DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : C comme CLOU

Publié le par loveVoltaire

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 Photo de PAPAPOUSS
 
 
 
 
 
 
 
 
C comme CLOU.
 
 
 
 
 
          Nous ne nous arrêterons pas à remarquer la barbarie agreste qui fit clou de clavus, et Cloud de Clodoaldus, et clou de girofle, quoique le girofle ressemble fort mal à un clou, et clou, maladie de l’œil, clou, tumeur de la peau, etc. Ces expressions viennent de la négligence et de la stérilité de l’imagination : c’est la honte d’un langage.
 
          Nous demandons seulement ici aux réviseurs de livres la permission de transcrire ce que le missionnaire Labat, dominicain, provéditeur du saint-office, a écrit sur le clou de la croix, à laquelle il est plus que probable que jamais aucun clou ne fut attaché.
 
          « (1) Le religieux italien qui nous conduisait eut assez de crédit pour nous faire voir entre autres un des clous dont notre Seigneur fut attaché à la croix. Il me parut bien différent de celui que les bénédictins font voir à Saint-Denys. Peut-être que celui de Saint-Denys avait servi pour les pieds, et qu’il devait être plus grand que celui des mains. Il fallait pourtant que ceux des mains fussent assez grands et assez forts pour soutenir tout le poids du corps. Mais il faut que les Juifs aient employé plus de quatre clous, ou que quelques-uns de ceux qu’on expose à la vénération des fidèles ne soient pas bien authentiques ; car l’histoire rapporte que sainte Hélène en jeta un dans la mer pour apaiser une tempête furieuse qui agitait son vaisseau. Constantin se servit d’un autre pour faire le mors de la bride de son cheval. On en montre un tout entier à Saint-Denys en France, et un autre aussi tout entier à Sainte-Croix de Jérusalem à Rome. Un auteur romain de notre siècle, très célèbre, assure que la couronne de fer dont on couronne les empereurs en Italie, est faite d’un de ces clous. On voit à Rome et à Carpentras deux mors de bride aussi faits de ces clous, et on en fait voir encore en d’autres endroits. Il est vrai qu’on a la discrétion de dire de quelques-uns tantôt que c’est la pointe, et tantôt que c’est la tête. »
 
          Le missionnaire parle sur le même ton de toutes les reliques. Il dit au même endroit que lorsqu’on apporta de Jérusalem à Rome le corps du premier diacre saint Etienne, et qu’on le mit dans le tombeau du diacre saint Laurent, en 557, « saint Laurent se retira de lui-même pour donner la droite à son hôte ; action qui lui acquit le surnom de civil Espagnol (2). »
 
          Ne faisons sur ces passages qu’une réflexion, c’est que si quelque philosophe s’était expliqué dans l’Encyclopédie comme le missionnaire dominicain Labat, une foule de Patouillets et de Nonottes, de Chiniacs, de Chaumeix, et d’autres polissons, auraient crié au déiste, à l’athée, au géomètre.
 
 
Selon ce que l’on peut être
Les choses changent de nom.
 
 
AMPHITRYON, Prologue.
 
     
 
C comme CLOU
 

 

 

1 – Voyages du jacobin Labat, tome VIII, pages 34 et 35.

 

2 – Ce même missionnaire Labat, frère prêcheur, provéditeur du saint-office, qui ne manque pas une occasion de tomber rudement sur les reliques et sur les miracles des autres moines, ne parle qu’avec une noble assurance de tous les prodiges et de toutes les prééminences de l’ordre de saint Dominique. Nul écrivain monastique n’a jamais poussé si loin la vigueur de l’amour-propre conventuel. Il faut voir comme il traite les bénédictins et le Père Martène. « (*) Ingrats bénédictins !... Ah ! P. Martène ! … noire ingratitude que toute l’eau du déluge ne peut effacer !... vous enchérissez sur les Lettres provinciales, et vous retenez le bien des jacobins ! Tremblez, révérends bénédictins de la congrégation de Saint-Vannes… Si P. Martène n’est pas content, il n’a qu’à parler. »

 

C’est bien pis quand il punit le très judicieux et très plaisant voyageur Misson de n’avoir pas excepté les jacobins de tous les moines auxquels il accorde beaucoup de ridicule. Labat traite Misson de bouffon ignorant qui ne peut être lu que de la canaille anglaise. Et ce qu’il y a de mieux, c’est que ce moine fait tous ses efforts pour être plus hardi et plus drôle que Misson. Au surplus, c’était un des plus effrontés convertisseurs que nous eussions ; mais en qualité de voyageur il ressemble à tous les autres, qui croient que tout l’univers a les yeux ouverts sur tous les cabarets où ils ont couché, et sur leurs querelles avec les commis de la douane. (Voltaire.)

 

*  Voyage de Labat (en Espagne et en Italie), tome V, depuis la page 303 jusqu’à la page 313. (Voltaire.)

 
 
 

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