tomber dans l’irrégularité. Ainsi on ne doit point exhorter le criminel à monter sur l’échafaud, ni à se présenter au bourreau, ni avertir celui-ci de disposer les instruments du supplice de manière que la mort s’ensuive plus promptement et que le patient ne languisse point, toujours à cause de l’irrégularité.

 

 

Page 335 : S’il arrivait que l’hérétique, prêt à être attaché au pieu pour être brûlé, donnât des signes de conversion, on pourrait peut-être le recevoir par grâce singulière, et l’enfermer entre quatre murailles comme les hérétiques pénitents, quoiqu’il ne faille pas ajouter beaucoup de foi à une pareille conversion, et que cette indulgence ne soit autorisée par aucune disposition du droit ; mais cela est fort dangereux : j’en ai vu un exemple à Barcelone. Un prêtre, condamné avec deux autres hérétiques impénitents, et déjà au milieu des flammes, cria qu’on le retirât, et qu’il voulait se convertir : on le retira en effet, déjà brûlé d’un côté ; je ne dis pas qu’on ait bien ou mal fait : ce que je sais, c’est que quatorze ans après on s’aperçut qu’il dogmatisait encore, et qu’il avait corrompu beaucoup de personnes ; on l’abandonna donc une autre fois à la justice, et il fut brûlé.

 

 

          Personne ne doute, dit Pegna, scolie 47, qu’il ne faille faire mourir les hérétiques ; mais on peut demander quel genre de supplice il convient d’employer. Alphonse de Castro, livre II, De la juste punition des hérétiques, pense qu’il est assez indifférent de les faire périr par l’épée, ou par le feu, ou par quelque autre supplice ; mais Hostiensis, Godogredus, Covarruvias, Simancas, Roxas, etc., soutiennent qu’il faut absolument les brûler. En effet, comme le dit très bien Hostiensis, le supplice du feu est la peine due à l’hérésie. On lit dans saint Jean : Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il sera jeté dehors comme un sarment, et il sèchera, et on le ramassera pour le jeter au feu et le brûler. Ajoutons, continue Pegna, que la coutume universelle de la république chrétienne vient à l’appui de ce sentiment. Simancas et Roxas décident qu’il faut les brûler vifs ; mais il y a une précaution qu’il faut toujours prendre en les brûlant, c’est de leur arracher la langue ou de leur fermer la bouche, afin qu’ils ne scandalisent pas les assistants par leurs impiétés.

 

          Enfin, page 369, Eymeric ordonne qu’en matière d’hérésie on procède tout uniment, sans les criailleries des avocats, et sans tant de solennités dans les jugements ; c’est-à-dire qu’on rende la procédure la plus courte qu’il est possible en en retranchant les délais inutiles, en travaillant à instruire la cause, même dans les jours où les autres juges suspendent leurs travaux, en rejetant tout appel qui ne sert qu’à éloigner le jugement, en n’admettant pas une multitude inutile de témoins, etc.

 

          Cette jurisprudence révoltante n’a été que restreinte en Espagne et en Portugal, tandis que l’inquisition même vient enfin d’être entièrement supprimée à Milan.

 

 

 

 

 

SECTION II.

 

 

 

          L’inquisition est, comme on sait, une invention admirable et tout à fait chrétienne pour rendre le pape et les moines plus puissants, et pour rendre tout un royaume hypocrite.

 

          On regarde d’ordinaire saint Dominique comme le premier à qui l’on doit cette sainte institution. En effet, nous avons encore une patente donnée par ce grand saint, laquelle est conçue en ces propres mots : « Moi, frère Dominique, je réconcilie à l’Eglise le nommé Roger, porteur des présentes, à condition qu’il se fera fouetter par un prêtre trois dimanches consécutifs, depuis l’entrée de la ville jusqu’à la porte de l’église, qu’il fera maigre toute sa vie, qu’il jeûnera trois carêmes dans l’année, qu’il ne boira jamais de vin, qu’il porte le san-benito avec des croix, qu’il récitera le bréviaire tous les jours, dix pater dans la journée, et vingt à l’heure de minuit ; qu’il gardera désormais la continence, et qu’il se présentera tous les mois au curé de sa paroisse, etc. ; tout cela sous peine d’être traité comme hérétique, parjure et impénitent. »

 

          Quoique Dominique soit le véritable fondateur de l’inquisition, cependant Louis de Paramo, l’un des plus respectables écrivains et des plus brillantes lumières du Saint-Office, rapporte, au titre second de son second livre, que Dieu dut le premier instituteur du Saint-Office, et qu’il exerça le pouvoir des frères prêcheurs contre Adam. D’abord Adam est cité au tribunal : Adam, ubi es ? et ajoute-t-il, le défaut de citation aurait rendu la procédure de Dieu nulle.

 

          Les habits de peau que Dieu fit à Adam et à Eve furent le modèle du san-benito que le Saint-Office fait porter aux hérétiques. Il est vrai que par cet argument on prouve que Dieu fut le premier tailleur ; mais il n’est pas moins évident qu’il fut le premier inquisiteur.

 

          Adam fut privé de tous les biens immeubles qu’il possédait dans le paradis terrestre : c’est de là que le Saint-Office confisque les biens de toux ceux qu’il a condamnés.

 

          Louis de Paramo remarque que les habitants de Sodome furent brûlés comme hérétiques, parce que la sodomie est une hérésie formelle. De là il passe à l’histoire des Juifs ; il y trouve partout le Saint-Office.

 

          Jésus-Christ est le premier instituteur de la nouvelle loi, les papes furent inquisiteurs de droit divin, et enfin ils communiquèrent leur puissance à saint Dominique.

 

          Il fait ensuite le dénombrement de tous ceux que l’inquisition a mis à mort ; il en trouve beaucoup au-delà de cent mille.

 

          Son livre fut imprimé en 1598, à Madrid, avec l’approbation des docteurs, les éloges de l’évêque et le privilège du roi. Nous ne convenons pas aujourd’hui des horreurs si extravagantes à la fois et si abominables ; mais alors rien ne paraissait plus naturel et plus édifiant. Tous les hommes ressemblent à Louis de Paramo quand ils sont fanatiques.

 

          Ce Paramo était un homme simple, très exact dans les dates, n’omettant aucun fait intéressant et supputant avec scrupule le nombre des victimes humaines que le Saint-Office a immolées dans tous les pays.

 

          Il raconte avec la plus grande naïveté l’établissement de l’inquisition en Portugal, et il est parfaitement d’accord avec quatre autres historiens qui ont tous parlé comme lui. Voici ce qu’ils rapportent unanimement.

 

 

 

 

 

ÉTABLISSEMENT CURIEUX DE

L’INQUISITION EN PORTUGAL.

 

 

 

          Il y avait longtemps que le pape Boniface IX, au commencement du quinzième siècle, avait délégué des frères prêcheurs qui allaient en Portugal, de ville en ville, brûler les hérétiques, les musulmans et les Juifs ; mais ils étaient ambulants, et les rois mêmes se plaignirent quelquefois de leurs vexations. Le pape Clément VII voulut leur donner un établissement fixe en Portugal, comme ils en avaient en Aragon et en Castille. Il y eut des difficultés entre la cour de Rome et celle de Lisbonne ; les esprits s’aigrirent, l’inquisition en souffrait, et n’était point établie parfaitement.

 

          En 1539, il parut à Lisbonne un légat du pape, qui était venu, disait-il, pour établir la sainte inquisition sur des fondements inébranlables. Il apporte au roi Jean III des lettres du pape Paul III. Il avait d’autres lettres de Rome pour les principaux officiers de la cour ; ses patentes de légat étaient dûment scellées et signées : il montra les pouvoirs les plus amples de créer un grand-inquisiteur et tous les juges du Saint-Office. C’était un fourbe, nommé Saavedra, qui savait contrefaire toutes les écritures, fabriquer et appliquer de faux sceaux et de faux cachets. Il avait appris ce métier à Rome, et s’y était perfectionné à Séville, dont il arrivait avec deux autres fripons. Son train était magnifique ; il était composé de plus de cent vingt domestiques. Pour subvenir à cette énorme dépense, lui et ses confidents empruntèrent à Séville des sommes immenses au nom de la chambre apostolique de Rome ; tout était concerté avec l’artifice le plus éblouissant.

 

          Le roi de Portugal fut étonné d’abord que le pape lui envoyât un légat à latere sans l’avoir prévenu. Le légat répondit fièrement que dans une chose aussi pressante que l’établissement fixe de l’inquisition, sa sainteté ne pouvait souffrir les délais, et que le roi était assez honoré que le premier courrier qui lui en apportait la nouvelle fût un légat du saint père. Le roi n’osa répliquer. Le légat, dès le jour même, établit un grand-inquisiteur, envoya partout recueillir des décimes ; et avant que la cour pût avoir des réponses de Rome, il avait déjà fait brûler deux cents personnes, et recueilli plus de deux cent mille écus.

 

          Cependant le marquis de Villanova, seigneur espagnol de qui le légat avait emprunté à Séville une somme très considérable sur de faux billets, jugea à propos de se payer par ses mains, au lieu d’aller se compromettre avec le fourbe à Lisbonne. Le légat faisait alors sa tournée sur les frontières de l’Espagne. Il y marche avec cinquante hommes armés, l’enlève et le conduit à Madrid.

 

          La friponnerie fut bientôt découverte à Lisbonne ; le conseil de Madrid condamna le légat Saavedra au fouet et à dix ans de galères ; mais ce qu’il y eut d’admirable, c’est que le pape Paul IV confirma depuis tout ce qu’avait établi ce fripon ; il rectifia par la plénitude de sa puissance divine toutes les petites irrégularités des procédures, et rendit sacré ce qui avait été purement humain.

 

 

Qu’importe de quel bras Dieu daigne se servir ?

 

ZAÏRE, II, 1.

 

 

          Voilà comme l’inquisition devint sédentaire à Lisbonne, et tout le royaume admira la Providence.

 

          Au reste, on connaît assez toutes les procédures de ce tribunal ; on sait combien elles sont opposées à la fausse équité et à l’aveugle raison de tous les autres tribunaux de l’univers. On est emprisonné sur la simple dénonciation des personnes les plus infâmes ; un fils peut dénoncer son père, une femme son mari ; on n’est jamais confronté devant ses accusateurs ; les biens sont confisqués au profit des juges : c’est ainsi du moins que l’inquisition s’est conduite jusqu’à nos jours : il y a là quelque chose de divin ; car il est incompréhensible que les hommes aient souffert ce joug patiemment…..

 

          Enfin le comte d’Aranda a été béni de l’Europe entière en rognant les griffes et en limant les dents du monstre ; mais il respire encore (1).

 

178027Jonquilles120

 

1 – Voyez le chapitre CXL de l’Essai sur les mœurs, auquel l’Encyclopédie emprunta son article qui traite du même sujet. (G.A.)

 

 

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