DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : F comme FETES

Publié le par loveVoltaire

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TRÈS BONNES ET JOYEUSES FÊTES DE NOEL

 

 

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F comme FÊTES.

 

 

SECTION PREMIÈRE.

 

  

 

            Un pauvre gentilhomme du pays d’Haguenau cultivait sa petite terre, et sainte Ragonde ou Radegonde était la patronne de sa paroisse. Or il arriva que le jour de la fête de sainte Ragonde, il fallut donner une façon à un champ de ce pauvre gentilhomme, sans quoi tout était perdu. Le maître, après avoir assisté dévotement à la messe avec tout son monde, alla labourer sa terre, dont dépendait le maintien de sa famille ; et le curé et les autres paroissiens allèrent boire, selon l’usage.

 

          Le curé, en buvant, apprit l’énorme scandale qu’on osait donner dans sa paroisse, par un travail profane : il alla, tout rouge de colère et de vin, trouver le cultivateur, et lui dit : Monsieur, vous êtes bien insolent et bien impie d’oser labourer votre champ au lieu d’aller au cabaret comme les autres. Je conviens, monsieur, dit le gentilhomme, qu’il faut boire en l’honneur de la sainte, mais il faut aussi manger, et ma famille mourrait de faim si je ne labourais pas. Buvez et mourez, lui dit le curé. Dans quelle loi, dans quel concile cela est-il écrit ? dit le cultivateur. Dans Ovide, dit le curé. J’en appelle comme d’abus, dit le gentilhomme. Dans quel endroit d’Ovide avez-vous lu que je dois aller au cabaret plutôt que de labourer mon champ le jour de sainte Ragonde ?

 

          Vous remarquerez que le gentilhomme et le pasteur avaient très bien fait leurs études. Lisez la métamorphose des filles de Minée, dit le curé. Je l’ai lue, dit l’autre, et je soutiens que cela n’a nul rapport à ma charrue. Comment, impie ! vous ne vous souvenez pas que les filles de Minée furent changées en chauves-souris pour avoir filé un jour de fête ? Le cas est bien différent, répliqua le gentilhomme : ces demoiselles n’avaient rendu aucun honneur à Bacchus ; et moi, j’ai été à la messe de sainte Ragonde ; vous n’avez rien à me dire ; vous ne me changerez point en chauve-souris. Je ferais pis, dit le prêtre ; je vous ferai mettre à l’amende. Il n’y manqua pas (1). Le pauvre gentilhomme fut ruiné ; il quitta le pays avec sa famille et ses valets, passa chez l’étranger, se fit luthérien, et sa terre resta inculte plusieurs années.

 

          On conta cette aventure à un magistrat de bon sens et de beaucoup de piété. Voici les réflexions qu’il fit à propos de sainte Ragonde :

 

          Ce sont, disait-il, les cabaretiers, sans doute, qui ont inventé ce prodigieux nombre de fêtes : la religion des paysans et des artisans consiste à s’enivrer le jour d’un saint qu’ils ne connaissent que par ce culte : c’est dans ces jours d’oisiveté et de débauche que se commettent tous les crimes : ce sont les fêtes qui remplissent les prisons, et qui font vivre les archers, les greffiers, les lieutenants criminels et les bourreaux : voilà parmi nous la seule excuse des fêtes : les champs catholiques restent à peine cultivés, tandis que les campagnes hérétiques, labourées tous les jours, produisent de riches moissons.

 

          A la bonne heure, que les cordonniers aillent le matin à la messe de saint Crépin, parce que crepido signifie empeigne ; que les faiseurs de vergettes fêtent sainte Barbe, leur patronne ; que ceux qui ont mal aux yeux entendent la messe de sainte Claire ; qu’on célèbre saint V… dans plusieurs provinces ; mais qu’après avoir rendu ses devoirs aux saints, on rende service aux hommes, qu’on aille de l’autel à la charrue : c’est l’excès d’une barbarie et d’un esclavage insupportables, de consacrer ses jours à la nonchalance et au vice. Prêtres, commandez, s’il est nécessaire, qu’on prie Roch, Eustache et Fiacre le matin ; magistrats, ordonnez qu’on laboure vos champs le jour de Fiacre, d’Eustache et de Roch. C’est le travail qui est nécessaire ; il y a plus, c’est lui qui sanctifie.

 

 

 

 

SECTION II.

 

 

Lettre d’un ouvrier de Lyon à messeigneurs de la commission

établie à Paris pour la réformation des ordres religieux,

imprimée dans les papiers publics en 1766.

 

 

 

          Messeigneurs,

 

 

          Je suis ouvrier en soie, et je travaille à Lyon depuis dix-neuf ans. Mes journées ont augmenté insensiblement, et aujourd’hui je gagne trente-cinq sous. Ma femme, qui travaille en passements, en gagnerait quinze s’il lui était possible d’y donner tout son temps ; mais, comme les soins du ménage, les maladies de couches ou autres, la détournent étrangement, je réduis son profit à dix sous, ce qui fait quarante-cinq sous journellement que nous apportons au ménage. Si l’on déduit de l’année quatre-vingt-deux jours de dimanches ou de fêtes, l’on aura deux cent quatre-vingt-quatre jours profitables, qui, à quarante-cinq sous, font six cent trente-neuf livres. Voilà mon revenu.

 

          Voici les charges :

 

          J’ai huit enfants vivants, et ma femme est sur le point d’accoucher du onzième, car j’en ai perdu deux. Il y a quinze ans que je suis marié. Ainsi, je puis compter annuellement vingt-quatre livres pour les frais de couches et de baptême, cent huit livres pour l’année de deux nourrices, ayant communément deux enfants en nourrice, quelquefois même trois. Je paye de loyer, à un quatrième, cinquante-sept livres, et d’imposition quatorze livres. Mon profit se trouve donc réduit à quatre cent trente-six livres, ou à vingt-cinq sous trois deniers par jour, avec lesquels il faut se vêtir, se meubler, acheter le bois, la chandelle, et faire vivre ma femme et six enfants.

 

          Je ne vois qu’avec effroi arriver des jours de fête. Il s’en faut très peu, je vous en fais ma confession, que je ne maudisse leur institution. Elles ne peuvent avoir été instituées, disais-je, que par les commis des aides, par les cabaretiers, et par ceux qui tiennent les guinguettes.

 

          Mon père m’a fait étudier jusqu’à ma seconde, et voulait à toute force que je fusse moine, me faisant entrevoir dans cet état un asile assuré contre le besoin ; mais j’ai toujours pensé que chaque homme doit son tribut à la société, et que les moines sont des guêpes inutiles qui mangent le travail des abeilles. Je vous avoue pourtant que quand je vois Jean C***, avec lequel j’ai étudié et qui était le garçon le plus paresseux du collège, posséder les premières places chez les prémontrés, je ne puis m’empêcher d’avoir quelques regrets de n’avoir pas écouté les avis de mon père.

 

089rose

 

1 – On peut être encore aujourd’hui condamné à l’amende pour avoir travaillé le dimanche, et l’on a vu naguère faire l’application de cette peine à un voiturier. (G.A.)

 

 

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