CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - Année 1759 - Partie 80

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Photo de KHALAH

 

 

 

 

 

 

320 – DE VOLTAIRE.

 

 

1753.

 

Sire, ce n’est sans doute que dans la crainte de ne pouvoir plus me montrer devant votre majesté, que j’ai remis à vos pieds des bienfaits qui n’étaient pas les liens dont j’étais attaché à votre personne. Vous devez juger de ma situation affreuse, de celle de toute ma famille. Il ne me reste qu’à m’aller cacher pour jamais, et déplorer mon malheur en silence. M. Federsdorff, qui vient me consoler dans ma disgrâce, m’a fait espérer que votre majesté daignerait écouter envers moi la bonté de son caractère, et qu’elle pourrait réparer par sa bienveillance, s’il est possible, l’opprobre dont elle m’a comblé. Il est bien sûr que le malheur de vous avoir déplu n’est pas le moindre que j’éprouve. Mais comment paraître ? comment vivre ? je n’en sais rien. Je devrais être mort de douleur. Dans cet état horrible, c’est à votre humanité à avoir pitié de moi. Que voulez-vous que je devienne et que je fasse ? Je n’en sais rien. Je sais seulement que vous m’avez attaché à vous depuis seize années. Ordonnez d’une vie que je vous ai consacrée, et dont vous avez rendu la fin si amère. Vous êtes bon, vous êtes indulgent, je suis le plus malheureux homme qui soit dans vos Etats : ordonnez de mon sort.

 

 

 

 

 

321 – DE VOLTAIRE

 

 

A Berlin, au Belvédère, 12 Mars 1753.

 

 

Sire, j’ai reçu une lettre de Kœnig tout ouverte ; mon cœur ne l’est pas moins. Je crois de mon devoir d’envoyer à votre majesté le duplicata de ma réponse (1). J’ai tant de confiance en ses bontés et en sa justice, que je ne lui cache aucune de mes démarches. Je vous soumettrai ma conduite, toute ma vie, en quelque lieu que je l’achève. Je suis ami de Kœnig, il est vrai ; mais assurément, je suis plus attaché à votre majesté qu’à lui, et s’il était capable de manquer le moins du monde à ce qu’il vous doit, je romprais pour jamais avec lui.

 

Soyez convaincu, sire, que je mets mon devoir et ma gloire à vous être attaché jusqu’au dernier moment. Ces sentiments sont aussi ineffaçables que mon affliction, qui chaque jour augmente.

 

Je me jette à vos pieds, et j’attends les ordres de votre majesté.

 

 

1 – Voyez la CORRESPONDANCE GENERALE, à cette date, et pour toute cette affaire, les Mémoires de Voltaire. (G.A.)

 

 

 

 

 

322 – DU ROI

 

 

1753.

 

 

Il n’était pas nécessaire que vous prissiez le prétexte du besoin que vous me dites avoir des eaux de Plombières, pour me demander votre congé. Vous pouvez quitter mon service quand vous voudrez ; mais avant de partir, faites-moi remettre le contrat de votre engagement, la clef, la croix (1), et le volume de poésies que je vous ai confié (2). Je souhaiterais que mes ouvrages eussent été seuls exposés à vos traits et à ceux de Kœnig. Je les sacrifie de bon cœur à ceux qui croient augmenter leur réputation en diminuant celle des autres. Je n’ai ni la folie, ni la vanité de certains auteurs. Les cabales des gens de lettres me paraissent l’opprobre de la littérature. Je n’en estime cependant pas moins les honnêtes gens qui les cultivent. Les chefs de cabale sont seuls avilis à mes yeux.

 

          Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde (3).

 

 

1 – La clef de chambellan et la croix de l’ordre du Mérite. (G.A.)

 

2 – Frédéric avait donné à chacun de ses familiers le volume de ses poésies. (G.A.)

 

3 – Après cette lettre, tout fut fini. (G.A.)

 

 

 

 

 

323 – DE VOLTAIRE (1)

 

 

1753.

 

 

Sire, ce que j’ai vu dans les gazettes est-il croyable ? On abuse du nom de votre majesté pour empoisonner les derniers jours d’une vie que je vous ai consacrée. Quoi ! on m’accuse d’avoir avancé que Kœnig écrivait contre vos ouvrages ! Ah ! sire, il en est aussi incapable que moi. Votre majesté sait ce que je lui en ai écrit. Je vous ai toujours dit la vérité, et je vous la dirai jusqu’au dernier moment de ma vie. Je suis au désespoir de n’être point allé à Bareith ; une partie de ma famille, qui va m’attendre aux eaux, me force d’aller chercher une guérison que vos bontés seules pourraient me donner. Je vous serai toujours tendrement dévoué, quelque chose que vous fassiez. Je ne vous ai jamais manqué, je ne vous manquerai jamais. Je reviendrai à vos pieds au mois d’octobre ; et si la malheureuse aventure de La Beaumelle n’est pas vraie, si Maupertuis, en effet, n’a pas trahi le secret de vos soupers, et ne m’a point calomnié pour exciter La Beaumelle contre moi, s’il n’a pas été par sa haine l’auteur de mes malheurs, j’avouerai que j’ai été trompé, et je lui demanderai pardon devant votre majesté et devant le public. Je m’en ferai une vraie gloire. Mais, si la lettre de La Beaumelle est vraie, si les faits sont constatés, si je n’ai pris d’ailleurs le parti de Kœnig qu’avec tout l’Europe littéraire, voyez, sire, ce que les philosophes Marc-Aurèle et Julien auraient fait en pareil cas. Nous sommes tous vos serviteurs, et vous auriez pu d’un mot tout concilier. Vous êtes fait pour être notre juge et non notre adversaire Votre plume respectable eût été dignement employée à nous ordonner de tout oublier ; mon cœur vous répond que j’aurais obéi. Sire, ce cœur est encore à vous ; vous savez que l’enthousiasme m’avait amené à vos pieds. Il m’y ramènera. Quand j’ai conjuré votre majesté de ne plus m’attacher à elle par des pensions, elle sait bien que c’était uniquement préférer votre personne à vos bienfaits. Vous m’avez ordonné de les recevoir, ces bienfaits, mais jamais je ne vous serai attaché que pour vous-même  et je vous jure encore entre les mains de son altesse royale, madame la margrave de Bareith, par qui je prends la liberté de faire passer ma lettre, que je vous garderai jusqu’au tombeau les sentiments qui m’amenèrent à vos pieds, lorsque je quittai pour vous tout ce que j’avais de plus cher, et que vous daignâtes me jurer une amitié éternelle.

 

 

1 – Cette lettre  est écrite de Leipsick. Voltaire venait d’abandonner Berlin pour toujours. (G.A.)

 

 

 

 

 

324 – DE VOLTAIRE

 

SOUS LE NOM DE MADAME DENIS.

 

(1)

1753.

 

 

 

[La dame Denis, veuve d’un officier du régiment de Champagne, implore la justice de sa majesté. Suit le récit de son arrestation et de celle de son oncle. Les prisonniers font serment que tout ce qu’ils avancent est véritable, et suppriment le récit des violences qui exciteraient trop d’indignation. ] (G.A.)

 

 

1 – Nous donnerons une courte analyse de cette lettre et de quelques autres que le catholique, dont nous avons déjà parlé, ne nous a non plus autorisés à reproduire. (G.A.)

 

 

 

 

 

325 – DE VOLTAIRE

 

SOUS LE NOM DE MADAME DENIS.

 

 

A Francfort le 21 Juin, au matin.

 

 

 

Sire, je ne devais pas m’attendre à implorer pour moi-même la justice et la gloire de votre majesté. Je suis enlevée de mon auberge au nom de votre majesté, conduite à pied par le commis du sieur Freydag, votre résident, au milieu de la populace, et enfermée avec quatre soldats à la porte de ma chambre ; on me refuse jusqu’à ma femme de chambre et à mes laquais ; et le commis passe toute la nuit dans ma chambre (1).

 

Voici le prétexte, sire, de cette violence inouïe qui excitera sans doute la pitié et l’indignation de votre majesté, aussi bien que celle de toute l’Europe.

 

Le sieur Freydag ayant demandé à mon oncle, le 1er juin, le livre imprimé des poésies de votre majesté, dont votre majesté avait daigné le gratifier, le constitua prisonnier jusqu’au jour où le livre serait revenu, et lui fit deux billets en votre nom, conçus en ces termes :

 

 

« Monsieur, sitôt le gros ballot que vous dites être à Hambourg ou Leipzig, sera ici, qui contient l’œuvre des poésies que le roi demande, vous pourrez partir où bon vous semblera. »

 

 

Mon oncle, sur cette assurance de votre ministre, fit revenir la caisse avec la plus grande diligence à l’adresse même du sieur Freydag, et le livre en question lui fut rendu le 17 Juin au soir.

 

Mon oncle a cru avec raison être en droit de partir le 20, laissant à votre ministre la caisse d’autres effets considérables que je comptais reprendre de droit le 21 ; et c’est le 20 que nous sommes arrêtés de la manière la plus violente ; on me traite, moi qui ne suis ici que pour soulager mon oncle mourant, comme une femme coupable des plus grands crimes : on met douze soldats à nos portes.

 

Aujourd’hui 21, le sieur Freydag vient nous signifier que notre emprisonnement doit nous coûter 128 écus et 42 creutzers par jour, et il apporte à mon oncle un écrit à signer, par lequel mon oncle doit se taire sur tout ce qui est arrivé (se sont ses propres mots), et avouer que les billets du sieur Freydag n’étaient que des billets de consolation et d’amitié qui ne tiraient point à conséquence. Il nous fait espérer qu’il nous ôtera notre garde. Voilà l’état où nous sommes le 21 Juin à deux heures après-midi.  (2).

 

Je n’ai pas la force d’en dire davantage ; il me suffit d’avoir instruit votre majesté.

 

Je suis avec respect, de votre majesté, la très humble et très obéissante servante.

 

DENIS, veuve du sieur Denis, gentilhomme ci-devant

Capitaine au régiment de Champagne, commissaire des

Guerres, et maître des comptes de S. M. le roi de France.

 

 

 

1 – N.B. – « Le commis nommé Dorn, notaire de sa majesté impériale a osé insulter cette dame respectable pendant la nuit. » Note de Voltaire ajoutée à la copie suivie par M. Beuchot.

 

2 – Son excellence doit être instruite de cette horreur arrivée à Francfort. Elle est très humblement remerciée de garder le secret à celui qui a déjà eu l’honneur de lui écrire deux lettres. Peut-être un jour cette personne pourra remercier son excellence de vive voix. (Note de Voltaire.) ‒ L’excellence doit être le chevalier de La Touche, ministre de France à Berlin. (G.A.)

 

 

 

 

 

326 – DE VOLTAIRE

 

SOUS LE NOM DE MADAME DENIS.

 

 

 

Francfort, 25 Juin 1753.

 

 

 

[Nouvelle requête au roi, avec un exposé des faits analogue au précédent.]

 

 

 

 

 

327 – DE VOLTAIRE

 

 

Francfort, 26 Juin 1753.

 

[Il craint que les lettres ne soient pas parvenues à sa majesté. Il implore pour sa nièce. Il oubliera à jamais Maupertuis. Quelle funeste suite de quinze ans de bontés !]

 

 

 

 

328 – DE VOLTAIRE

 

 

Francfort, 26 Juin 1753.

 

 

[Lettre écrite en son nom et au nom de sa nièce. Ils craignent que leurs plaintes n’aient été interceptées par Freitag et Schmidt. Citation d’un passage d’une lettre de Freitag à Voltaire. On leur dit de compter sur le magistrat qui doit instruire sa majesté.]

 

 

 

 

 

 

329 – DE VOLTAIRE

 

 

7 Juillet 1753.

 

 

[Nouvelle requête. Ils sont toujours arrêtés, quoique sa majesté ait ordonné leur délivrance. Récit du vol de Schmidt, qui dépouille Voltaire de son argent et de ses bijoux sans faire aucun procès-verbal. Ils vont partir, mais on les menace de les arrêter encore lundi prochain Ils espèrent que sa majesté ordonnera qu’on leur rende leurs effets.]

 

 

 

 

 

 

330 – DE VOLTAIRE

 

 

Fin de 1753.

 

 

[Il assure le roi de ses respectueux sentiments. Il proteste contre un misérable écrit sur la cuisine du roi, que son ennemi La Beaumelle lui attribue. Cet écrit date de 1752. Voltaire rappelle que son ennemi avait déjà fait imprimer en passant à Cassel un libelle qu’il avait adressé, comme étant de Voltaire, au duc de Saxe-Gotha.]

 

 

ROI DE PRUSSE - 1753

 

Publié dans Frédéric de Prusse

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