DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : D comme DE FRANCOIS BACON

Publié le par loveVoltaire

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Il ne faut pas confondre le chancelier François Bacon avec un autre penseur anglais du XIIIe siècle, le franciscain Roger Bacon (1214-1294) qui avait un peu les mêmes idées que François Bacon mais il n'était pas de la même famille.

 

 

 

 

 

 

D comme DE FRANÇOIS BACON

 

ET DE L’ATTRACTION.

 

 

 

 

 

 

SECTION PREMIÈRE.

 

 

 

 

 

          Le plus grand service peut-être que François Bacon ait rendu à la philosophie a été de deviner l’attraction.

 

          Il disait, sur la fin du seizième siècle, dans son livre de la Nouvelle Méthode de savoir :

 

« Il faut chercher s’il n’y aurait point une espèce de force magnétique qui opère entre la terre et les choses pesantes, entre la lune et l’océan, entre les planètes… Il faut ou que les corps graves soient poussés vers le centre de la terre, ou qu’ils en soient mutuellement attirés ; et, en ce dernier cas, il est évident que plus les corps en tombant s’approchent de la terre, plus fortement ils s’attirent… Il faut expérimenter si la même horloge à poids ira plus vite sur le haut d’une montagne ou au fond d’une mine. Si la force des poids diminue sur la montagne et augmente dans la mine, il y a apparence que la terre a une vraie attraction. »

 

Environ cent ans après, cette attraction, cette gravitation, cette propriété universelle de la matière, cette cause qui retient les planètes dans leurs orbites, qui agit dans le soleil, et qui dirige un fétu vers le centre de la terre, a été trouvée, calculée, et démontrée par le grand Newton ; mais quelle sagacité dans Bacon de Verulam, de l’avoir soupçonnée lorsque personne n’y pensait.

 

Ce n’est pas là de la matière subtile produite par des échancrures de petits dés qui tournèrent autrefois sur eux-mêmes, quoique tout fût plein ; ce n’est pas de la matière globuleuse formée de ces dés, ni de la matière cannelée. Ces grotesques furent reçus pendant quelque temps chez les curieux : c’était un très mauvais roman ; non-seulement il réussit comme Cyrus et Pharamond, mais il fut embrassé comme une vérité par des gens qui cherchaient à penser. Si vous en exceptez Bacon, Galilée, Torricelli, et un très petit nombre de sages, il n’y avait alors que des aveugles en physique.

 

Ces aveugles quittèrent les chimères grecques pour les chimères des tourbillons et de la matière cannelée ; et lorsque enfin on eut découvert et démontré l’attraction, la gravitation et ses lois, on cria aux qualités occultes. Hélas ! tous les premiers ressorts de la nature ne sont-ils pas pour nous des qualités occultes ? Les causes du mouvement, du ressort, de la génération, de l’immutabilité des espèces, du sentiment, de la mémoire, de la pensée, ne sont-elles pas très occultes ?

 

Bacon soupçonna, Newton démontra l’existence d’un principe jusqu’alors inconnu. Il faut que les hommes s’en tiennent là, jusqu’à ce qu’ils deviennent des dieux. Newton fut assez sage, en démontrant les lois de l’attraction, pour dire qu’il en ignorait la cause. Il ajouta que c’était peut-être une impulsion, peut-être une substance légère prodigieusement élastique, répandue dans la nature. Il tâchait apparemment d’apprivoiser par ces peut-être les esprits effarouchés du mot d’attraction, et d’une propriété de la matière qui agit dans tout l’univers sans toucher à rien.

 

Le premier qui osa dire (du moins en France) qu’il est impossible que l’impulsion soit la cause de ce grand et universel phénomène s’expliqua ainsi, lors même que les tourbillons et la matière subtile étaient encore fort à la mode :

 

« On voit l’or, le plomb, le papier, la plume, tomber également vite, et arriver au fond du récipient en même temps dans la machine pneumatique.

 

Ceux qui tiennent encore pour le plein de Descartes, pour les prétendus effets de la matière subtile, ne peuvent rendre aucune bonne raison de ce fait ; car les faits sont leurs écueils. Si tout était plein, quand on leur accorderait qu’il pût y avoir alors du mouvement (ce qui est absolument impossible), au moins cette prétendue matière subtile remplirait exactement le récipient, elle y serait en aussi grande quantité que de l’eau ou du mercure qu’on y aurait mis :l elle s’opposerait au moins à cette descente si rapide des corps ; elle résisterait à ce large morceau de papier selon la surface de ce papier, et laisserait tomber la balle d’or ou de plomb beaucoup plus vite : mais ces chutes se font au même instant : donc il n’y a rien dans le récipient qui résiste ; donc cette prétendue matière subtile ne peut faire aucun effet sensible dans ce récipient ; donc il y a une autre force qui fait la pesanteur.

 

En vain dirait-on qu’il reste une matière subtile dans ce récipient, puisque la lumière le pénètre. Il y a bien de la différence : la lumière qui est dans ce vase de verre n’en occupe certainement pas la cent millième partie ; mais, selon les cartésiens, il faut que leur matière imaginaire remplisse bien plus exactement le récipient que si je le supposais rempli d’or ; car il y a beaucoup de vide dans l’or, et ils n’en admettent point dans leur matière subtile.

 

Or, par cette expérience, la pièce d’or, qui pèse cent mille fois plus que le morceau de papier, est descendue aussi vite que le papier ; donc la force qui l’a fait descendre a agi cent mille fois plus sur elle que sur le papier ; de même qu’il faudra cent fois plus de force à mon bras pour remuer cent livres que pour remuer un livre ; donc cette puissance qui opère la gravitation agit en raison directe de la masse des corps : elle agit en effet tellement sur la masse des corps, non selon les surfaces, qu’un morceau d’or réduit en poudre descend dans la machine pneumatique aussi vite que la même quantité d’or étendue en feuille. La figure du corps ne change ici en rien sa gravité : ce pouvoir de gravitation agit donc sur la nature interne des corps, et non en raison des superficies.

 

On n’a jamais pu répondre à ces vérités pressantes que par une supposition aussi chimérique que les tourbillons. On suppose que la matière subtile prétendue, qui remplit tout le récipient, ne pèse point. Etrange idée, qui devient absurde ici ; car il ne s’agit pas dans le cas présent d’une matière qui ne pèse pas, mais d’une matière qui ne résiste pas. Toute matière résiste par sa force d’inertie ; donc si le récipient était plein, la matière quelconque qui le remplirait résisterait infiniment, cela paraît démontré en rigueur.

 

Ce pouvoir ne réside point dans la prétendue matière subtile. Cette matière serait un fluide ; tout fluide agit sur les solides en raison de leurs superficies : ainsi le vaisseau, présentant moins de surface par sa proue, fend la mer qui résisterait à ses flancs. Or, quand la superficie d’un corps est le carré de son diamètre, la solidité de ce corps est le cube de ce même diamètre ; le même pouvoir ne peut agir à la fois en raison du cube et du carré ; donc la pesanteur, la gravitation n’est point l’effet de ce fluide. De plus, il est impossible que cette prétendue matière subtile ait, d’un côté, assez de force pour précipiter un corps de cinquante-quatre mille pieds de haut en une minute (car telle est la chute des corps), et que de l’autre elle soit assez impuissante pour ne pouvoir empêcher le pendule du bois le plus léger de remonter de vibration en vibration dans la machine pneumatique dont cette matière imaginaire est supposée remplir exactement tout l’espace. Je ne craindrai donc point d’affirmer que si l’on découvrait jamais une impulsion qui fût la cause de la pesanteur d’un corps vers un centre, en un mot, la cause de la gravitation, de l’attraction universelle, cette impulsion serait d’une toute autre nature que celle qui nous est connues. »

 

Cette philosophie fut d’abord très mal reçue ; mais il y a des gens dont le premier aspect choque et auxquels on s’accoutume.

 

La contradiction est utile ; mais l’auteur du Spectacle de la nature n’a-t-il pas un peu outré ce service rendu à l’esprit humain, lorsqu’à la fin de son Histoire du ciel il a voulu donner des ridicules à Newton, et ramener les tourbillons sur les pas d’un écrivain nommé Privat de Molières ?

 

« Il vaudrait mieux, dit-il, se tenir en repos, que d’exercer laborieusement sa géométrie à calculer et à mesurer des actions imaginaires, et qui ne nous apprennent rien, etc. »

 

Il est pourtant assez reconnu que Galilée, Kepler et Newton nous ont appris quelque chose. Ce discours de M. Pluche ne s’éloigne pas beaucoup de celui que M. Algarotti rapporte dans le Newtonianismo per le dame, d’un brave Italien qui disait : »Souffrirons-nous qu’un Anglais nous instruise ? »

 

Pluche va plus loin, il raille ; il demande comment un homme, dans une encoignure de l’église de Notre-Dame, n’est pas attiré et collé à la muraille ?

 

Huygens et Newton auront donc en vain démontré, par le calcul de l’action des forces centrifuges et centripètes, que la terre est un peu aplatie vers les pôles ? Vient un Pluche qui vous dit froidement que les terres ne doivent être plus hautes vers l’équateur qu’afin que « les vapeurs s’élèvent plus dans l’air, et que les nègres de l’Afrique ne soient pas brûlés de l’ardeur du soleil. »

 

Voilà, je l’avoue, une plaisante raison. Il s’agissait alors de savoir si, par les lois mathématiques, le grand cercle de l’équateur terrestre surpasse le cercle du méridien d’un cent soixante et dix-huitième ; et on veut nous persuader que si la chose est ainsi, ce n’est point en vertu de la théorie des forces centrales, mais uniquement pour que les nègres aient environ cent soixante-dix-huit gouttes de vapeur sur leurs têtes, tandis que les habitants du Spitzberg n’en auront que cent soixante-dix-sept.

 

Le même Pluche, continuant ses railleries de collège, dit ces propres paroles : « Si l’attraction a pu élargir l’équateur… qui empêchera de demander si ce n’est pas l’attraction qui a mis en saillie le devant du globe de l’œil, et qui a élancé au milieu du visage de l’homme ce morceau de cartilage qu’on appelle le nez ? (1) »

 

Ce qu’il y a de pis, c’est que l’Histoire du ciel et le Spectacle de la nature contiennent de très bonnes choses pour les commençants ; et que les erreurs ridicules, prodiguées à côté de vérités utiles, peuvent aisément égarer des esprits qui ne sont pas encore formés (2) !

 

 

D comme DE FRANCOIS BACON

 

 

 

 

1 – En effet, Maupertuis, dans un petit livre intitulé la Vénus physique, avance cette étrange opinion.

 

2 – Si le jugement que Voltaire porte sur le premier Bacon ne paraît pas assez pompeux à M. Pierre Leroux, la glorification que le dix-huitième siècle a faite du second Bacon semble outrée et fausse en tous points au même écrivain. Il aime mieux voir en celui-ci un grand théologien, imbu de l’idée du progrès de l’humanité, qu’un philosophe précurseur de ce dix-huitième qu’il considère comme anti-idéaliste. Nous notons ces deux manières de voir parce qu’elles peuvent servir à caractériser certaine doctrine philosophique qui eut sous Louis-Philippe un moment de vogue, par esprit d’opposition à l’enseignement universitaire d’alors. Les disciples de l’école écossaise avaient en effet pour la Baconisme la même admiration que le dix-huitième siècle. (G.A.)

 

 

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