CORRESPONDANCE avec le roi de Prusse - Année 1750 - Partie 69

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263 – DE VOLTAIRE

 

A Paris, le 8 Mai 1750.

 

 

Oui, grand homme, je vous le dis :

Il faut que je me renouvelle.

J’irai dans votre paradis,

Du feu qui m’embrasait jadis

Ressusciter quelque étincelle,

Et dans votre flamme immortelle

Tremper mes ressorts engourdis.

Votre bonté, votre éloquence,

Vos vers coulant avec aisance,

De jour en jour plus arrondis,

Sont ma fontaine de Jouvence.

 

 

Mais il ne faut pas tromper son héros. Vous verrez, sire, un malingre, un mélancolique, à qui votre majesté fera beaucoup de plaisir, et qui ne vous en fera guère : mon imagination jouira de la vôtre. Ayez la bonté de vous attendre à tout donner sans rien recevoir. Je suis réellement dans un très triste état ; d’Arnaud peut vous en avoir rendu compte. Mais enfin vous savez que j’aime cent fois mieux mourir auprès de vous qu’ailleurs. Il y a encore une autre difficulté. Je vais parler, non pas au roi, mais à l’homme qui entre dans le détail des misères humaines. Je suis riche, et même très riche pour un homme de lettres. J’ai ce qu’on appelle à Paris monté une maison où je vis en philosophe avec ma famille et mes amis. Voilà ma situation : malgré cela, il m’est impossible de faire actuellement une dépense extraordinaire, premièrement, parce qu’il m’en a beaucoup coûté pour établir mon petit ménage ; en second lieu, parce que les affaires de madame du Châtelet, mêlées avec ma fortune, m’ont coûté encore davantage. Mettez, je vous en prie, selon votre coutume philosophique, la majesté à part, et souffrez que je vous dise que je ne veux pas vous être à charge. Je ne peux ni avoir un bon carrosse de voyage, ni partir avec les secours nécessaires à un malade, ni pourvoir à mon ménage pendant mon absence, etc., à moins de quatre mille écus d’Allemagne. Si Mettra, un des marchands correspondants de Berlin, veut me les avancer, je lui ferai une obligation, et le rembourserai sur la partie de mon bien la plus claire, qu’on liquide actuellement. Cela est peut-être ridicule à proposer ; mais je peux assurer votre majesté que cet arrangement ne me gênera point. Vous n’auriez, sire, qu’à faire dire un mot à Berlin au correspondant de Mettra, ou de quelque autre banquier résidant à Paris : cela serait fait à la réception de la lettre, et quatre jours après je partirais. Mon corps aurait beau souffrir, mon âme le ferait bien aller  et cette âme, qui est à vous, serait heureuse. Je vous ai parlé naïvement, et je supplie le philosophe de dire au monarque qu’il ne s’en fâche pas. En un mot, je suis prêt ; et si vous daignez m’aimer, je quitte tout, je pars, et je voudrais partir pour passer ma vie à vos pieds.

 

 

 

 

 

 

264 – DU ROI

 

 

A Potsdam, ce 24 Mai 1750.

 

 

Pour une brillante beauté

Qui tentait son désir lubrique,

Jupiter avec dignité

Sut faire l’amant magnifique.

L’or plut, et son pouvoir magique

De cette amante trop pudique

Fléchit l’austère cruauté.

 

Ah ! si dans sa gloire éternelle

Ce dieu si galant s’attendrit

Sur les appas d’une mortelle

Stupide, sans talents, mais belle,

Qu’aurait-il fait pour votre esprit ?

 

Pour rendre son ciel plus aimable,

Près d’Apollon, près de Bacchus,

Il vous aurait mis à sa table.

Pour moitié vous donnant Vénus.

Son fils, enfant plein de malice,

Et dont l’arc est si dangereux,

Vous aurait blessé par caprice ;

Mais dans ce séjour de délice

Ses traits ne font que des heureux.

 

Hébé vous eût offert un verre

Rempli du plus exquis nectare ;

Mais vous le connaissez, Voltaire,

Vous en avez bu votre part :

C’était le lait de votre mère.

 

Voilà comme le roi des dieux

Vous aurait traité dans les cieux.

Pour moi, qui n’ai point l’honneur d’être

L’image de ce dieu puissant,

Je veux dans ce séjour champêtre

Vous en procurer tout autant ;

Je veux imiter cette pluie

Que sur Danaé le galant

Répandit très abondamment ;

Car de votre puissant génie

Je me suis déclaré l’amant.

 

 

Mais comme le sieur Mettra pourrait réprouver une lettre de change en vers, j’en fais expédier une en bonne forme par son correspondant, qui vaudra mieux que mon bavardage. Vous êtes comme Horace, vous aimez à réunir l’utile à l’agréable ; pour moi, je crois qu’on ne saurait assez payer le plaisir ; et je compte avoir fait un très bon marché avec le sieur Mettra. Je paierai le marc d’esprit à proportion que le change hausse. Il en faut dans la société ; je l’aime ; et l’on n’en saurait trouver davantage que dans la boutique de Mettra.

 

Je vous avertis que je pars pour la Prusse, que je ne serai de retour ici que le 22 de juin, et que vous me ferez grand plaisir d’être ici vers ce temps. Vous y serez reçu comme le Virgile de ce siècle ; et le gentilhomme ordinaire de Louis XV cédera, s’il lui plaît, le pas au grand poète. Adieu : les coursiers rapides d’Achille puissent-ils vous conduire, les chemins montueux s’aplanir devant vous : puissent les auberges d’Allemagne se transformer en palais pour vous recevoir ! les vents d’Eole puissent-ils se renfermer dans les outres d’Ulysse, le pluvieux Orion disparaître, et nos nymphes potagères se changer en déesses, pour que votre voyage et votre réception soient dignes de l’auteur de la Henriade ! FÉDÉRIC.

 

 

 

 

 

265 – DE VOLTAIRE

 

A Paris, 9 Juin 1750.

 

 

Votre très vieille Danaé

Va quitter son petit ménage

Pour le beau séjour étoilé

Dont elle est indigne à son âge.

L’or par Jupiter envoyé

N’est pas l’objet de son envie ;

Elle aime d’un cœur dévoué

Son Jupiter, et non sa pluie.

Mais c’est en vain que l’on médit

De ces gouttes très salutaires ;

Au siècle de fer où l’on vit,

Les gouttes d’or sont nécessaires.

 

On peut du fond de son taudis,

Sans argent, l’âme timorée,

Entouré de cierges bénits,

Aller tout droit en paradis,

Mais non pas dans votre empyrée.

 

 

Je ne pourrai pourtant, sire, être dans votre ciel que vers les premiers jours de juillet. Je ferai, soyez-en sûr, tout ce que je pourrai pour arriver à la fin de juin. Mais la vieille Danaé est trop avisée pour promettre légèrement ; et quoiqu’elle ait l’âme très vive et très impatiente, les années lui ont appris à modérer ses ardeurs. Je viens d’écrire à M. de Raesfeld que je serai, au plus tard dans les premiers jours de juillet, dans vos Etats de Clèves, et je le prie de songer au vorspann (1). Je vous fais, sire, la même requête. Faites de belles revues dans vos royaumes du nord, imposez à l’empire des Russes ; soyez l’arbitre de la paix, et revenez présider à votre Parnasse. Vous êtes l’homme de tous les temps, de tous les lieux, de tous les talents. Recevez-moi au rang de vos adorateurs ; je n’ai de mérite que d’être le plus ancien. Le titre de doyen de ce chapitre ne peut m’être contesté. Je prendrai la liberté de dire de votre majesté ce que La Fontaine, à mon âge, disait des femmes : « Je ne leur fais pas grand plaisir ; mais elles m’en font toujours beaucoup. »

 

 

Ah ! que mon destin sera doux

Dans votre céleste demeure !

Que d’Arnaud vive à vos genoux,

Et que votre Voltaire y meure !

 

 

          Je me mets aux pieds de votre majesté.

 

 

 

1 – C’était, nous l’avons déjà dit, le permis d’avoir des chevaux de poste aux frais du roi. (G.A.)

 

 

 

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