DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : C comme CUISSAGE ou CULAGE

Publié le par loveVoltaire

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C comme CUISSAGE ou CULAGE.

 

Droit de prélibation, de marquette, etc.

 

 

 

 

 

         Dion Cassius, ce flatteur d’Auguste, ce détracteur de Cicéron (parce que Cicéron avait défendu la cause de la liberté) ; cet écrivain sec et diffus, ce gazetier des bruits populaires, ce Dion Cassius rapporte que des sénateurs opinèrent pour récompenser César de tout le mal qu’il avait fait à la république, de lui donner le droit de coucher, à l’âge de cinquante-sept ans, avec toutes les dames qu’il daignerait honorer de ses faveurs. Et il se trouve encore parmi nous des gens assez bons pour croire cette ineptie. L’auteur même de l’Esprit des lois la prend pour une vérité, et en parle comme d’un décret qui aurait passé dans le sénat romain, sans l’extrême modestie du dictateur, qui se sentit peu propre à remplir les vœux du sénat. Mais si les empereurs romains n’eurent pas ce droit par un sénatus-consulte appuyé d’un plébiscite, il est très vraisemblable qu’ils l’obtinrent par la courtoisie des dames. Les Marc-Aurèle, les Julien, n’usèrent point de ce droit ; mais tous les autres l’étendirent autant qu’ils le purent.

 

         Il est étonnant que dans l’Europe chrétienne on ait fait très longtemps une espèce de loi féodale, et que du moins on ait regardé comme un droit coutumier l’usage d’avoir le pucelage de sa vassale. La première nuit des noces de la fille du vilain appartenait sans contredit au seigneur.

 

         Ce droit s’établit comme celui de marcher avec un oiseau sur le poing, et de se faire encenser à la messe. Les seigneurs, il est vrai, ne statuèrent pas que les femmes de leurs vilains leur appartiendraient, ils se bornèrent aux filles ; la raison en est plausible. Les filles sont honteuses, il faut un peu de temps pour les apprivoiser. La majesté des lois les subjugue tout d’un coup ; les jeunes fiancées donnaient donc sans résistance la première nuit de leurs noces au seigneur châtelain ou au baron, quand il les jugeait dignes de cet honneur.

 

         On prétend que cette jurisprudence commença en Ecosse ; je le croirais volontiers : les seigneurs écossais avaient un pouvoir encore plus absolu sur leurs clans, que les barons allemands et français sur leurs sujets.

 

         Il est indubitable que des abbés, des évêques, s’attribuèrent cette prérogative en qualité de seigneurs temporels : et il n’y a pas bien longtemps que des prélats se sont désistés de cet ancien privilège pour des redevances en argent, auxquelles ils avaient autant de droit qu’aux pucelages des filles (1).

 

         Mais remarquons bien que cet excès de tyrannie ne fut jamais approuvé par aucune loi publique. Si un seigneur ou un prélat avait assigné par devant un tribunal réglé une fille fiancée à un de ses vassaux, pour venir lui payer sa redevance, il eût perdu sans doute sa cause avec dépens.

 

         Saisissons cette occasion d’assurer qu’il n’y a jamais eu de peuple un peu civilisé qui ait établi des lois formelles contre les mœurs ; je ne crois pas qu’il y en ait un seul exemple. Des abus s’établissent, on les tolère ; ils passent en coutume ; les voyageurs les prennent pour des lois fondamentales. Ils ont vu, disent-ils, dans l’Asie de saints mahométans bien crasseux marcher tout nus, et de bonnes dévotes venir leur baiser ce qui ne mérite pas de l’être ; mais je les défie de trouver dans l’Alcoran une permission à des gueux de courir tout nus, et de faire baiser leur vilenie par des dames.

 

         On me citera, pour me confondre, le Phallum que les Egyptiens portaient en procession, et l’idole Jaganat des Indiens. Je répondrai que cela n’est pas plus contre les mœurs que de s’aller faire couper le prépuce en cérémonie à l’âge de huit ans. On a porté dans quelques-unes de nos villes le saint prépuce en procession ; on le garde encore dans quelques sacristies, sans que cette facétie ait causé le moindre trouble dans les familles. Je puis encore assurer qu’aucun concile, aucun arrêt de parlement n’a jamais ordonné qu’on fêterait le saint prépuce.

 

         J’appelle loi contre les mœurs une loi publique qui me prive de mon bien, qui m’ôte ma femme pour la donner à un autre ; et je dis que la chose est impossible.

 

         Quelques voyageurs prétendent qu’en Laponie des maris sont venus leur offrir leurs femmes par politesse ; c’est une plus grande politesse à moi de les croire. Mais je leur soutiens qu’ils n’ont jamais trouvé cette loi dans le code de la Laponie, de même que vous ne trouverez ni dans les constitutions de l’Allemagne, ni dans les ordonnances des rois de France, ni dans les registres du parlement d’Angleterre, aucune loi positive qui adjuge le droit de cuissage aux barons.

        

         Des lois absurdes, ridicules, barbares, vous en trouverez partout ; des lois contre les mœurs, nulle part.

 

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1 – Le seigneur de Saint-Martin-le-Gaillard, dans le comté d’Eu, était un de ceux qui s’étaient attribué ce prétendu droit. On lit dans un procès-verbal de 1507 fait pour évaluer ce comté : Item, a ledit seigneur audit lieu Saint-Martin, droit de cullage quand on se marie. Les seigneurs de Sontoire jouissaient d’un droit semblable. Les seigneurs de Prelley et de Parsanny, en Piémont, usaient de ce privilège qu’ils appelaient carragio. L’évêque d’Amiens avait autrefois exigé, lui, un droit en argent des nouveaux mariés, pour leur donner congé de coucher avec leurs femmes la première, seconde et troisième nuits de leurs noces. (G.A.)

 

 

 

 

 

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