DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE : A comme APOCRYPHES - Partie 2

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A comme APOCRYPHES.

 

DU MOT GREC QUI SIGNIFIE CACHÉ.

 

 

 

 

 

Partie 2

 

 

 

 

 

 

LIVRES APOCRYPHES DE LA NOUVELLE LOI.

 

 

 

          Cinquante Evangiles, tous assez différents les uns des autres, dont il ne nous reste que quatre entiers, celui de Jacques, celui de Nicodème, celui de l’enfance de Jésus, et celui de la naissance de Marie. Nous n’avons des autres que des fragments et de légères notices (1).

 

          Le voyageur Tournefort, envoyé par Louis XIV en Asie, nous apprend que les Géorgiens ont conservé l’Evangile de l’enfance, qui leur a été probablement communiqué par les Arméniens (Tournefort. Let. XIX.)

 

          Dans les commencements plusieurs de ces Evangiles, aujourd’hui reconnus comme apocryphes, furent cités comme authentiques, et furent même les seuls cités. On trouve dans les Actes des apôtres ces mots que prononce saint Paul : «  Il faut se souvenir des paroles du seigneur Jésus ; car lui-même a dit : Il vaut mieux donner que recevoir. »

 

          Saint Barnabé, ou plutôt saint Barnabas, fait parler ainsi Jésus-Christ dans son Epître catholique : « Résistons à toute iniquité, et ayons-la en haine… Ceux qui veulent me voir et parvenir à mon royaume, doivent me suivre par les afflictions et par les peines. »

 

          Saint-Clément, dans sa seconde Epître aux Corinthiens, met dans la bouche de Jésus-Christ ces paroles : « Si vous êtes assemblés dans mon sein, et que vous ne suiviez pas mes commandements, je vous rejetterai, et je vous dirai : Retirez-vous de moi, je ne vous connais pas ; retirez-vous de moi, artisans d’iniquité. »

 

          Il attribue ensuite ces paroles à Jésus-Christ : « Gardez votre chair chaste et le cachet immaculé, afin que vous receviez la vie éternelle. »

 

          Dans les Constitutions apostoliques, qui sont du second siècle, on trouve ces mots : « Jésus-Christ a dit : Soyez des agents de change honnêtes. »

 

          Il y a beaucoup de citations pareilles, dont aucune n’est tirée des quatre Evangiles reconnus dans l’Eglise pour les seuls canoniques. Elles sont pour la plupart tirées de l’Evangile selon les Hébreux, Evangile traduit par saint Jérôme, et qui est aujourd’hui regardé comme apocryphe.

 

          Saint Clément le Romain dit, dans sa seconde Epître : « Le Seigneur étant interrogé quand viendrait son règne, répondit : Quand deux feront un, quand ce qui est dehors sera dedans, quand le mâle sera femelle, et quand il n’y aura ni femelle ni mâle. »

 

          Ces paroles sont tirées de l’Evangile selon les Egyptiens, et le texte est rapporté tout entier par saint Clément d’Alexandrie. Mais à quoi pensait l’auteur de l’Evangile égyptien, et saint Clément lui-même ? les paroles qu’il cite sont injurieuses à Jésus-Christ ; elles font entendre qu’il ne croyait pas que son règne advînt. Dire qu’une chose arrivera « quand deux feront un, quand le mâle sera femelle, » c’est dire qu’elle n’arrivera jamais. C’est comme nous disons : « La semaine des trois jeudis, les calendes grecques ; » un tel passage est bien plus rabbinique qu’évangélique.

 

          Il y eut aussi des Actes des apôtres apocriphes : saint Epiphane les cite (2). C’est dans ces Actes qu’il est rapporté que saint Paul était fils d’un père et d’une mère idolâtres, et qu’il se fit juif pour épouser la fille de Gamaliel ; et qu’ayant été refusé, ou ne l’ayant pas trouvée vierge, il prit le parti des disciples de Jésus. C’est un blasphème contre saint Paul.

 

 

 

 

 

DES AUTRES LIVRES APOCRYPHES DU PREMIER

ET DU SECOND SIÈCLE.

 

 

 

 

I.

 

 

          Livre d’Enoch, septième homme après Adam, lequel fait mention de la guerre des anges rebelles sous leur capitaine Semexia contre les anges fidèles conduits par Michael. L’objet de la guerre était de jouir des filles des hommes, comme il est dit à l’article ANGE (3).

 

 

II.

 

 

          Les Actes de sainte Thècle et de saint Paul, écrits par un disciple nommé Jean, attaché à saint Paul. C’est dans cette histoire que Thècle s’échappe des mains de ses persécuteurs pour aller trouver saint Paul, déguisée en homme. C’est là qu’elle baptise un lion ; mais cette aventure fut retranchée depuis. C’est là qu’on trouve le portrait de Paul, « Staturâ brevi, calvastrum, cruribus curvis, surosum, superciliis junctis, naso aquilino, plenum gratiâ Dei. »

 

          Quoique cette histoire ait été recommandée par saint Grégoire de Nazianze, par saint Ambroise et par saint Jean Crysostôme, etc., elle n’a eu aucune considération chez les autres docteurs de l’Eglise.

 

 

III.

 

 

          La Prédication de Pierre. Cet écrit est aussi appelé l’Evangile, la Révélation de Pierre. Saint Clément d’Alexandrie en parle avec beaucoup d’éloge ; mais on s’aperçut bientôt qu’il était d’un faussaire qui avait pris le nom de cet apôtre.

 

 

IV.

 

 

          Les Actes de Pierre, ouvrage non moins supposé.

 

 

V.

 

 

          Le Testament des douze patriarches. On doute si ce livre est d’un juif ou d’un chrétien. Il est très vraisemblable pourtant qu’il était d’un chrétien des premiers temps ; car il est dit, dans le Testament de Lévi, qu’à la fin de la septième semaine il viendra des prêtres adonnés à l’idolâtrie, bellatores avari, scribœ iniqui, impudici, puerorum corruptores et pecorum ; qu’alors il y aura un nouveau sacerdoce ; que les cieux s’ouvriront ; que la gloire du Très-Haut, et l’esprit d’intelligence et de sanctification s’élèvera sur ce nouveau prêtre. Ce qui semble prophétiser Jésus-Christ.

 

 

VI.

 

 

          La lettre d’Abgar, prétendu roi d’Edesse, à Jésus-Christ, et la réponse de Jésus-Christ au roi Abgar. On croit, en effet, qu’il y avait du temps de Tibère un toparque d’Edesse, qui avait passé du service des Perses à celui des Romains ; mais son commerce épistolaire a été regardé par tous les bons critiques comme une chimère.

 

 

VII.

 

 

          Les Actes de Pilate, les Lettres de Pilate à Tibère sur la mort de Jésus-Christ. La vie de Procula, femme de Pilate.

 

 

VIII.

 

 

          Les Actes de Pierre et de Paul, où l’on voit l’histoire de la querelle de saint Pierre avec Simon le magicien : Abdias, Marcel, et Hégésippe, ont tous trois écrit cette histoire. Saint Pierre dispute d’abord avec Simon à qui  ressuscitera un parent de l’empereur Néron, qui venait de mourir : Simon le ressuscite à moitié, et saint Pierre achève la résurrection. Simon vole ensuite dans l’air, saint Pierre le fait tomber, et le magicien se casse les jambes. L’empereur Néron, irrité de la mort de son magicien, fait crucifier saint Pierre la tête en bas, et fait couper la tête à saint Paul, qui était du parti de saint Pierre.

 

 

IX.

 

 

          Les gestes du bienheureux Paul, apôtre et docteur des nations. Dans ce livre, on fait demeurer saint Paul à Rome deux ans après la mort de saint Pierre. L’auteur dit que quand on eut coupé la tête à saint Paul, il en sortit du lait au lieu de sang, et que Lucina, femme dévote, le fit enterrer à vingt milles de Rome, sur le chemin d’Ostie, dans sa maison de campagne.

 

 

X.

 

 

          Les  Gestes du bienheureux apôtre André. L’auteur raconte que saint André alla prêcher dans la ville des Mirmidons, et qu’il y baptisa tous les citoyens. Un jeune homme, nommé Sostrate, de la ville d’Amazée, qui est du moins plus connue que celle des Mirmidons, vint dire au bienheureux André : « Je suis si beau que ma mère a conçu pour moi de la passion ; j’ai eu horreur pour ce crime exécrable, et j’ai pris la fuite ; ma mère en fureur m’accuse auprès du proconsul de la province de l’avoir voulu violer. Je ne puis rien répondre ; car j’aimerais mieux mourir que d’accuser ma mère. » Comme il parlait ainsi, les gardes du proconsul vinrent se saisir de lui. Saint André accompagna l’enfant devant le juge, et plaida sa cause : la mère ne se déconcerta point ; elle accusa saint André lui-même d’avoir engagé l’enfant à ce crime. Le proconsul aussitôt ordonne qu’on jette saint André dans la rivière ; mais l’apôtre ayant prié Dieu, il se fit un grand tremblement de terre, et la mère mourut d’un coup de tonnerre.

 

          Après plusieurs aventures de ce genre, l’auteur fait crucifier saint André à Patras.

 

 

XI.

 

 

          Les Gestes de saint Jacques-Le-Majeur. L’auteur le fait condamner à la mort par le pontife Aviathar à Jérusalem ; et il baptise le greffier avant d’être crucifié.

 

 

XII.

 

 

          Les Gestes de saint Jean l’évangéliste. L’auteur raconte qu’à Ephèse, dont saint Jean était évêque, Drusilla, convertie par lui, ne voulut plus de la compagnie de son mari Andronic, et se retira dans un tombeau. Un jeune homme nommé Callimaque, amoureux d’elle, la pressa quelquefois dans ce tombeau même de condescendre à sa passion. Drusilla, pressée par son mari et par son amant, souhaita la mort, et l’obtint. Callimaque, informé de sa perte, fut encore plus furieux d’amour ; il gagna par argent un domestique d’Andronic, qui avait les clefs du tombeau ; il y court ; il dépouille sa maîtresse de son linceul, il s’écrie : « Ce que tu n’as pas voulu m’accorder vivante, tu me l’accorderas morte. » Et dans l’excès horrible de sa démence, il assouvit ses désirs sur ce corps inanimé. Un serpent sort à l’instant du tombeau ; le jeune homme tombe évanoui le serpent le tue ; il en fait autant du domestique complice, et se roule sur son corps. Saint Jean arrive avec le mari ; ils sont étonnés de trouver Callimaque en vie. Saint Jean ordonne au serpent de s’en aller ; le serpent obéit. Il demande au jeune homme comment il est ressuscité ; Callimaque répond qu’un ange lui était apparu et lui avait dit : « Il fallait que tu mourusses pour revivre chrétien. » Il demanda aussitôt le baptême, et pria saint Jean de ressusciter le domestique. Celui-ci, qui était un païen obstiné, ayant été rendu à la vie, déclara qu’il aimait mieux remourir que d’être chrétien ; et en effet il remourut incontinent. Sur quoi saint Jean dit qu’un mauvais arbre porte toujours de mauvais fruits.

 

          Aristodème, grand-prêtre d’Ephèse, quoique frappé d’un tel prodige, ne voulut pas se convertir : il dit à saint Jean : « Permettez que je vous empoisonne, et si vous n’en mourez pas, je me convertirai. » L’apôtre accepta la proposition : mais il voulut qu’auparavant Aristodème empoisonnât deux Ephésiens condamnés à mort. Aristodème aussitôt leur présenta le poison ; ils expirèrent sur-le-champ. Saint Jean prit le même poison, qui ne lui fit aucun mal. Il ressuscita les deux morts ; et le grand-prêtre se convertit.

 

          Saint Jean ayant atteint l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans, Jésus-Christ lui apparut, et lui dit : « Il est temps que tu viennes à mon festin avec tes frères. » Et bientôt après l’apôtre s’endormit en paix.

 

 

XIII.

 

 

          L’histoire des bienheureux Jacques-le-Mineur, Simon et Jude frères. Ces apôtres vont en Perse, y exécutent des choses aussi incroyables que celles que l’auteur rapporte de saint André.

 

 

 

XIV.

 

 

          Les gestes de saint Matthieu, apôtre et évangéliste. Saint Matthieu va en Ethiopie dans la grande ville de Nadaver ; il y ressuscite le fils de la reine Cadace, et il y fonde des églises  chrétiennes.

 

 

XV.

 

 

          Les Gestes du bienheureux Barthélemy dans l’Inde. Barthélemy va d’abord dans le temple d’Astarot. Cette déesse rendait des oracles, et guérissait toutes les maladies ; Barthélemy la fait taire, et rend malades tous ceux qu’elle avait guéris. Le roi Polimius dispute avec lui ; le démon déclare devant le roi qu’il est vaincu. Saint Barthélemy sacre le roi Polimius évêque des Indes.

 

 

XVI.

 

 

          Les Gestes du bienheureux Thomas, apôtre de l’Inde. Saint Thomas entre dans l’Inde par un autre chemin, et y fait beaucoup plus de miracles que saint Barthélemy ; il est enfin martyrisé, et apparaît à Xiphoro et à Susani.

 

 

XVII.

 

 

          Les Gestes du bienheureux Philippe. Il alla prêcher en Scythie. On voulut lui faire sacrifier à Mars ; mais il fit sortir un dragon de l’autel, qui dévora les enfants des prêtres ; il mourut à Hiérapolis, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. On ne sait quelle est cette ville ; il y en avait plusieurs de ce nom. Toutes ces histoires passent pour être écrites par Abdias, évêque de Babylone, et sont traduites par Jules Africain.

 

 

XVIII.

 

 

          A cet abus des saintes Ecritures on en a joint un moins révoltant, et qui ne manque point de respect au christianisme comme ceux qu’on vient de mettre sous les yeux du lecteur. Ce sont les liturgies attribuées à saint Jacques, à saint Pierre, à saint Marc, dont le savant Tillemont a fait voir la fausseté.

 

 

XIX.

 

 

          Fabricius met parmi les écrits apocryphes l’Homélie attribuée à saint Augustin, sur la manière dont se forma le Symbole : mais il ne prétend pas sans doute que le Symbole, que nous appelons des apôtres, en soit moins sacré et moins véritable. Il est dit dans cette Homélie, dans Rufin, et ensuite dans Isidore, que dix jours après l’ascension, les apôtres étant renfermés ensemble de peur des Juifs, Pierre dit : Je crois en Dieu le Père tout-puissant ; André, Et en Jésus-Christ son fils ; Jacques. Qui a été conçu du Saint-Esprit ; et qu’ainsi chaque apôtre ayant prononcé un article, le Symbole fut entièrement achevé.

 

          Cette histoire n’étant point dans les Actes des apôtres, on est dispensé de la croire ; mais on n’est pas dispensé de croire au Symbole, dont les apôtres ont enseigné la substance. La vérité ne doit point souffrir des faux ornements qu’on a voulu lui donner.

 

 

 

APOCRYPHES - Partie 2

 

  1 – Voyez la Collection d’anciens Evangiles. (Mélanges, année 1769.) (K.)

 

2 – N° XVII, et dans l’exorde. (Voltaire.)

 

3 – Il y a encore un autre livre d’Enoch chez les chrétiens d’Ethiopie, que Peiresc, conseiller au parlement de Provence, fit venir à très grands frais ; il est d’un autre imposteur. Faut-il qu’il y en ait aussi en Ethiopie !  

 

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