CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - Année 1759 - Partie 90

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362 – DU ROI

 

 

Wilsdruff, le 19 Novembre 1759.

 

 

 

Je viens de recevoir la lettre du rat ou de l’aspic du 6 novembre (1) sur le point de finir la campagne. Les Autrichiens s’en vont en Bohême, où je leur fait brûler, par représailles des incendies qu’ils ont causés dans mes pays, deux grands magasins. Je rends la retraite du benoît héros (2) aussi difficile que possible, et j’espère qu’il essuiera quelques mauvaises aventures entre ci et quelques jours. Vous apprendrez par la déclaration de La Haye, si le roi d’Angleterre et moi nous sommes pacifiques. Cette démarche éclatante ouvrira les yeux au public, et fera distinguer les boute-feux de l’Europe de ceux qui aiment l’humanité, la tranquillité, et la paix. La porte est ouverte, peut venir au parloir qui voudra.

 

La France est maîtresse de s’expliquer. C’est aux Français qui sont naturellement éloquents à parler, à nous à les écouter avec admiration, et à leur répondre dans un mauvais baragouin, le mieux que nous pourrons. Il s’agit de la sincérité que chacun apportera dans la négociation. Je suis persuadé que l’on pourra trouver des tempéraments pour s’accommoder. L’Angleterre a à la tête de ses affaires un ministre modéré et sage (3). Il faut de tous les côtés bannir les projets extravagants et consulter plutôt la raison que l’imagination. Pour moi, je me conforme à l’exemple du doux Sauveur qui, lorsqu’il alla la première fois au temple, se contenta d’écouter les pharisiens et les scribes. Ne pensez pas que les Anglais me confient tous leurs secrets, ils ne sont point pressés de s’accommoder ; leur commerce ne souffre point, leurs affaires prospèrent, et l’Etat ne manque ni de ressources ni de crédit ; Je fais une guerre plus dure qu’eux par la multitude d’ennemis qui m’attaquent, et dont le fardeau est accablant. Cependant je répondrai toujours bien de la fin de la campagne ; il est impossible d’en faire autant pour tous les événements. Je suis sur le point de m’accommoder avec les Russes ; ainsi il ne me restera que la reine d’Hongrie, les malandrins du Saint-Empire, et les brigands de Laponie pour l’année qui vient. Notre démarche nous a été dictée par le cœur, par un sentiment d’humanité qui voudrait tarir ces torrents de sang qui inondent presque toute notre sphère, qui voudrait mettre fin aux massacres, aux barbaries, aux incendies, et à toutes les abominations commises par des hommes, que la malheureuse habitude de se baigner dans le sang rend de jour en jour plus féroces. Pour peu que cette guerre continue, notre Europe retombera dans les ténèbres de l’ignorance, et nos contemporains deviendront semblables à des bêtes farouches. Il est temps de mettre fin à ces horreurs. Tous ces désastres sont une suite de l’ambition de l’Autriche et de la France. Qu’ils prescrivent des bornes à leurs vastes projets ; que si ce n’est la raison, que l’épuisement de leurs finances et le mauvais état de leurs affaires les rendent sages, et que la rougeur leur monte au front en apprenant que le ciel, qui a soutenu les faibles contre l’effort des puissants, a accordé à ces premiers assez de modération pour ne point abuser de leur fortune et pour leur offrir la paix. Voilà tout ce qu’un pauvre lion, fatigué, harassé, égratigné, mordu, boiteux, et fêlé, vous peut dire. J’ai encore bien des affaires, et je ne pourrai vous écrire à tête reposée qu’après être arrivé à Dresde. Le projet de faire la paix est celui de rendre raisonnables des hommes accoutumés à être absolus, et qui ont des volontés obstinées. Réussissez ; je vous féliciterai de vos succès, et je m’en féliciterai davantage. Adieu au rat qui fait de si beaux rêves qu’on les prendrait pour des inspirations ; qu’il jouisse, dans son trou, du repos, de la tranquillité, de la paix qu’il possède, et que nous désirons. Ainsi soit-il. FÉDÉRIC.

 

N.B. – Vous savez que les interprètes et les commentateurs de l’Ecriture ont des opinions différentes sur le sens des passages. Suivant le R.P. Dionysius Hortella, il faut, lorsque César est roi des Juifs, et bien juif lui-même, et lorsqu’il est duc de Lorraine, que les Turcs et les Français donnent à César ce qui est à César. Il dit qu’un pareil exemple de restitution encouragerait toutes les petites puissances de l’Europe à l’imiter : qu’en pensez-vous ? ce savant docteur ne raisonne pas si mal (4).

 

 

1 – Est-ce la lettre sans date que nous avons classée au mois d’Août ? (G.A.)

 

2 – Daun. (G.A.)

 

3 – William Pitt, lord Chatam. (G.A.)

 

4 – Frédéric plaisante ici sur la restitution de la Silésie qu’on exigeait de lui. – « Que la France commence par rendre la Lorraine et l’Autriche, dit-il, et cela m’encouragera, moi, petite puissance. » (G.A.)

 

 

 

 

 

 

 

ROI DE PRUSSE - 1759 - Partie 90

 

 

 

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