DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : C comme CONTRADICTIONS - Partie 2
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C comme CONTRADICTIONS.
- Partie 2 -
Des contradictions dans les affaires
et dans les hommes.
Si quelque société littéraire veut entreprendre le dictionnaire des contradictions, je souscris pour vingt volumes in-folio.
Le monde ne subsiste que de contradictions ; que faudrait-il pour les abolir ? assembler les états du genre humain. Mais de la manière dont les hommes sont faits, ce serait une nouvelle contradiction s’ils étaient d’accord. Assemblez tous les lapins de l’univers, il n’y aura pas deux avis différents parmi eux.
Je ne connais que deux sortes d’êtres immuables sur la terre, les géomètres et les animaux ; ils sont conduits par deux règles invariables, la démonstration et l’instinct : et encore les géomètres ont-ils eu quelques disputes ; mais les animaux n’ont jamais varié.
Des contradictions dans les hommes
et dans les affaires.
Les contrastes, les jours et les ombres sous lesquels on représente dans l’histoire les hommes publics, ne sont pas des contradictions, ce sont des portraits fidèles de la nature humaine.
Tous les jours on condamne et on admire Alexandre le meurtrier de Clitus, mais le vengeur de la Grèce, le vainqueur des Perses et le fondateur d’Alexandrie ;
César le débauché, qui vole le trésor public de Rome pour asservir sa patrie, mais dont la clémence égale la valeur, et dont l’esprit égale le courage ;
Mahomet, imposteur, brigand, mais le seul des législateurs religieux qui ait eu du courage, et qui ai fondé un grand empire ;
L’enthousiaste Cromwell, fourbe dans le fanatisme même, assassin de son roi en forme juridique ; mais aussi profond politique que valeureux guerrier.
Mille contrastes se présentent souvent en foule, et ces contrastes sont dans la nature ; ils ne sont pas plus étonnants qu’un beau jour suivi de la tempête.
Des contradictions apparentes dans les livres.
Il faut soigneusement distinguer dans les écrits, et surtout dans les livres sacrés, les contradictions apparentes et les réelles. Il est dit dans le Pentateuque que Moïse était le plus doux des hommes, et qu’il fit égorger vingt-trois mille Hébreux qui avaient adoré le veau d’or, et vingt-quatre mille qui avaient ou épousé, comme lui, ou fréquenté des femmes madianites ; mais de sages commentateurs ont prouvé solidement que Moïse était d’un naturel très doux, et qu’il n’avait fait qu’exécuter les vengeances de Dieu en faisant massacrer ces quarante-sept mille Israélites coupables, comme nous l’avons déjà vu.
Des critiques hardis ont cru apercevoir une contradiction dans le récit où il est dit que Moïse changea toutes les eaux de l’Egypte en sang, et que les magiciens de Pharaon firent ensuite le même prodige, sans que l’Exode mette aucun intervalle entre le miracle de Moïse et l’opération magique des enchanteurs.
Il paraît d’abord impossible que ces magiciens changent en sang ce qui est déjà devenu sang ; mais cette difficulté peut se lever en supposant que Moïse avait laissé les eaux reprendre leur première nature, pour donner au pharaon le temps de rentrer en lui-même. Cette supposition est d’autant plus plausible, que si le texte ne la favorise pas expressément, il ne lui est pas contraire.
Les mêmes incrédules demandent comment tous les chevaux ayant été tués par la grêle dans la sixième plaie, Pharaon put poursuivre la nation juive avec de la cavalerie ? Mais cette contradiction n’est pas même apparente, puisque la grêle, qui tua tous les chevaux qui étaient aux champs, ne put tomber sur ceux qui étaient dans les écuries ;
Une des plus fortes contradictions qu’on ait cru trouver dans l’histoire des Rois, est la disette totale d’armes offensives et défensives chez les Juifs à l’avènement de Saül, comparée avec l’armée de trois cent trente mille combattants que Saül conduit contre les Ammonites qui assiégeaient Jabès en Galaad.
Il est rapporté en effet qu’alors, et même après cette bataille, il n’y avait pas une lance, pas une seule épée chez tout le peuple hébreu que les Philistins empêchaient les Hébreux de forger des épées et des lances ; que les Hébreux étaient obligés d’aller chez les Philistins pour faire aiguiser le soc de leurs charrues, leur hoyaux, leurs cognées et leurs serpettes.
Cet aveu semble prouver que les Hébreux étaient en très petit nombre, et que les Philistins étaient une nation puissante, victorieuse, qui tenait les Israélites sous le joug, et qui les traitait en esclaves ; qu’enfin il n’était pas possible que Saül eût assemblé trois cent trente mille combattants, etc.
Le révérend père dom Calmet dit « qu’il est croyable qu’il y a un peu d’exagération dans ce qui est dit ici de Saül et de Jonathas ; » mais ce savant homme oublie que les autres commentateurs attribuent les premières victoires de Saül et de Jonathas à un de ces miracles évidents que Dieu daigna faire si souvent en faveur de son pauvre peuple. Jonathas, avec son seul écuyer, tua d’abord vingt ennemis ; et les Philistins, étonnés, tournèrent leurs armes les uns contre les autres. L’auteur du livre des Rois dit positivement que ce fut comme un miracle de Dieu, accidit quasi miraculum à Deo. Il n’y a donc point là de contradiction.
Les ennemis de la religion chrétienne, les Celse, les Porphyre, les Julien, ont épuisé la sagacité de leur esprit sur cette matière. Des auteurs juifs se sont prévalus de tous les avantages que leur donnait la supériorité de leurs connaissances dans la langue hébraïque pour mettre au jour ces contradictions apparentes ; ils ont été suivis même par des chrétiens tels que milord Herbert, Wollaston, Tindal, Toland, Collins, Shaftesbury, Woolston, Gordon, Bolingbroke, et plusieurs auteurs de divers pays. Fréret, secrétaire perpétuel de l’Académie des belles-lettres de France, le savant Leclerc même, Simon de l’Oratoire, ont cru apercevoir quelques contradictions qu’on pouvait attribuer aux copistes. Une foule d’autres critiques ont voulu relever et réformer des contradictions qui leur ont paru inexplicables.
On lit dans un livre dangereux fait avec beaucoup d’art (1) :
« Saint Matthieu et saint Luc donnent chacun une généalogie de Jésus-Christ différente ; et pour qu’on ne croie pas que ce sont de ces différences légères qu’on peut attribuer à méprise ou inadvertance, il est aisé de s’en convaincre par ses yeux en lisant Matthieu au chap. I, et Luc au chap. III : on verra qu’il y a quinze générations de plus dans l’une que dans l’autre ; que depuis David elles se séparent absolument ; qu’elles se réunissent à Salathiel ; mais qu’après son fils elles se séparent de nouveau, et ne se réunissent plus qu’à Joseph.
Dans la même généalogie, saint Matthieu tombe encore dans une contradiction manifeste ; car il dit qu’Osias était père de Jonathan, et dans les Paralipomènes, livres Ier, chap. III, v. 11 et 12, on trouve trois générations entre eux : savoir, Joas, Amazias, Azarias, desquels Luc ne parle pas plus que Matthieu. De plus, cette généalogie ne fait rien à celle de Jésus, puisque, selon notre loi, Joseph n’avait eu aucun commerce avec Marie. »
Pour répondre à cette objection faite depuis le temps d’Origène, et renouvelée de siècle en siècle, il faut lire Julius Africanus. Voici les deux généalogies conciliées dans la table suivante telle qu’elle se trouve dans la Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques.
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DAVID.
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SALOMON et ses descendants, rapportés par St-Matthieu. |
| NATHAN et des descendants, rapportés par St-Luc. |
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ESTHA.
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MATHAN, premier mari. |
| MELCHI, ou plutôt MATHAT, second mari. |
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Leur femme commune dont on ne sait point le nom ; mariée premièrement à HÉLI, dont elle n’a point eu d’enfant, et ensuite à JACOB son frère.
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JOSEPH, fils naturel de JACOB. |
| Fils d’HÉLI, selon la loi. |
Il y a une autre manière de concilier les deux généalogies par saint Epiphane.
Selon lui, Jacob Panther, descendu de Salomon, est père de Joseph et de Cléophas.
Joseph a de sa première femme six enfants : Jacques, Josué, Siméon Juda, Marie, et Salomé.
Il épouse ensuite la vierge Marie, mère de Jésus, fille de Joachim et d’Anne.
Il y a plusieurs autres manières d’expliquer ces deux généalogies. Voyez l’ouvrage de dom Calmet, intitulé : Dissertation où l’on essaie de concilier saint Matthieu avec saint Luc sur la généalogie de Jésus-Christ (2).
Les mêmes savants incrédules qui ne sont occupés qu’à comparer des dates, à examiner les livres et les médailles, à confronter les anciens auteurs, à chercher la vérité avec la prudence humaine, et qui perdent par leur science la simplicité de la foi, reprochent à saint Luc de contredire les autres Evangiles, et de s’être trompé dans ce qu’il avance sur la naissance du Sauveur. Voici comme s’en explique témérairement l’auteur de l’Analyse de la religion chrétienne (page 25) :
« Saint Luc dit que Cyrénius avait le gouvernement de Syrie lorsque Auguste fit faire le dénombrement de tout l’empire. On va voir combien il se rencontre de faussetés évidentes dans ce peu de mots.
1° - Tacite et Suétone, les plus exacts de tous les historiens, ne disent pas un mot du prétendu dénombrement de tout l’empire, qui assurément eût été un événement bien singulier, puisqu’il n’y en eut jamais sous aucun empereur ; du moins aucun auteur ne rapporte qu’il y en ait eu ;
2° – Cyrénius ne vint dans la Syrie que dix ans après le temps marqué par Luc ; elle était alors gouvernée par Quintilius Varus, comme Tertullien le rapporte, et comme il est confirmé par les médailles. »
On avouera qu’en effet il n’y eut jamais de dénombrement de tout l’empire romain, et qu’il n’y eut qu’un cens de citoyens romains, selon l’usage. Il se peut que des copistes aient écrit dénombrement pour cens. A l’égard de Cyrénius, que les copistes ont transcrit Cyrinus, il est certain qu’il n’était pas gouverneur de la Syrie dans le temps de la naissance de notre Sauveur, et que c’était alors Quintilius Varus ; mais il est très naturel que Quintilius Varus ait envoyé en Judée ce même Cyrénius qui lui succéda, dix ans après, dans le gouvernement de la Syrie. On ne doit point dissimuler que cette explication laisse encore quelques difficultés.
Premièrement, le cens fait sous Auguste ne se rapporte point au temps de la naissance de Jésus-Christ.
Secondement, les Juifs n’étaient point compris dans ce cens. Joseph et son épousé n’étaient point citoyens romains. Marie ne devait donc point, dit-on, partir de Nazareth, qui est à l’extrémité de la Judée, à quelques milles du mont Thabor, au milieu du désert, pour aller accoucher à Bethléem, qui est à quatre-vingts milles de Nazareth.
Mais il se peut très aisément que Cyrinus ou Cyrénius étant venu à Jérusalem de la part de Quintilius Varus pour imposer un tribut par tête, Joseph et Marie eussent reçu l’ordre du magistrat de Bethléem de venir se présenter pour payer le tribut dans le bourg de Bethléem, lieu de naissance ; il n’y a rien là qui soit contradictoire.
Les critiques peuvent tâcher d’infirmer cette solution, en représentant que c’était Hérode seul qui imposait les tributs ; que les Romains ne levaient rien alors sur la Judée ; qu’Auguste laissait Hérode maître absolu chez lui, moyennant le tribut que cet Iduméen payait à l’empire. Mais on peut dans un besoin s’arranger avec un prince tributaire, et lui envoyer un intendant pour établir de concert avec lui la nouvelle taxe.
Nous ne dirons point ici, comme tant d’autres, que les copistes ont commis beaucoup de fautes, et qu’il y en a plus de six mille dans la version que nous avons. Nous aimons mieux dire avec les docteurs et les plus éclairés, que les Evangiles nous ont été donnés pour nous enseigner à vivre saintement, et non pas à critiquer savamment (3).
Ces prétendues contradictions firent un effet bien terrible sur le déplorable Jean Meslier, curé d’Etrepigni et du But en Champagne ; cet homme vertueux, à la vérité, et très charitable, mais sombre et mélancolique, n’ayant guère d’autres livres que la Bible et quelques Père, les lut avec une attention qui lui devint fatale ; il ne fut pas assez docile, lui qui devait enseigner la docilité à son troupeau. Il vit les contradictions apparentes, et ferma les yeux sur la conciliation. Il crut voir des contradictions affreuses entre Jésus né Juif, et ensuite reconnu Dieu ; entre ce Dieu d’abord connu pour le fils de Joseph, charpentier, et le frère de Jacques, mais descendu d’un empyrée qui n’existe point, pour détruire le péché sur la terre, et la laissant couverte de crimes ; entre ce Dieu né d’un vil artisan, et descendant de David par son père qui n’était pas son père ; entre le créateur de tous les mondes, et le petit-fils de l’adultère Bethsabée, de l’impudente Ruth, de l’incestueuse Tamar, de la prostituée de Jéricho, et de la femme d’Abraham ravie par un roi d’Egypte, ravie ensuite à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Meslier étale avec une impiété monstrueuse toutes ces prétendues contradictions qui le frappèrent, et dont il lui aurait été aisé de voir la solution, pour peu qu’il eût eu l’esprit docile. Enfin sa tristesse s’augmentant dans sa solitude, il eut le malheur de prendre en horreur la sainte religion qu’il devait prêcher et aimer ; et, n’écoutant plus que sa raison séduite, il abjura le christianisme par un testament olographe, dont il laissa trois copies à sa mort, arrivée en 1732. L’extrait de ce testament a été imprimé plusieurs fois, et c’est un scandale bien cruel. Un curé qui demande pardon à Dieu et à ses paroissiens, en mourant, de leur avoir enseigné des dogmes chrétiens ! un curé charitable qui a le christianisme en exécration, parce que plusieurs chrétiens sont méchants, que le faste de Rome le révolte, et que les difficultés des saints livres l’irritent ! un curé qui parle du christianisme comme Porphyre, Jamblique, Epictète, Marc-Aurèle, Julien ! et cela lorsqu’il est près de paraître devant Dieu ! Quel coup funeste pour lui et pour ceux que son exemple peut égarer (4) !
C’est ainsi que le malheureux prédicant Antoine (5), trompé par les contradictions apparentes qu’il crut voir entre la nouvelle loi et l’ancienne, entre l’olivier franc et l’olivier sauvage, eut le malheur de quitter la religion chrétienne pour la religion juive ; et, plus hardi que Jean Meslier, il aima mieux mourir que se rétracter.
On voit, par le testament de Jean Meslier, que c’étaient surtout les contrariétés apparentes des Evangiles qui avaient bouleversé l’esprit de ce malheureux pasteur, d’ailleurs d’une vertu rigide, et qu’on ne peut regarder qu’avec compassion. Meslier est profondément frappé des deux généalogies qui semblent se combattre, il n’en avait pas vu la conciliation ; il se soulève, il se dépite, en voyant que saint Matthieu fait aller le père, la mère et l’enfant en Egypte, après avoir reçu l’hommage des trois mages ou rois d’Orient, et pendant que le vieil Hérode, craignant d’être détrôné par un enfant qui vient de naître à Bethléem, fait égorger tous les enfants du pays pour prévenir cette révolution. Il est étonné que ni saint Luc, ni saint Jean, ni saint Marc, ne parlent de ce massacre. Il est confondu quand il voit que saint Luc fait rester saint Joseph, la bienheureuse vierge Marie, et Jésus notre sauveur, à Bethléem, après quoi ils se retirèrent à Nazareth. Il devait voir que la sainte famille pouvait aller d’abord en Egypte, et quelque temps après à Nazareth sa patrie.
Si saint Matthieu seul parle des trois mages et de l’étoile qui les conduisit du fond de l’Orient à Bethléem, et du massacre des enfants, si les autres évangélistes n’en parlent pas, ils ne contredisent point saint Matthieu ; le silence n’est point une contradiction.
Si les trois premiers évangélistes, saint Matthieu, saint Marc et saint Luc, ne font vivre Jésus-Christ que trois mois depuis son baptême en Galilée jusqu’à son supplice à Jérusalem ; et si saint Jean le fait vivre trois ans et trois mois, il est aisé de rapprocher saint Jean des trois autres évangélistes, puisqu’il ne dit point expressément que Jésus-Christ prêcha en Galilée pendant trois ans et trois mois, et qu’on l’infère seulement de ses récits. Fallait-il renoncer à sa religion sur de simples inductions, sur de simples raisons de controverse, sur des difficultés de chronologie ?
Il est impossible, dit Meslier, d’accorder saint Matthieu et saint Luc, quand le premier dit que Jésus en sortant du désert alla à Capharnaüm, et le second qu’il alla à Nazareth.
Saint Jean dit que ce fut André qui s’attacha le premier à Jésus-Christ ; les trois autres évangélistes disent que ce fut Simon Pierre.
Il prétend encore qu’ils se contredisent sur le jour où Jésus célébra sa pâque, sur l’heure de son supplice, sur le lieu, sur le temps de son apparition, de sa résurrection. Il est persuadé que des livres qui se contredisent ne peuvent être inspirés par le Saint-Esprit ; mais il n’est pas de foi que le Saint-Esprit ait inspiré toutes les syllabes ; il ne conduisit pas la main de tous les copistes, il laissa agir les causes secondes : c’était bien assez qu’il daignât nous révéler les principaux mystères, et qu’il instituât dans la suite des temps une Eglise pour les expliquer. Toutes ces contradictions, reprochées si souvent aux Evangiles avec une si grande amertume, sont mises au grand jour par les sages commentateurs ; loin de se nuire, elles s’expliquent chez eux l’une par l’autre ; elles se prêtent un mutuel secours dans les concordances, et dans l’harmonie des quatre Evangiles.
Et s’il y a plusieurs difficultés qu’on ne peut expliquer, des profondeurs qu’on ne peut comprendre, des aventures qu’on ne peut croire, des prodiges qui révoltent la faible raison humaine, des contradictions qu’on ne peut concilier, c’est pour exercer notre foi, et pour humilier notre esprit.
Contradiction dans les jugements sur les ouvrages.
J’ai quelquefois entendu dire d’un bon juge plein de goût : Cet homme ne décide que par humeur ; il trouvait hier le Poussin un peintre admirable ; aujourd’hui il le trouve très médiocre. C’est que le Poussin, en effet, a mérité de grands éloges et des critiques.
On ne se contredit point quand on est en extase devant les belles scènes d’Horace et de Curiace, du Cid et de Chimène, d’Auguste et de Cinna ; et qu’on voit ensuite, avec un soulèvement de cœur mêlé de la plus vive indignation, quinze tragédies de suite sans aucun intérêt, sans aucune beauté, et qui ne sont pas même écrites en français.
C’est l’auteur qui se contredit : c’est lui qui a le malheur d’être entièrement différent de lui-même. Le juge se contredirait s’il applaudissait également l’excellent et le détestable. Il doit admirer dans Homère la peinture des Prières qui marchent après l’Injure, les yeux mouillés de pleurs ; la ceinture de Vénus ; les adieux d’Hector et d’Andromaque ; l’entrevue d’Achille et de Priam. Mais doit-il applaudir de même à des dieux qui se disent des injures, et qui se battent ; à l’uniformité des combats qui ne décident rien ; à la brutale férocité des héros ; à l’avarice qui les domine presque tous enfin à un poème qui finit par une trêve de onze jours, laquelle fait sans doute attendre la continuation de la guerre et la prise de Troie, que cependant on ne trouve point ?
Le bon juge passe souvent de l’approbation au blâme, quelque bon livre qu’il puisse lire.
1 – Analyse de la religion chrétienne, page 22, attribuée à Saint-Evremond. (Voltaire.) – Cet ouvrage a été mis aussi sous le nom de Dumarsais. (G.A.)
2 – Nous avons donné plus haut l’opinion de M. G. d’Eichthal sur les généalogies, voici maintenant celle de M. Peyrat (Histoire élémentaire de Jésus), qui conclut comme M. d’Eichthal : « Ces généalogies n’ont aucune valeur historique. Pour atténuer l’effet des contradictions et des erreurs matérielles qu’elles renferment, on a torturé le texte des Paralipomènes, violenté les noms propres, accumulé les hypothèses ; et tous les efforts faits pour concilier, d’un côté les deux évangélistes avec l’Ancien Testament, de l’autre les deux évangélistes entre eux, n’ont servi qu’à démontrer l’impossibilité de toute conciliation. » (G.A.)
3 – Dans son troisième chapitre de l’Histoire élémentaire de Jésus, M. Peyrat disserte sur le dénombrement absolument comme dit ici Voltaire. Comparez. (G.A.)
4 – Au moment de la grande déprêtrisation de 93, le 27 brumaire an II, Anacharsis Cloots, député à la Convention et neveu du célèbre philosophe de Paw, tint le discours suivant : « Il est reconnu que les adversaires de la religion ont bien mérité du genre humain ; c’est à ce titre que je demande pour le premier ecclésiastique abjureur, une statue dans le temple de la Raison. Il suffira de le nommer pour obtenir un décret favorable de la Convention nationale : c’est l’intrépide, le généreux, l’exemplaire Jean Meslier, curé d’Etrépigny, en Champagne, dont le Testament philosophique porta la désolation dans la Sorbonne et parmi toutes les factions christicoles. La mémoire de cet honnête homme, flétrie sous l’ancien régime, doit être réhabilitée sous le régime de la nature, etc. »
La proposition d’ Anacharsis Cloost, prise en considération, fut renvoyée au comité d’instruction publique dont il était membre, et son discours fut imprimé et expédié à tous les départements. (G.A.)
5 – Prêtre de Pont-à-Mousson, en Lorraine. Voltaire raconte toute son histoire à l’article MIRACLES. (G.A.)